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Energie
Reportage

Dans l’antre du Prélude, le plus grand bateau au monde

Il est "hénaurme", hors-norme: le bateau fabriqué par l’armateur Samsung Heavy Industries et le parapétrolier TechnipFMC pour le pétrolier Shell, le Prélude est la plus grande usine flottante du monde. Reportage au sein de ce monstre. 

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Le Prélude, le plus grand pétrolier du monde, fabriqué en Corée par l'armateur Samsung Heavy Industries et le parapétrolier TechnipFMC pour le compte du géant Shell.

Le Prélude est un un FLNG (Floating Liquefied Natural Gas): une véritable usine flottante qui permet de transformer le gaz offshore en gaz naturel liquéfié.

DR/Shell

C’est le plus grand objet flottant du monde. Un monstre, un animal qui défie l’imagination. Fabriquée en Corée par l’armateur Samsung Heavy Industries et le parapétrolier TechnipFMC pour le compte du géant Shell, la «chose » baptisée Prélude fait 488 mètres de long et 74 mètres de large, une surface équivalente à quatre terrains de football. Elle pèse 260.000 tonnes, le poids de 650 Airbus, de 36 Tour Eiffel. Elle dispose de deux pistes d’atterrissage pour les hélicoptères et peut résister à un cyclone de classe 5 avec des vents supérieurs à 250 kilomètres/heures. Quand les réservoirs de la barge seront pleins, celle-ci pèsera six fois plus que le plus lourd des porte-avions. Sur le chantier naval de Geoje au sud de la péninsule coréenne, la gigantesque coque orange de Prélude fait de l’ombre aux autres bateaux, méthaniers, vraquiers, porte-containers pourtant de taille respectable. Prélude est une usine flottante. Sa mission: recueillir le gaz offshore et le transformer à même l’embarcation en gaz naturel liquéfié (GNL). Dans le jargon des pétroliers, Prélude est ce qu’on appelle un FLNG (Floating Liquefied Natural Gas). Avec le FLNG, plus besoin de créer une usine de liquéfaction à terre. Les méthaniers viennent se ravitailler en GNL en s’accrochant directement à la barge. Plus besoin de fabriquer de coûteux gazoducs pour acheminer le gaz sur les côtes. Prélude qui dispose de douze cuves pourra stocker 5,2 millions de tonnes d’hydrocarbures: 3,5 millions de GNL, 0,4 million de GPL et 1,3 million de condensats (pétrole léger). En unité de pétrole, cela donne 120.000 barils/jour. En quantité de liquide, l’équivalent de 175 piscines olympiques. Enorme.

Un joyau de l'industrie des hydrocarbures

Dans quelques mois, Prélude va quitter définitivement le chantier de Geoje. Il sera remorqué au nord-ouest de l’Australie, à 200 kilomètres des côtes. De la Corée, la traversée prendra une trentaine de jours. Le FLNG restera dans les eaux de l’océan Indien environ 25 ans. Puis il ira accomplir d’autres missions sur d’autres champs gaziers pendant encore un quart de siècle. Projet XXL, Prélude est le dernier joyau de l’industrie des hydrocarbures. Un joyau jalousement préservé par Shell et Samsung. La moindre parcelle d’information pourrait donner de précieux renseignements aux autres majors et aux armateurs concurrents, notamment les Coréen Daewoo et Hyundai. Le coût du FLNG est évalué à 14 milliards de dollars par le cabinet Citi. Shell ne dit rien. Même la date de départ de la barge pour l’Australie est gardée secrète… Le géant britannique a toutefois autorisé quelques visiteurs à se rendre sur le FLNG. C’était une première. Elle a eu lieu vendredi dernier et nous y étions. Nous n’avons pas été déçus du voyage.

 

(En photo: Alain Poincheval, directeur exécutif du projet Prélude pour TechnipFMC)

Avant de pénétrer à l’intérieur des entrailles de la bête, il faut revêtir l’uniforme ad hoc. Une salopette, des chaussures de chantier, des gants, des lunettes de protection, un casque. On monte sur la barge en empruntant un ascenseur. Dès l’arrivée sur le premier pont, on est saisi par le gigantisme des lieux. Tout est démesuré, la jungle de tuyaux jaunes enchevêtrés les uns aux autres, les cordes, les câbles, les chaudières. Les bras de chargement de gaz pèsent 130 tonnes, la torchère mesure 120 mètres. Certains équipements viennent de France (les pompes), d’autres du Japon (les chaudières), des Etats-Unis (l’échangeur cryogénique), d’Australie (les grues), d’Allemagne (les turbines). Le plus gros composant est le système d’amarrage, appelé touret. Il fait 50 mètres de diamètre et pèse 13.000 tonnes. Conçu à Monaco, puis développé à Dubaï, il a été assemblé sur l’embarcation en 14 modules. Puis il a été emboîté au centre du FLNG. Il sera amarré à 250 mètres au fond de la mer par pas moins de seize ancres. L’usine flottante sera constamment en mouvement au gré des vents et de la houle et tournera autour du touret.

Une véritable tour de Babel

Prélude est une ruche. Ca va et vient dans tous sens. Les techniciens s’affairent entre les échafaudages, transportant des tubes d’acier, des barres de fer… « Excuse me, excuse me», entend-on dans les coursives. Coréens, Français, Malais, Australiens, Indonésiens, Indiens…, la barge est une vraie tour de Babel. Aujourd’hui, ils sont encore 3000 à bord. Il y a un peu plus d’un an, au plus fort de l’activité, c’était le double : 5000 chez Samsung, 1000 chez TechnipFMC, l’entreprise chargée de la conception et la construction. Sur le FLNG, tous les corps de métier sont représentés : soudeurs, tuyauteurs, peintres, électriciens, câbleurs, instrumentistes, spécialistes de calorifugeage… Les TechnipFMC sont en rouge, les Samsung en gris, les Shell en jaune. Certains techniciens sont munis d’un baudrier et de mousquetons à la manière des alpinistes. Pour se protéger de la poussière, la plupart portent un masque de protection et un foulard. On n’aperçoit alors que la fente de leurs yeux. Quand le FLNG aura atteint sa destination finale, ils ne seront plus que 140 à bord. Le personnel fera alors des rotations de trois semaines. Ils rejoindront la côte australienne par hélicoptère. Une partie des équipes de TechnipFMC présente en Corée ira travailler à Perth, lieu de la filiale australienne. Grâce à une liaison en fibre optique, les ingénieurs seront en lien direct avec le FLNG et pourront à tout moment visualiser les opérations.

Prélude est une prouesse technologique. Il a fallu miniaturiser l’unité (à terre sa surface est quatre fois supérieure), imaginer ce que pourrait être une usine de liquéfaction au milieu de la mer et trouver les solutions permettant de réaliser l’opération. Pas simple, la houle est un vrai casse-tête quand il faut liquéfier le gaz à une température de -162 degrés. « Quand le bateau est au plus bas et qu’il remonte, il y a une amplitude de 50 mètres», indique Alain Poincheval, directeur exécutif du projet Prélude pour TechnipFMC.  Autre défi à régler, celui du transfert de fluide entre le FLNG et le méthanier. L’embarcation qui se vide monte et celle qui charge descend. Attention aux secousses, car avec le gaz sous pression, les risques de fuite sont plus importants.

Des équipes mobilisées à Paris, en Inde, en Malaisie

A quelques mois du départ en Australie, le chairman exécutif de TechnipFMC, Thierry Pilenko, est confiant. Pour lui, ce contrat avec Shell est emblématique. « Tout a commencé en 2007, raconte-t-il. Je venais d’arriver chez Technip et j’avais mon premier rendez-vous avec le directeur du gaz de Shell à La Haye. C’était une réunion de présentation informelle. Elle devait durer un quart d’heure, on s’est quitté au bout de trois heures. On avait la même vision sur le GNL. » Shell a ensuite mis en concurrence Technip avec deux autres sociétés, les Japonais JGC et Chiyoda. Ces derniers se sont associés à deux autres armateurs, Daewoo et Hyundai. In fine, c’est le duo Samsung-Technip qui l’a emporté. Le parapétrolier a  fait travailler ses équipes à Paris, mais aussi en Inde (à Chennai) et en Malaisie (Kuala Lumpur). « Dans ce type de projets, la clé, ce n’est pas que la technologie, c’est aussi la manière de structurer le contrat», indique Thierry Pilenko. Shell aurait voulu un contrat global au forfait. Le parapétrolier a refusé. Trop risqué. Pour plus de sécurité, le contrat a été saucissonné au fur et à mesure des étapes. « On a tenu les délais et les coûts », se félicite le chairman exécutif. Pour TechnipFMC, Prélude est un projet rentable, dans l’épure de sa division onshore/offshore qui dégage une marge de 7%.

Prélude sera-t-il rentable côté Shell ? Pas sûr. La décision de lancer le FLNG a certes été prise en fonction du contexte particulier de l’Australie. Un pays  où le coût de la main d’œuvre est prohibitif (dix fois plus élevé qu’au Moyen-Orient) et où il est difficile d’obtenir la décision d’implanter une usine de liquéfaction. En outre, installer un éventuel gazoduc en Australie eut été compliqué en raison des récifs qu’il eût fallu contourner. Au début des années 2010, la plupart des pétroliers ne juraient que par les FLNG. La consommation de GNL était en plein boom (+7% par an depuis les années 1990) et les prix du gaz très élevés. Shell comptait commander un FLNG tous les dix-huit mois.

Un seul autre FLNG géant

Aujourd’hui, après la catastrophe de Fukushima, la consommation de GNL continue de croître. Le Japon a besoin de gaz pour suppléer à la fermeture de ses centrales nucléaires. Idem pour la Chine et l’Inde qui, transition énergétique oblige, tentent de substituer le charbon au gaz. Cependant, les conditions de marché ne sont plus les mêmes. Les prix du gaz et du GNL, dans le sillage de ceux du pétrole, se sont effondrés. Résultat, l’appétence pour ces grands objets flottants a diminué. Shell et le Malaisien Petronas sont pour le moment les seuls pétroliers à avoir développé un FLNG.  La barge de Petronas, baptisée Satuet réalisée en association avec TechnipFMC , est moins imposante que Prélude. Elle ne mesure « que » 365 mètres. Mais elle a été achevée l’an dernier. Aujourd’hui, elle est amarrée dans les eaux au large de Bornéo. Sa première cargaison de GNL a été déchargée en avril dernier. Petronas va construire un second FLNG avec cette fois le Japonais JGC. Pour le moment, c’est la seule nouvelle affaire en cours. Il y a trois ans, Engie avait renoncé à son FLNG Bonaparte en Australie Occidentale. Des projets de barges XXL sont bien évoquées ici ou là : au large du Mozambique avec l’Italien ENI,  en Guinée Equatoriale avec le Britannique Ophir Energy, au Cameroun avec le Français Perenco. Mais ce ne sont que des projets. La décision finale d’investissement n’a pas été prise. Les FLNG seraient-ils un rêve d’ingénieur destinés à être remisés au placard ? Peut-être pas. « L’avantage des FLNG, c’est qu’ils sont construits dans un chantier naval, ce qui permet de bien encadrer les coûts », note un expert du secteur. Certaines usines de liquéfaction à terre ont connu des dérives importantes. C’est le cas du projet Gorgon LNG du pétrolier américain Chevron. Le chantier va dépasser les 50 milliards de dollars selon le cabinet Citi, alors que le coût initial était de 32 milliards. Thierry Pilenko reste un fervent défenseur des usines en mer. Le chairman exécutif de Technip note que Prélude est une tête de série. Et que les futurs FLNG pourraient voir leurs coûts diminuer de 20%. Pilenko pense notamment au Brésil où des méga découvertes ont été réalisées. « Tôt ou tard, il faudra un FLNG pour le Brésil

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