Edouard Philippe : "Je dis à tous : n'ayez pas peur"
INTERVIEW - Quatre jours après sa nomination, le Premier ministre a reçu le JDD. Il expose ses priorités, sa méthode et le calendrier des réformes. "Nous ne demandons pas d'état de grâce", affirme-t-il.
Dans cette interview, le nouveau Premier ministre dévoile sa feuille de route à Matignon, "conscient" qu'il pourrait partir si LREM n'a pas la majorité :
- Il fera campagne sur un ton mesuré, mais veut "donner une majorité au chef de l'Etat", en soutenant des candidats macronistes contre ceux de la famille LR.
- L'exécutif a-t-il choisi de raréfier sa parole? "Il y a une volonté d'organiser la communication, de ne pas nourrir un bavardage permanent", affirme Edouard Philippe.
- Sur Notre-Dame-des-Landes, le Premier ministre veut que la médiation, qui durera "six mois", fasse "baisser le niveau de tension".
- La réforme du marché du travail ira "vite" après une "discussion" avec les partenaires sociaux, précise-t-il.
Quelles sont vos priorités des prochaines semaines?
D'abord, organiser le travail gouvernemental. Cette équipe nouvelle, constituée de talents qui viennent d'horizons différents, doit avancer au service des Français et dans l'esprit défini par le président de la République. Pour cela, je présenterai lors du prochain Conseil des ministres une méthode de travail qui sera celle de ce gouvernement.
Quelles en sont les grandes lignes?
La collégialité, l'efficacité, la loyauté et l'exemplarité. La collégialité est indispensable parce que le gouvernement réunit des personnalités aux parcours différents qui doivent pouvoir exprimer leurs positions et réfléchir en commun. Mais il faut aussi être efficace car l'urgence est considérable. Le chef de l'État l'a dit : à l'Élysée seront définies les orientations stratégiques ; à Matignon, on arbitre et on fait en sorte que la feuille de route fixée par le Président soit suivie. Par ailleurs, la liberté intellectuelle et la diversité des ministres ne seront un atout que si, une fois passé le temps de la discussion, il y a une parfaite loyauté vis-à-vis des décisions arbitrées. L'exemplarité, enfin, les Français l'exigent légitimement. Emmanuel Macron a une vision très claire de ce que doit être le comportement d'un ministre sous la Ve République. Moi aussi.
Quid de la confidentialité? Y a-t-il une volonté de l'exécutif de peu communiquer?
Il y a une volonté d'organiser la communication, de ne pas nourrir un bavardage permanent. Dans la phase préparatoire d'un projet, personne n'a vocation à exposer sur la place publique des positions qui ne sont pas arbitrées.
Vous voyez-vous comme un "collaborateur" d'Emmanuel Macron ? Ou plutôt comme un allié?
Il a une lecture gaullienne des institutions de la Ve République ; moi aussi. Le rôle du Premier ministre est de diriger l'action du gouvernement, de rendre des arbitrages, et de mettre en œuvre les orientations stratégiques fixées par le Président.
Et être le chef de la majorité parlementaire?
… Et être le chef de la majorité parlementaire, oui. C'est une des tâches qui m'attend : l'organisation et l'animation de la majorité que nous allons construire autour du projet du chef de l'État.
"J'ai parfaitement conscience que le Premier ministre doit avoir à la fois la confiance du chef de l'État et le soutien de la majorité parlementaire
"
Le gouvernement que vous dirigez a-t-il vraiment été composé "sur proposition du Premier ministre", comme le précise la Constitution?
Oui. Sur ce sujet comme sur d'autres, le Président et moi souhaitons revenir à l'esprit de nos institutions.
Et donc à l'épure de la Ve République?
Oui.
Si vous n'arrivez pas à obtenir la majorité aux prochaines législatives, cela remettra-t-il en cause vos fonctions de Premier ministre?
J'ai parfaitement conscience que le Premier ministre doit avoir à la fois la confiance du chef de l'État et le soutien de la majorité parlementaire.
Diriez-vous que vous avez un accord politique avec Emmanuel Macron ? Vous ne venez pas de la même famille politique…
Si je n'étais pas d'accord avec sa philosophie et son ambition, je n'aurais pas accepté sa proposition. J'ai été frappé par la diversité des parcours autour de la table du Conseil des ministres : il y avait là des personnalités venues de la société civile, de la gauche, de la droite, du centre… C'est inédit et c'est passionnant de tenter quelque chose qui n'a jamais été tenté. Cela suscite un espoir et un enthousiasme manifestes, qui nous obligent. Si, lors des élections législatives, les Français donnent une majorité au Président, la recomposition se fera sur des bases claires, autour de la méthode, des idées et du rassemblement qu'il propose.
Que prônez-vous : un système post-partisan?
Non, je ne crois pas que les partis soient morts, mais leurs habitudes, leur sédimentation, à certains égards, leur fossilisation, sont dépassés. C'est pour cela que ça craque. Je dis à tous : n'ayez pas peur. Nous avons l'occasion de dépasser quelque chose qui est bloqué. Les deux partis qui géraient alternativement la France ont été éliminés dès le premier tour de la présidentielle. La désaffection des Français à leur égard est considérable. Le système partisan français était dans une impasse. C'était inextricable. Le Président a tranché le nœud gordien.
Vous venez d'un de ces partis. Allez-vous appeler à voter contre les candidats LR?
J'ai, au sein de LR, des amitiés très fortes. Au sein de ce parti, certains souhaitent que le Président et le gouvernement réussissent, pour que la France aille mieux dans cinq ans qu'aujourd'hui. D'autres ont choisi une opposition radicale et stérile. C'est leur choix. Mon objectif est de donner une majorité au chef de l'État. Je ferai donc campagne pour les candidats qui partagent cet objectif.
Même quand ils seront face à des candidats LR avec qui vous êtes ami?
Hé oui. Je ferai campagne comme je l'ai toujours fait : sur un ton mesuré. Je ne vais pas, alors que je souhaite qu'on réponde à la main tendue par le Président, me mettre à insulter, dénigrer ou critiquer des personnes que j'estime mais qui ne font pas le même choix que moi. J'ai vu que ce choix suscitait des réactions, parfois acides. J'y répondrai par le calme et la tolérance. Ce qui m'intéresse, c'est de faire avancer le pays.
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Il y a quelques semaines encore, vous défendiez un projet politique différent de celui d'Emmanuel Macron. Faut-il comprendre que, in fine, son projet était meilleur que celui de François Fillon ou d'Alain Juppé?
Quand je relis le programme d'Alain Juppé , son esprit et ses propositions, je retrouve beaucoup d'éléments qui figurent dans le projet d'Emmanuel Macron, notamment d'un point de vue économique. Je constate une proximité évidente. À la place qui est la mienne, j'ai le sentiment de faire avancer les idées auxquelles je crois. J'observe, en revanche, qu'un certain nombre de candidats aux législatives, à gauche ou à droite, vont soutenir des programmes très différents de ceux qu'ils ont soutenus à la présidentielle. À gauche, je n'ai pas le sentiment que les candidats socialistes aient placé au cœur de leur campagne le revenu universel, qui était pourtant une proposition majeure de Benoît Hamon. À droite, le programme porté par les candidats LR me semble assez différent du projet porté par François Fillon, qui avait sa cohérence, même si j'avais exprimé des doutes sur sa faisabilité. Comme le disait Churchill, "certains changent d'idées pour être fidèles à leur parti" ; lui avait changé deux fois de parti pour être fidèle à ses idées.
Changez-vous, vous aussi, de parti pour rester fidèle à vos idées?
J'ai, en tout cas, le sentiment d'une continuité d'idées totale. Chacun connaît mon parcours. Je suis un homme de droite, ouvert aux idées qui viennent d'ailleurs. Ceux qui répondront à cette ouverture par une logique d'exclusion courent le risque d'être sanctionnés par les Français.
Pour achever la recomposition que vous souhaitez, faudrait-il dans l'idéal des ministres LR supplémentaires après les législatives?
La question n'est pas de savoir s'il faut plus ou moins de LR ou de tel ou tel autre parti, mais d'avoir les personnalités les plus utiles et les plus compétentes pour faire avancer la France.
La droite vous attaque déjà sur le thème de la hausse prévue de la CSG…
Cette disposition prendra place dans le cadre d'une réforme fiscale guidée par la justice et l'équité. Je souhaite que cette réforme soit jugée dans son ensemble.
Ferez-vous un geste pour les retraités, qui s'en inquiètent?
Arrêtons de faire peur aux Français : une large partie des retraités n'est pas concernée par cette mesure. Pour le reste, je sais combien le Président est attentif aux inquiétudes formulées par les Français.
"Un audit sur les finances publiques sera lancé dans les prochains jours
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Vous avez annoncé la nomination d'un médiateur au sujet de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes . Quand la décision définitive sera-t-elle prise sur ce dossier? Êtes-vous prêt, le cas échéant, à faire évacuer la zone par la force?
Il est urgent de baisser le niveau de tension sur ce dossier. La médiation va nous y aider. Elle durera six mois. Nicolas Hulot [ministre de l'écologie] et moi souhaitons vraiment que toutes les options soient sur la table. Puis viendra le temps de la décision et de sa mise en œuvre.
Emmanuel Macron avait annoncé le lancement d'un audit des finances publiques dès son arrivée au pouvoir. Est-il lancé?
Il le sera dans les prochains jours.
Un de vos premiers chantiers sera la réforme du Code du travail…
C'est une réforme majeure. Une bonne réforme est une réforme bien pensée, bien discutée, puis bien exécutée. La réforme du Code du travail a été bien pensée. Nous allons désormais la discuter pour l'enrichir et l'expliquer. Cela veut dire une discussion avec les organisations syndicales, qui est indispensable, et une discussion parlementaire qui aura lieu à l'occasion du vote de la loi d'habilitation qui permettra au gouvernement de prendre des ordonnances dans le cadre défini par le Parlement.
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Le texte n'est donc pas complètement écrit? Y a-t-il matière à discussion?
On ne s'engagera pas dans une réforme aussi puissante sans une phase de discussion avec les partenaires sociaux et le Parlement. Avec la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, nous aurons des rencontres bilatérales avec l'ensemble des organisations syndicales. Mais une fois que la discussion aura eu lieu, il faudra aller vite. On ne peut pas attendre deux ans pour achever cet exercice. Emmanuel Macron a entendu la colère des Français. Il sait aussi l'urgence de la transformation du pays.
Pensez-vous pouvoir convaincre les syndicats, qui sont déjà sur leurs gardes?
En tout cas, je m'engage dans cet exercice avec ouverture et bonne volonté.
Jusqu'à quel point êtes-vous déterminé à mener une réforme qui peut jeter les Français dans la rue ?
Notre pays doit avancer. Il doit repartir. Il a des atouts considérables mais aussi des défis majeurs à relever. Au fond, tous les Français le savent, et ils ne nous pardonneraient pas de ne rien faire. Nous devons avancer avec détermination, saisir ce moment et cet espoir.
La confiance des Français n'est pas encore là, à en croire les premiers sondages …
Nous savions que, quel que soit le président élu et le gouvernement formé, il n'y aurait pas d'état de grâce. Je ne suis donc pas surpris. Mais nous ne demandons pas d'état de grâce. Les états de grâce qui duraient six mois et dont on ne faisait rien, les Français n'en veulent plus. Ce sont là encore de vieux schémas. Nous essayons de faire autre chose. Forcément ça surprend, ça peut désarçonner. Je crois que ça suscite aussi beaucoup d'espoir.
"L'impôt à la source est une source de complexités supplémentaires pour les entreprises
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La réforme du prélèvement de l'impôt à la source sera-t-elle reportée? Abandonnée?
J'ai demandé au ministre en charge du Budget, Gérald Darmanin, d'examiner les conditions de sa mise en œuvre. Ensuite, nous discuterons au sein du gouvernement, et une décision sera prise très rapidement. Tout le monde sait que cette réforme, telle qu'elle a été envisagée, est une source de complexités supplémentaires pour les entreprises.
La réforme ne sera donc pas abandonnée?
Laissons le ministre des Comptes publics examiner ce dossier.
Mais c'est vous le chef du gouvernement!
Un chef, ce n'est pas quelqu'un qui prend les décisions seul à la place des autres. Un bon Premier ministre doit faire en sorte que les décisions soient discutées, instruites, tranchées puis appliquées. J'attends les propositions du ministre des Comptes publics.
Regrettez-vous qu'Alain Juppé ne soit pas de cette aventure?
Chacun connaît notre proximité, et je sais ce que je lui dois. Alain Juppé était candidat à la primaire de la droite et du centre. Son objectif était de devenir président et il n'en avait pas d'autre. Il n'a pas réussi. Mais le ton et le fond de sa campagne ont, je crois, préparé le terrain de ce qui arrive aujourd'hui.
Par Anna Cabana, Hervé Gattegno et Christine Ollivier
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