Ils voulaient quitter l’Afrique centrale pour le sud du continent, en quête d’une vie meilleure. Leur voyage a viré au cauchemar. Le photographe italien Luca Sola les a rencontrés. Interview.

D’où est venue l’idée de ce projet photographique ?

LUCA SOLA – Après avoir passé dix ans au Moyen-Orient, je me suis installé en Afrique du Sud. Alors que je couvrais des inondations au Malawi, en 2015, j’ai pris conscience d’une évidence dont on ne parle pourtant pas en Europe : le flux des migrants qui se dirigent vers le sud du continent est supérieur à celui de ceux qui se rendent en Europe, aux États-Unis ou au Canada. Changer de perspective fait partie des privilèges attachés au métier de journaliste. Et il arrive que l’on puisse aider les autres à changer de point de vue. C’est ce que j’ai essayé de faire avec ce travail : modifier notre vision eurocentrée des migrations et corriger les stéréotypes qui lui sont liés.

Comment avez-vous procédé ?

Je collabore régulièrement avec des ONG et des agences de l’ONU. À partir de 2015, je me suis ainsi rendu dans des camps de personnes déplacées et des prisons de différents pays d’Afrique centrale et australe : République centrafricaine, Malawi, Mozambique, Zimbabwe, Tanzanie et Lesotho. Je suis ensuite resté sur place, avec le soutien logistique de ces organisations, pour travailler à mon projet personnel. Entre dix jours et un mois à chaque fois, le temps d’installer cette relation d’empathie que je cherche à faire apparaître dans mes photos.

La plupart des migrants que j’ai rencontrés sont originaires d’Afrique centrale (République centrafricaine, république démocratique du Congo) et de la Corne de l’Afrique (Somalie et Éthiopie). Ils fuient la pauvreté et les conflits. L’Afrique du Sud étant le pays le plus riche du continent, c’est là qu’ils se rendent principalement. Ceux qui y parviennent vivent le plus souvent dans des townships.

Pourquoi certaines de vos photos sont-elles prises dans des prisons ? Quel lien avec les migrations ?

Au Malawi, l’immigration illégale est punie de six mois d’emprisonnement. En général, les migrants commencent leur périple munis d’argent et de papiers. Mais ils se font voler en chemin par les passeurs. Comme le Malawi est un pays pauvre, il n’a pas les moyens de les reconduire à la frontière à l’issue de leur détention. J’ai ainsi rencontré des migrants, des Éthiopiens, qui étaient emprisonnés depuis trois ans, sans perspective de libération.

Pourquoi ce titre, Stimela ?

C’est le titre d’un morceau du célèbre jazzman sud-africain Hugh Masekela. Stimela, en zoulou, désigne le train à vapeur que prenaient les migrants d’Afrique centrale, dans les années 1900, pour venir souffrir et mourir dans les mines d’or et de platine. Choisir ce titre était pour moi une façon de lier mon projet à la culture de mes sujets.