Depuis 1989, et une "grande" loi de moralisation de la vie publique -en réalité une loi qui a permis d'amnistier la quasi-totalité des infractions commises par la classe politique, y compris des opérations de corruption pure et simple- les lois de moralisation se sont succédé sans évidemment empêcher les graves dérives que nous avons connues au cours des dernières années. On peut aisément le comprendre dans la mesure où ceux qui votent la loi n'ont guère envie qu'elle leur soit hostile! En réalité, la seule vraie réforme a été celle qui a consisté à créer la Haute autorité pour la Transparence et la Vie Publique dont l'indépendance ne peut évidemment être mise en cause -n'en déplaise à Madame Le Pen- et à assurer la transparence -très partielle- du patrimoine des élus de manière à s'assurer qu'il n'y ait pas d'enrichissement personnel ni de dissimulation patrimoniale du fait du mandat.
Les affaires Fillon et Le Pen, qui ont mis en lumière non seulement l'utilisation au minimal anormale des assistants parlementaires (en attendant la qualification que les juridictions pénales saisies retiendront) mais également des anomalies comportementales, justifient qu'un certain nombre de pratiques admises par le règlement intérieur de l'Assemblée nationale ou du Sénat soient interdites: embauche de membres de la famille, règles dérogatoires en ce qui concerne la fiscalisation des revenus (à distinguer bien entendu des remboursements de frais qui ne devraient intervenir que sur justificatif), dispositions très avantageuses en matière de prêts et de retraite. S'y ajoute bien entendu le minimum minimorum: un casier judiciaire vierge. Pour autant, ce qui constitue en réalité des modifications obligatoires du règlement intérieur des assemblées peut-il être assimilé à une loi sur la moralisation de la vie publique? Certainement pas.
Le Président de la République en est bien conscient puisqu'il a ajouté une règle de non-cumul dans le temps des mandats (trois maximum, ce qui est déjà considérable), l'interdiction de cumuler un mandat parlementaire et une fonction de conseil, enfin une réduction du nombre de parlementaires. Ce second sujet s'inscrit moins dans une logique de moralisation que dans un esprit d'efficacité et de transformation du travail parlementaire; en effet a partir du moment où le non-cumul des mandats dans l'espace se met en place, la présence permanente des députés à l'Assemblée nationale change la donne et rend possible un travail législatif de meilleure qualité comme un véritable contrôle du gouvernement sans pour autant que le nombre de députés reste aussi important. En se réduisant en nombre et en disposant d'une véritable équipe, les députés pèseront infiniment plus, renforçant ainsi le rôle du Parlement devenu trop souvent au final une chambre d'enregistrement de fait des instruments dits de rationalisation du parlementarisme.
Mais la moralisation de la vie publique ne saurait s'arrêter là. La Haute autorité de la transparence, la commission nationale de contrôle des comptes de campagne et financement des partis, des organisations non-gouvernementales comme Transparency International ont à plusieurs reprises formulé des propositions très construites sur les réformes à engager qui touchent essentiellement à deux domaines:
- Le financement des partis et de la vie politique
- L'encadrement des lobbys et le combat contre les conflits d'intérêts.
Le premier sujet est extrêmement vaste et il est indispensable de s'y attaquer. Entre les micro-partis style Jeanne, l'affaire Bygmalion, la caisse noire du RPR-UMP-LR au Sénat, les scandales n'ont pas manqué. Il faut permettre à la commission nationale des comptes de campagne de contrôler les dépenses et les recettes des partis politiques; il faut interdire les micros partis ou tout au moins supprimer la défiscalisation dont ils bénéficient. Les conditions mêmes du financement des partis politiques qui passent par les candidatures obligatoires à l'Assemblée nationale devraient être repensées pour permettre un financement des différents mouvements de pensée qui s'expriment dans la vie politique sans être nécessairement représentés ou très représentés à l'Assemblée nationale, sans obliger à une multiplicité des candidatures au premier tour des élections législatives, aux seules fins d'obtenir un financement. Mais, il faut également s'intéresser aux biens mal acquis par certains partis politiques pour que ceux-ci ne puissent pas être valorisés comme n'importe quel patrimoine, en oubliant ainsi l'origine de l'acquisition de ces biens.
S'agissant de l'encadrement des lobbys du combat contre les conflits d'intérêts, la seule interdiction de cumuler les activités de conseil et de parlementaires ne suffira pas. Il faudra aller beaucoup plus loin et la transparence des liens d'intérêts directs ou familiaux des différents parlementaires est indispensable. Il faudra s'intéresser également à la situation des assistants parlementaires qui devront bénéficier d'un véritable statut interdisant une double rémunération, limiter l'accès des lobbys au Parlement et créer un déontologue doté de pouvoirs et d' une responsabilité personnelle étendue. La création d'un registre des représentants d'intérêts et son contrôle sont également indispensables de même que la publicité donnée au rendez-vous avec les parlementaires, ce que les décrets d'application de la loi Sapin 2 ont refusé.
Enfin, la moralisation de la vie publique passe par un autre rapport avec les citoyens. Nous ne sommes pas des administrés, des "décidés", des gérés faces à des administrateurs, des décideurs et des gestionnaires. La société n'est pas binaire et les citoyens ont des droits reconnus pourtant depuis 1789 et souvent mal appliqués. Le Président de la République a annoncé son intention de revoir le conseil économique social et environnemental. C'est indispensable pour en faire une chambre de la société civile et du long terme. Mais, les citoyens doivent pouvoir accéder directement à leurs représentants en ligne, disposer d'un droit de pétition et bénéficier d'une démocratie participative qui est la garante de la qualité des décisions prises en amont et de leur contrôle en aval.
Nous pouvons tous comprendre l'urgence d'une loi sur la moralisation de la vie publique. Mais, si celle-ci se limite à satisfaire une vision passéiste et étriquée du sujet, ce sera malheureusement un coup d'épée dans l'eau.
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