Menu
Libération
Initiative

Grande vieillesse : éviter le naufrage

Plus du tiers des résidants en maison de retraite y seraient contre leur gré. Des personnalités appellent à imaginer un accompagnement des personnes âgées plus respectueux de leur souhait.
par Eric Favereau
publié le 25 mai 2017 à 19h36

Le choix est incertain : rester «chez soi» ou partir en Ehpad, c'est-à-dire dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ? «C'est la vie, qu'est-ce que vous voulez qu'on y fasse ? Jamais j'aurais cru… Jamais, jamais je pensais que j'irais dans une maison de retraite», lâche ainsi une vieille personne, dont le témoignage a été recueilli dans une thèse de médecine présentée en 2016 par la docteure Anne-Sophie Villain.

Ils sont près de 700 000 à vivre en institution. Certains à leur initiative. Mais pas tous. Loin de là. Pour ceux qui ne veulent pas, comment - dans certains cas - les aider à s’y préparer ? Ou alors comment briser cette fatalité ? Bref, comment donner la parole jusqu’au bout aux vieux ? Ou, une fois en Ehpad, comment continuer à maintenir un chez-soi quand on n’est plus chez soi ? Depuis bientôt deux ans, un groupe constitué de chercheurs, de sociologues, de médecins, de membres de l’association de vieux Old Up mais aussi de jeunes travaille sur ces questions.

Signatures éclectiques

Ce groupe n'a pas de réponse toute faite. Il a rédigé un appel-manifeste, que Libération publie (lire ci-contre). On retrouve dans la liste des signataires de grands noms de la médecine, comme la Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi, les professeurs Régis Aubry, Olivier Saint-Jean, Axel Kahn, des chercheurs comme Alain Touraine, Philippe Bataille, des intellectuels comme Marcel Gauchet, mais aussi des artistes comme Ariane Mnouchkine, l'écrivain Daniel Pennac et d'anciens ministres tels que Bernard Kouchner, Dominique Gillot, George Pau-Langevin, des économistes comme Jean-Baptiste de Foucauld… Un panel de signatures éclectique.

«Peut-être est-ce parce que nous sommes la première génération à voir nos parents finir leur vie dans ces lieux, et que pour rien au monde on voudrait y aller», lance le Dr Nicolas Foureur, qui travaille au centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin. Aujourd'hui, la situation autour de la grande vieillesse est indéniablement confuse. Bien des choses se jouent sur l'entrée ou non en institution. Et bien souvent, les décisions sont prises à l'insu des personnes concernées.

La loi est pourtant catégorique : avant d'entrer dans un Ephad, le consentement de la personne âgée doit être formellement recueilli. Dans les faits, ce n'est pas le cas et, par exemple, la majorité des médecins généralistes remplissent des demandes d'inscription dans ce type d'établissements sans même l'accord de leur patient. Une étude, dite «Ehpad 2000», a révélé que seulement «38,1 % des résidants ont déclaré avoir pris part au processus d'entrée». Une autre recherche, qui date certes d'il y a cinq ans, a été menée autour du Pr Dominique Somme, qui dirige aujourd'hui le service de gériatrie du CHU de Rennes. Publiée dans le bulletin du ministère de la Santé, elle pointe des chiffres impressionnants : sur 4 000 résidants dans 584 établissements pour personnes âgées, à peine 16 % ont reconnu que «leur entrée est liée à une décision personnelle». Moins d'un pensionnaire sur deux a eu son mot à dire. «Les résidants ont souvent vécu leur institutionnalisation comme un acte imposé par l'entourage, où leur participation intervient assez rarement», a explicité le Pr Dominique Somme. Celui-ci notant que le décideur principal de l'entrée en maison de retraite est d'abord la famille, suivie par le médecin et, «dans 7 % des cas, le résidant n'a pas su dire qui avait participé à sa demande d'entrée en institution».

«Ils veulent que je parte»

A qui la faute ? Rien n'est simple dans ce moment où l'on risque de quitter son domicile. La plupart du temps, il n'y a pas de décision qui s'impose. A l'image de ces propos de résidants, repris dans la thèse de la Dr Villain. «Je suis un peu en prison quand même ici. Enfin pas en prison si vous voulez, mais j'ai perdu mes décisions personnelles», explique une résidante. Une autre pointe du doigt le manque de médecins : «La raison pour laquelle j'ai quitté ma maison de Rennes, c'est que les médecins ne veulent plus se déplacer, c'est à nous, les malades, d'aller les voir. Vous croyez qu'ils ne pourraient pas se déplacer quand même pour une personne comme moi ? Ils ne le font pas. Et c'est pour ça que je me suis décidée à partir, en grande partie pour ça.» L'entourage est souvent dépassé, les proches aussi. Et les bonnes intentions sont là, nombreuses. «Ils veulent que je parte pour que je voie des gens. Ils veulent… pour que je discute, pour que je joue aux cartes, tout le bordel… Ça ne m'intéresse pas», s'énerve une femme. D'autres arguments sont mis en avant, comme celui de la protection de la personne très âgée qu'il faudrait installer dans un univers sans risque : «J'étais tombée deux fois, ça avait été mal accepté [par la famille] : "Pourquoi est-ce que tu n'as pas quelqu'un ? Pourquoi est-ce que tu ne vas pas ailleurs ?" Mon fils était arrivé, il m'avait trouvée par terre. J'étais toute seule.» Autre témoignage d'une résidante en maison de retraite : «J'avais tout, j'avais l'appareil, le truc là, la téléalarme, j'avais tout… Mais [mes proches] avaient toujours peur parce que je tombais sans arrêt. Ils s'attendaient toujours à quelque chose.» Dans ce genre de situations, la personne âgée se retrouve à passer les derniers mois de sa vie en institution, sans avenir, sans avoir eu la possibilité de faire autrement. «Est-ce une fatalité ? se demandent les signataires. Peut-on réfléchir à autre chose ?»

L'objectif du manifeste est de provoquer un débat public et de monter une structure dont les contours restent à définir, pour que les vieux soient d'abord entendus, puis accompagnés, et non plus obligés. «Leur préserver un chez-soi», insiste un des signataires. «Aujourd'hui, les politiques publiques n'ont pas cet objectif. Elles disent : "On va créer des nouvelles places dans les Ehpad." Alors que ce n'est pas cela l'enjeu.»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique