Menu
Libération
Blagues douteuses

Attentat de Manchester : des trolls s'amusent à inventer des disparus

Attentat de Manchesterdossier
Des internautes ont inondé Twitter de faux avis de recherche après l'attentat, jouant ainsi sur la solidarité des twittos les plus crédules.
par Jacques Pezet et Pauline Moullot
publié le 23 mai 2017 à 14h35

Comme à chaque attentat, les réseaux sociaux ont été un des principaux canaux pour obtenir ou partager des informations sur la situation à Manchester. Ainsi, Facebook a de nouveau activé son SafetyCheck (pour indiquer qu'on est en sécurité) et le hashtag #RoomForManchester («Un refuge pour [les victimes] de Manchester») a été lancé sur Twitter cette nuit. Sauf qu'en parallèle, des trolls profitent du drame pour s'amuser à faire ce qu'ils savent faire le mieux : pourrir les discussions avec des blagues douteuses. Et puisque les internautes sont de moins en moins crédules (les faux auteurs, les fausses vidéos circulent de moins en moins après les attentats) et les médias plus prudents (à l'exception près des tabloïds Daily Express et Daily Star qui ont repris les fausses rumeurs de coups de feu près d'un hôpital), il ne leur reste plus qu'à se jouer de la solidarité des internautes.

«Tromper le public»

A Manchester, des dizaines de photos d'adolescents disparus ont circulé toute la nuit, suscitant des milliers de retweets. Des mosaïques recensant près d'une quarantaine de disparus ont aussi été partagées. Sans surprise, c'est donc sur ce créneau que les trolls ont décidé de jouer. La recherche de personnes disparues. Et parmi les photos réelles partagées par des familles inquiètes, se sont immiscées celles de personnes bien vivantes, habitant parfois à des milliers de kilomètres de Manchester. Une photographe australienne a ainsi été choquée de voir la photo de sa fille alors que celle-ci se trouvait au même moment à l'école.

On trouve aussi la photo d'un YouTubeur américain, Report of the week. Le tweet de son soi-disant «père» à la recherche de son fils a été partagé plus de 16 000 fois. Le jeune homme dont la photo a été utilisée a dû publier une vidéo depuis les Etats-Unis pour expliquer qu'il était bien vivant et qu'il s'agissait d'une tentative par des trolls de «tromper le public avec des fake news pour en rire».

Idiotie crasse

A l'origine du fake, un troll qui se revendique du «Gamer Gate Movement» (un mouvement misogyne de gamers né sur Reddit, Twitter et 4chan à l'été 2014).

Ce qui fait le plus rire ? Voir que le Daily Mail a repris la mosaïque comprenant la photo de Report of the week, ou qu'il a les honneurs de Buzzfeed News, qui dément son hoax. Dans la matinée, il a même changé sa biographie sur Twitter pour y ajouter la description que Buzzfeed a faite de lui. Loin de supprimer sa blague en voyant l'ampleur qu'elle prenait, il continue à partager son tweet d'origine et à «blaguer». Aux internautes qui lui font remarquer qu'il aurait au moins pu attendre quelques jours avant de faire de l'humour noir, il répond : «Est-ce que les enfants seront moins morts dans quelques jours ?»

Il revendique clairement le trolling post-attentat. Dans un tweet faisant référence à Sam Hyde (un suprémaciste blanc accusé d'être l'auteur de chaque attaque), il explique qu'il faut «utiliser une nouvelle personne pour être original».

Alors qu'il suffit de remonter le fil de @GamerGateAntifa pour comprendre qu'il n'est qu'un blagueur malfaisant, d'autres ont choisi de troller en adoptant un profil plus discret, donc plus crédible. «S'il vous plaît retweetez», a réclamé en capitales une certaine Kylie Manser à la recherche de son prétendu petit frère, obtenant ainsi plus de 16 000 partages. Une simple recherche inversée permet de voir que la photo est en fait celle d'un enfant posant pour une marque de vêtements pour trisomiques. Mais le profil Twitter, créé en février, et n'ayant à son actif qu'une dizaine de tweets sans conséquences, apparaît moins ouvertement comme celui d'un troll. Le but recherché est pourtant le même : se jouer de la bonne volonté d'internautes plus crédules.

Face à l'idiotie crasse de ces trolls, on appréciera tout de même que certains utilisateurs de Twitter n'ont pas attendu les fact-checkers pour traquer les fausses informations. Beaucoup ont su se servir des outils de vérification d'images pour signaler les faux disparus et ainsi limiter les recherches. Au cours de la nuit, le twittos @howell a régulièrement mis à jour une grille, en marquant en vert les personnes retrouvées et d'une croix rouge celles identifiées comme fausses ou qui ne se trouvaient pas à Manchester.

Malheureusement, l'effort fourni par ces utilisateurs du réseau social n'a eu que très peu d'impact : le corrigé le plus partagé d'@howell a été relayé moins de 300 fois. On est bien loin des partages obtenus par les trolls, qui bénéficient de l'élan de solidarité commun à chaque attentat.

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique