La sculptrice Camille Claudel, un talent qui sort de l'oubli

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La sculptrice Camille Claudel, un talent qui sort de l'oubli

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Camille Claudel et Jessie Lipscomb dans leur atelier rue Notre-Dame-des-Champs en 1887.
Camille Claudel et Jessie Lipscomb dans leur atelier rue Notre-Dame-des-Champs en 1887.
- Photographie de William Elborne

Le premier musée au monde consacré entièrement au travail de la sculptrice Camille Claudel sera inauguré à Nogent-sur-Seine le 26 mars. Muse et maîtresse d'Auguste Rodin, dont on célèbre cette année le centenaire de la mort, l'œuvre et le destin tragique de Claudel sont en tous points fascinants.

Toute sa vie, elle a été ramenée à son frère, l'éminent homme de lettres Paul Claudel, et à son illustre amant Auguste Rodin. L'inauguration d'un tel lieu symbolise la reconnaissance enfin assumée d'une artiste écartée du monde de l'art et de la société. Le premier musée consacré à Camille Claudel ouvre ses portes dans la ville de Nogent-sur-Seine, dans l'Aube. Dans la maison familiale des Claudel, où la sculptrice vécut trois années durant, sont exposées 43 de ses œuvres. Avec une archive de 1994 du documentaire Une vie, une oeuvre intitulé "L'Or de Camille Claudel", appréhendons le destin de cette immense artiste au-delà de sa relation avec Auguste Rodin, dont on fête le centenaire de la disparition.

A ECOUTER Anne Delbée, Bruno Gaudichon : Camille Claudel, de la muse au musée

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La venue au monde d'un talent

Née en 1864, Camille Claudel est une figure complexe, intimement liée à l’histoire d’un autre grand sculpteur, Auguste Rodin, dont elle fut l’élève puis l’amante. Une grande partie de l’œuvre de la sculptrice est traversée par la question de la relation à l’autre, de sa relation à Rodin. Elle traite de ce fait beaucoup de la solitude. L'originalité de Camille Claudel réside dans l'aspect autobiographique de son œuvre dans laquelle elle aborde tous les thèmes de la vie : l'enfance, la vieillesse, l'amour, le portrait… Souvent interprété de façon réductrice, l'aspect autobiographique ne se cantonne pas à l’état de sa relation avec Rodin, mais relève d'un processus de sublimation des événements de sa vie personnelle. Elle n'a pas vingt ans quand elle rencontre Auguste Rodin à Paris après une formation artistique autodidacte. Lui a le double de son âge. Un an plus tard, en 1884, Camille Claudel intègre l'atelier constitué par Rodin à Paris. Tous deux tombent amoureux et Camille travaille d'arrache-pied à la réalisation des pieds et des mains pour les statues du grand maître.

Nous sommes donc à la fin du XIXe siècle et les salons parisiens n’ont jamais vu Camille Claudel. Par choix, elle se place en retrait alors que Rodin jouit volontiers des mondanités comme le témoigne cette lecture d'une correspondance entre les deux artistes :

Lettres d'Auguste Rodin à Camille Claudel

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A LIRE : Pour Rodin, "tout ce qu'il a sous la main est prétexte à positionnement dans l'espace"

Une sculptrice dans l'ombre du maître

Exposition au musée La Piscine de Roubaix en 2014 à l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Camille Claudel.
Exposition au musée La Piscine de Roubaix en 2014 à l'occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Camille Claudel.
© AFP - DENIS CHARLET

Les œuvres de Claudel datant de cette époque prolifique portent toutes l’influence de Rodin. Mais le savoir-faire claudélien ne fait aucun doute. Sa force réside dans le fait d'être à la fois naturaliste et très proche de la réalité anatomique, le tout avec une esthétique symbolique. Lorsque Camille Claudel crée et fait un marbre, une sorte de rage émane d'elle. Les œuvres de Claudel sont incarnées, comme l'explique dans cette archive de 1994 Nicole Barbier, conservatrice du Musée Rodin : "Les œuvres sont très vivantes, la manière dont sculpte Camille c’est la vie même, c’est le souffle qui les anime. On ne le retrouve nulle part ailleurs, même pas chez Rodin qui est un art beaucoup plus viril, beaucoup moins spiritualisé que celui de Camille. Celui de Camille est très intériorisé, ce qui le rend très émouvant."

Claudel et Rodin : entre reconnaissance et rivalité

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Il y a une période de réciprocité dans le travail entre Claudel et Rodin et une indivision artistique. Elle a vécu sous la coupe de Rodin pendant longtemps. Et pour Camille, c'était un honneur de travailler à La Porte de l'enfer, donc elle n'a pas vu que Rodin la spoliait, lui prenait ses idées. Nicole Barbier, conservatrice du Musée Rodin.

A ECOUTER : Clotho, sculpture de Camille Claudel (Les Regardeurs)

Séparation et destruction des œuvres

Quinze ans plus tard, c'est la rupture définitive de ce lien artistique et affectif, Rodin n'a pas voulu quitter sa compagne des mauvais jours, Rose Beuret. Cette période post-rupture fait émerger les plus belles sculptures de Claudel comme La Valse ou la célèbre L’Âge mur, qui figure la séparation Claudel-Rodin. Celle-ci représente Claudel à genoux essayant en vain de retenir un Rodin déterminé qui s’en va en compagnie de Rose Beuret. Mais Camille souffre d'une psychose paranoïaque. Elle est persuadée que ceux qu’elle nomme la bande à Rodin veulent lui nuire à elle et à ses sculptures. Pour se protéger de Rodin, elle détruit un nombre incalculable d’œuvres : cela signera le début de son autodestruction comme le spécifie Nicole Barbier : "Sa destruction d’œuvre s’inscrit dans ce registre-là, elle n’a pas pu supporter cet excès de violence en elle et elle l’a renvoyé sur ses œuvres. Ses œuvres étant une partie d’elle-même, c’est une sorte d’automutilation qu’elle s’inflige."

L'œuvre de Camille Claudel après sa rupture avec Rodin

2 min

Elle a eu tout contre elle la pauvre. Ce que j'ai su grâce à la correspondance entre Paul Claudel et Marie Romain Rolland, c'est que Rodin l'avait forcée à avorter. Donc il l'a privée de son enfant. Et après ça, commence la folie, enfin la folie c'est vite dit ! D'ailleurs, Claudel dit toujours 'ce que l'on appelle la folie'. Ce qu'on appelle sa folie, c'est qu'elle ajoute à ça la conviction que Rodin veut lui prendre aussi ses œuvres. Le moyen de se défendre ? Elle les démolit, elle les détruit." Jean Grosjean, dans Une Vie, une œuvre.

Camille Claudel (1864-1943) "L'Age mûr" Vers 1902 Groupe en bronze en trois parties.
Camille Claudel (1864-1943) "L'Age mûr" Vers 1902 Groupe en bronze en trois parties.
- © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / Thierry Ollivier

A quarante-neuf ans, quinze ans plus tard, c'est l'internement psychiatrique pour toujours : elle meurt trente ans plus tard, en 1943, sans avoir jamais revu Rodin, sa mère, ni accepté de recommencer à sculpter. L'univers de Camille apparaît comme clos à l’image de ses sculptures toujours emprisonnées, emmitouflées dans un voile, dans leurs cheveux… "Sa vie est terrifiante et terriblement émouvante mais elle-même n’a pas arrangé les choses dans ses rapports avec les gens, avec les artistes, avec les critiques d’art, avec sa famille, avec personne. Elle était vraiment enfermée sur elle-même", conclut Nicole Barbier.

Dans le documentaire de 1994, Jean Grosjean, auteur d’une préface consacrée à la vie de Camille Claudel, fait un parallèle entre le destin de Camille et celui de Rimbaud notamment "par la candeur qui les anime". Selon lui, les deux artistes étaient sûrs qu’ils allaient tout changer sans se prêter à rien. Auguste Rodin avait dit à son propos : "je lui ai montré où trouver de l’or, mais l’or qu’elle trouve est à elle."

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