A l'issue des formations, 78 % des élèves en moyenne décrochent un CDI, un CDD, ou poursuivent leurs études.

A l'issue des formations, 78 % des élèves en moyenne décrochent un CDI, un CDD, ou poursuivent leurs études.

SDP

Quartier Python-Duvernois, dans le 20e arrondissement de Paris, dans l'est de la capitale. Un territoire en pleine mutation, où de grandes barres d'immeubles longeant le périphérique abritent chômeurs, jeunes désoeuvrés et familles monoparentales défavorisées. Pas vraiment une adresse très glamour. Pourtant, c'est bien là que l'école Simplon, spécialisée dans la formation aux métiers du numérique, a décidé d'implanter sa 35e antenne, en début d'année. Passé l'entrée aux peintures colorées façon tag, c'est une ambiance loft, béton au sol et salles de cours vitrées, qui accueille les visiteurs. Installé à la grande table en bois, dans la pièce centrale qui fait office de cantine et de salle de réunion, Gilles Azdir, 23 ans, mord dans son sandwich, en compagnie de quelques camarades de "promo".

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Sa promo ? Une trentaine de jeunes lancés dans une formation de six mois - gratuite et certifiante - au métier de développeur Web. Jean délavé, baskets, cheveux noirs et bouclés, Gilles ne boude pas son plaisir : "On apprend à créer des sites, des applis Web et mobiles, c'est passionnant et c'est un secteur qui recrute... Dire que je n'avais jamais fait une ligne de code de ma vie avant de venir ici !" Sans diplôme, ce jeune homme né dans le quartier a enchaîné les petits boulots dans la restauration pendant trois ans, jusqu'à ce qu'une amie lui parle de Simplon. Il postule "la boule au ventre". Sa niaque séduit le jury. "Ici, ils ne regardent pas le diplôme ni l'expérience précédente, mais uniquement notre motivation", témoigne Ahmadou Gueye, 24 ans, lunettes, veste de survêtement noire. "Les deux tiers des élèves de la promo ont un diplôme inférieur ou équivalent au bac et quatre sont des réfugiés", relève Laure Pichot, qui dirige l'antenne Simplon Paris 20.

Une école pour "tous ceux qui galèrent"

Depuis le lancement, en 2013, de la première école, près d'un millier de personnes ont suivi un cursus chez Simplon. A l'issue des formations, 78 % des élèves en moyenne décrochent un CDI, un CDD, ou poursuivent leurs études. Le concept a germé, il y a une petite dizaine d'années, dans l'esprit de deux jeunes diplômés boursiers du Celsa, Erwan Kezzar et Andrei Vladescu-Olt. Mordus d'informatique, ils passent leurs nuits à programmer, à "bidouiller du code". Quand Andrei découvre les boot camps de la Silicon Valley, qui forment au pas de charge des bataillons de développeurs pour nourrir des recruteurs toujours plus gourmands, c'est le déclic : "On a décidé de créer une école du numérique en France, destinée à tous ceux qui galèrent", résume Erwan Kezzar.

Les deux comparses soumettent leur idée à l'un de leurs anciens professeurs, Frédéric Bardeau, alors codirigeant d'une agence de communication spécialisée dans la responsabilité sociétale des entreprises. Enthousiaste, le quadra revend les parts de sa société et investit dans l'entreprise, à Montreuil. Rapidement soutenu par plusieurs business angels, le trio structure l'offre pédagogique. Avec deux mots d'ordre : gratuité des cours et formations qualifiantes.

Simplon forme dès le départ des développeurs Web, des managers de fab lab, et enrichit sa palette au rythme des besoins du marché. Avec Microsoft, Salesforce, IBM et d'autres, Simplon travaille sur des formations en cybersécurité, en intelligence artificielle ou encore en cobotique (travailler avec des robots). La pédagogie est innovante. Ici, pas d'élève passif et endormi au son de la voix du prof ! L'étudiant prépare son cours à la maison, directement sur Internet. En classe, il travaille sur des projets concrets en interaction avec l'enseignant et les autres élèves.

Rompre avec la fatalité du décrochage scolaire

Afin de valider l'acquisition des connaissances, pas de devoirs sur table pendant lesquels on entend les mouches voler. Au contraire, les élèves transmettent systématiquement ce qu'ils viennent d'apprendre. Au bout de quelques semaines, Ahmadou Gueye a, à son tour, initié des jeunes à la programmation. Et il n'en revient pas : "D'habitude, je suis timide, mais là, j'étais très à l'aise, ça m'a donné confiance en moi." Certains élèves ont même enseigné à des membres du comité exécutif d'Orange (partenaire de Simplon), venus jusqu'à Montreuil découvrir les bases du code.

Quatre ans après ses débuts, la méthode Simplon a essaimé dans 35 écoles réparties dans tout l'Hexagone, mais aussi en Roumanie, en Belgique et au Liban. Des ouvertures sont également prévues au Sénégal, en Tunisie et au Maroc. Il y a pourtant un an, l'entreprise a bien failli mettre la clef sous la porte. "On s'est lancés la même année que l'école 42, de Xavier Niel, mais sans la centaine de millions d'euros en cadeau de naissance", rigole Frédéric Bardeau. Car, au quotidien, piloter une entreprise sociale reste un véritable combat. Avec un chiffre d'affaires de 6 millions d'euros cette année, "Simplon est encore déficitaire, mais devrait repasser dans le vert lors du prochain exercice", promet son dirigeant.

Outre les subventions et le mécénat (60 % du chiffre d'affaires total), Simplon développe son activité en multipliant les prestations aux entreprises : conception de sites Web et d'applications mobiles et, depuis peu, formations au code à destination de collaborateurs fragilisés (plan social, compétences obsolètes...). Pour accélérer son développement, Simplon vient de lever 4,75 millions d'euros auprès d'un pool de huit investisseurs, dont la Caisse des dépôts et France active. "C'est une somme inédite dans le monde de l'économie sociale et solidaire. Avant nous, seule La Ruche qui dit oui ! avait levé 8 millions d'euros", se félicite Frédéric Bardeau, qui ambitionne de quadrupler le nombre d'élèves formés chaque année. Histoire de rompre avec la fatalité du décrochage scolaire.

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