La revanche de Monica Lewinsky

«Son rêve était mon cauchemar». C’est dans le New York Times, et sous ce titre, qu’elle a choisi, mardi, de s’exprimer. Monica Lewinsky, que l’on résume souvent injustement aux mots «stagiaire», «robe» et «Bill Clinton», s’est fendue d’une opinion pour évoquer Roger Ailes, le fondateur de Fox News récemment décédé. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle ne l’épargne pas. Car son rêve était son cauchemar.

Roger Ailes était une personnalité contestée. Accusé de harcèlements sexuels, il a été contraint de quitter la chaîne il y a moins d’un an. Le républicain a créé Fox News en 1996, une chaîne devenue par la suite très prisée des conservateurs. Il a également conseillé Richard Nixon, Ronald Reagan, puis George W. Bush père pendant leurs campagnes. Sans oublier Donald Trump.

Monica Lewinsky lui en veut beaucoup. Son «affaire» – sa relation intime avec le président Bill Clinton – a été rendue publique en 1998, deux ans après la création de la chaîne. Roger Ailes, écrit-elle, en a profité pour faire une «saga Lewinsky», en décortiquant l’affaire 24 heures sur 24h, de façon sensationnaliste, en quête de chaque détail, et pendant de longues semaines, dans le seul but de faire fructifier Fox News. Et la «magie» a opéré. John Moody, un des responsables de la chaîne, a osé avouer dans une interview: «Monica était le rêve devenu réalité pour une chaîne d’informations en continu».

En clair, Monica Lewinsky était devenue leur poule aux oeufs d’or, leur vache à lait. «Leur rêve était mon cauchemar», écrit-elle. «Ma famille et moi nous nous retranchions à la maison, inquiets à l’idée que je puisse finir en prison – j’étais la première cible de l’investigation du procureur indépendant Kenneth Starr, menacée de 27 ans d’emprisonnement pour faux témoignage -, ou tout simplement que je puisse m’ôter la vie. Et pendant ce temps, Monsieur Ailes et ses employés de Fox News dictaient aux présentateurs télé ce qu’il fallait dire pour exploiter au mieux cette tragédie personnelle et nationale».

A cause de l’acharnement de Fox News, et d’Internet qui prend son essor, elle se fait traiter de putain, de souillon, de bimbo. «Et même pire». La «Monicagate», hyper médiatisée, part en spirale. La «stagiaire de la Maison Blanche» est traquée en permanence par les paparazzis dès qu’elle tente de sortir de chez elle. Elle écrit: «Quelques jours seulement après que l’affaire a éclaté, Fox demandait aux téléspectateurs de répondre à cette question: “Monica Lewinsky est-elle une fille dans la norme ou une jeune personne immorale cherchant à faire sensation?”». Pour elle, c’est le début de la «culture de l’humiliation». En 2014, elle se confie à Vanity Fair. Elle dit estimer être la première victime d’une campagne d’humiliation mondiale sur internet. En mars 2015, elle en parle dans le cadre d’une conférence TED.

Aujourd’hui, femme d’affaires épanouie, Monica Lewinsky a un combat: lutter contre la cyberintimidation, les chantages et lynchages par internet, qui poussent parfois des jeunes au suicide. Chez Fox News, écrit-elle encore, la culture de l’exploitation ne se limitait visiblement pas à ce qui était diffusé à l’écran, comme l’ont prouvé des témoignages d’employées victimes de harcèlements sexuels. Elle espère que la disparition de Roger Ailes mettra définitivement fin à ces pratiques agressives et irrespectueuses.

Ironie de l’histoire, Roger Ailes a profité d’un scandal sexuel – l’affaire Lewinsky – pour développer Fox News et faire carrière, mais c’en est un autre qui l’a forcé à démissionner. Le sien.

Valérie de Graffenried

Valérie de Graffenried est la correspondante du Temps aux Etats-Unis.

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