Boris Boillon : l'homme qui s'était trompé de film

L'ancien ambassadeur Boris Boillon, jugé pour avoir transporté clandestinement une forte somme en liquide, a défendu ses activités en Irak.

Par

Nommé ambassadeur à Tunis en 2011, l’ex-conseiller diplomatique chéri de Nicolas Sarkozy comparaît à la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris. 
Nommé ambassadeur à Tunis en 2011, l’ex-conseiller diplomatique chéri de Nicolas Sarkozy comparaît à la 11e chambre du tribunal correctionnel de Paris.  © PHOTO PQR/LE PARISIEN/MAXPPP

Temps de lecture : 5 min

Il arrive teint halé, chemise éclatante et large sourire devant la 11e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, radieux comme si l'on s'apprêtait à célébrer quelque noce, alors qu'il comparaît aujourd'hui pour abus de bien sociaux, blanchiment de fraude fiscale, faux, usages de faux et manquement aux obligations déclaratives de transferts de capitaux. Mais il est comme ça, Boris Boillon : se trompant systématiquement de film, se gourant toujours un peu de registre.

Le point du soir

Tous les soirs à partir de 18h

Recevez l’information analysée et décryptée par la rédaction du Point.

Votre adresse email n'est pas valide

Veuillez renseigner votre adresse email

Merci !
Votre inscription a bien été prise en compte avec l'adresse email :

Pour découvrir toutes nos autres newsletters, rendez-vous ici : MonCompte

En vous inscrivant, vous acceptez les conditions générales d’utilisations et notre politique de confidentialité.

Nommé ambassadeur à Tunis en 2011, l'ex-conseiller diplomatique chéri de Nicolas Sarkozy s'était pris pour James Bond, acceptant au mépris de la réserve qui sied aux représentants de l'État de poser en smoking/Ray-Ban dans un journal jet set : l'article, titré « Boillon, my name is Boillon » et largement distribué par ses soins aux réceptions de l'ambassade, avait provoquait l'hilarité consternée de ses pairs. Et lorsque le 31 juillet 2013, l'ex-diplomate qui circule ce jour-là sans pièce d'identité, un sac bourré de billets de banque à la main, aperçoit les douaniers qui effectuent des contrôles de hasard à l'embarquement du Thalys, il fait brusquement demi-tour, se planque derrière un pilier et se fait dès lors immanquablement repérer. Il aurait fallu jouer Gabin dans Touchez pas au grisbi, il a fait du Pierre Richard dans Le Grand Blond avec une chaussure noire

À la barre comme pour un entretien d'embauche

Ce matin, dans ce tribunal où chacun l'observe avec curiosité, on s'attendait à le voir adopter un profil discret étant donné la gravité des faits qui lui sont reprochés, mais il bombe le torse, fanfaronne, porte loin sa voix grave. Au président de la 11e chambre, Peimane Ghaleh-Marzban, qui lui demande d'évoquer sa carrière et notamment son passage brutal du monde de la diplomatie à celui des affaires, il déploie avec flamboyance son C.-V. comme s'il passait un entretien d'embauche : « Je suis un homme d'action, M. le Président, plutôt que le placard doré que l'on me proposait, un poste bien payé à ne pas faire grand-chose – ses confrères en disponibilité du Quai d'Orsay apprécieront –, j'ai préféré fonder ma propre société. » Il ose citer, sans rire, Henri Bergson – « Il faut agir en homme de pensée, et penser en homme d'action » –, mais le magistrat guère impressionné s'étonne plutôt de ce mélange des genres : prospectant dans un Irak encore dévasté pour y déployer ses toutes nouvelles activités de conseils à la tête de sa société Spartago, Boillon signe ses courriers « Ancien ambassadeur de France »… « Est-il conforme aux usages d'accoler son titre de diplomate à celui d'un président de société ? » demande le juge. « Je n'ai pas à en avoir honte », répond Boillon, crânement.

Avant même d'en venir au délit de fraude fiscale, il est question aujourd'hui de démêler l'écheveau compliqué qui voit donc cet « ancien ambassadeur », moins de deux ans après avoir quitté son poste à Bagdad, recevoir près de 400 000 euros en liquide pour un supposé rôle de conseil et de facilitateur entre entreprises irakiennes et françaises dans la conduite d'un projet de construction d'un stade olympique géant. Premier mystère : pourquoi ce paiement en liquide ?

« La journée va être longue, Monsieur Boillon, il faut garder son calme »

Boillon martèle à la barre que dans cet Irak encore très désorganisé qui sort de la guerre civile, les virements internationaux ne sont pas sécurisés, le règlement par chèque, l'obligeant à monter une société locale, est à exclure, et que pour toucher dans ce pays dangereux ce « salaire de la peur », il n'y a pas d'autre moyen que les liasses de billets. Le président de la 11e chambre lit alors au tribunal une interview du même Boillon ambassadeur en poste à Bagdad. « Il y a une vraie sécurité des moyens de paiement en Irak », assure à l'époque le diplomate qui n'est pas encore devenu business man. C'est cruel. Implacable. Alors Boillon s'énerve. « Mettre cette interview dans ce dossier, c'est une farce », tonne-t-il, souvent éruptif, n'hésitant pas à interrompre sans façon, et constamment, le magistrat. Mais celui-ci, toujours courtois, maîtrisant parfaitement le dossier, recadre : « La journée va être longue, Monsieur Boillon, il faut garder son calme. » Et il ironise tranquillement : « Si je comprends bien, puisqu'il n'y a là-bas pas d'autre moyen que d'être payé en liquide, si nous allons à Roissy à l'arrivée du Bagdad-Paris, il n'y a qu'à ouvrir toutes les mallettes des hommes d'affaires présents et elles seront bourrées de billets de banque ? » Murmures amusés dans la salle.

Mais il y a un second mystère : cette somme on ne peut plus conséquente a-t-elle rétribué un travail véritable ? La chaleur monte dans les rangs du tribunal, dehors le soleil cogne, et cet après-midi Boris Boillon, sans doute briefé par son avocat, en rabaisse un peu. « Je vous le dis franchement, il y a un parfum de corruption dans ce dossier », a dit tout à l'heure le président. L'ombre d'un certain Adil Alkenzawi plane sur les débats. Cet homme d'affaires irakien semble en effet devoir beaucoup à l'énergie avec laquelle Boris Boillon a milité tous azimuts pour sa naturalisation française et sa nomination comme Consul honoraire de France dans le sud de l'Irak. Or c'est la société de ce M. Alkenzawi, Ur, une petite entreprise d'architecture, qui a hérité de cet énorme marché public que représente la construction d'un complexe sportif de 30 000 places, dont le coût s'élève à 100 millions de dollars. « Comment, avec une si petite société, a-t-il fait pour obtenir ce marché ? » interroge le magistrat. « Vous savez, il y a des faiblesses structurelles aux appels d'offres en Irak, et j'ignore dans quelles conditions ce contrat a été signé », dit Boillon, qui ne vient jamais à la barre sans de drôles de petites fiches qu'il annote au crayon. Fiches ou pas, il s'embrouille pas mal, hélas, pour expliquer son rôle et justifier sa rétribution. « Dans ce pays en reconstruction, on a quand même le sentiment que des millions se retrouvent dans certaines poches pour des résultats à peu près inexistants », regrette le magistrat.

« Panem et circenses… » a pompeusement cité Boillon tout à l'heure à la barre. Du « pain et des jeux », voilà ce à quoi les Irakiens, traumatisés par le conflit, aspiraient selon lui : d'où la construction de ce stade. Seulement, les Irakiens attendent toujours. Stoppé en 2015, le complexe sportif est encore aujourd'hui, et sans doute pour longtemps, un chantier en friche. Si des douaniers n'avaient pas intercepté un peu par hasard, un soir de juillet 2013, un drôle de type à Ray-Ban planqué derrière un pilier, Boillon aurait pourtant touché de ce vaste projet qui n'a jamais abouti près de 400 000 euros en liquide…

Ce service est réservé aux abonnés. S’identifier
Vous ne pouvez plus réagir aux articles suite à la soumission de contributions ne répondant pas à la charte de modération du Point.

0 / 2000

Voir les conditions d'utilisation
Lire la charte de modération

Commentaires (5)

  • renarde

    Et on ne cesse de nous dire que "tous pourris" est excessif et infondé §

  • Ferula

    Avant chaque élection, il se trouve un haut fonctionnaire, de droite, bien sûr, mêlé à un trafic d'argent ? C'est vrai que quatre ans, c'est relativement rapide pour un tel procès en corruption !

  • chantorm

    Comme les autres prêt à tout pour gagner les élections. Écœurant