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Insectes invasifs : un défi pour l'économie

L'impact sur l'économie des insectes déplacés par le commerce mondial ou le tourisme est considérable. Les chercheurs tentent de trouver des parades : arbres sentinelles, recours à la génétique, mise à contribution des populations... Un enjeu à 70 milliards de dollars par an.

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Par Jacques Henno

Publié le 23 mai 2017 à 01:01

Le 10 mai dernier, trois nids de mésanges ont été installés dans un jardin public de Montélimar, dans la Drôme, un département envahi par la pyrale du buis. La mésange est un prédateur naturel de ce papillon de nuit dont les chenilles dévorent les feuilles et l'écorce du buis. Originaire d'Asie, cet insecte est arrivé en France en 2008, sur des buis importés. Une femelle pouvant pondre jusqu'à 1.200 oeufs, trois fois par an, la pyrale commet des dégâts considérables qui entraînent souvent la mort de l'arbuste. Ces bois secs augmentent alors la vitesse de propagation des incendies. Quant aux abeilles, elles ne trouvent plus grand-chose à butiner après le passage de ces « charmants » papillons.

Pas sûr que trois mésanges suffisent à résoudre le problème : à l'heure de l'économie mondialisée et du tourisme de masse, les insectes se déplacent très facilement d'un pays à un autre. Dans leurs contrées d'origine, leur reproduction est régulée par un écosystème de prédateurs et de maladies; dans leur nouveau pays hôte, ils prolifèrent sans limites et y deviennent des « espèces invasives ». « Ils voyagent le plus souvent avec le bois, les plantes, les fleurs, les fruits et légumes ou encore les emballages. Certains jouent même les auto-stoppeurs : attirés par les lumières des aéroports la nuit, ils montent dans les avions en cours de chargement », explique Françoise Petter, directrice adjointe de l'OEPP, l'Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes, qui regroupe 51 pays d'Europe et du pourtour méditerranéen. « Chaque année, 25 millions de conteneurs arrivent dans les ports américains, dont la moitié contiennent des emballages à base de bois qui peuvent contenir des larves d'insectes », détaille Gary Lovett, chercheur senior au Cary Institute of Ecosystem Studies, un organisme de recherche installé à côté de New York, aux Etats-Unis.

Ajoutez le réchauffement climatique, qui permet désormais aux insectes d'Afrique du Nord de très bien vivre, par exemple, en Europe, et vous obtenez un mélange détonant. « Avant, la majorité des espèces exotiques introduites mettait une centaine d'années à coloniser tout le continent européen, maintenant une dizaine d'années suffisent », constate Alain Roques, directeur de l'unité de zoologie forestière de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique), à Orléans. Or, « chaque année, vingt nouvelles espèces d'insectes débarquent en Europe ! » ajoute Jean-Yves Rasplus, également de l'Inra.

Trois fois plus que les ouragans

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Les dégâts sont considérables : l'impact sur l'économie mondiale des insectes envahissants a été évalué, au bas mot, à 69 milliards d'euros par an, dans une étude menée entre autres par Franck Courchamp, directeur de recherche au laboratoire Ecologie, systématique et évolution (université Paris-Sud, CNRS et AgroParisTech). En comparaison, le coût des ouragans est estimé à 23 milliards d'euros par an.

Pour l'instant, la lutte contre ces insectes repose sur un triple filet de sécurité : avant la frontière, à la frontière et après la frontière. « Chaque pays doit examiner ses filières d'importation les plus susceptibles de favoriser l'arrivée de nouveaux insectes et établir les règles que doivent respecter ces importateurs », explique Shiroma Sathyapala, en charge de la protection et de la santé des forêts au sein de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture. Plus de 70 pays ont ainsi adopté la NIMP (Norme internationale de mesures phytosanitaires) qui oblige à faire subir aux bois d'emballage, y compris aux palettes, un traitement insecticide, par la chaleur ou par fumigation au bromure de méthyle. Le respect de ces règles est vérifié lors du passage de la frontière. « Mais ces règles sont purement dissuasives, car dans les faits vous ne pouvez pas tout contrôler », regrette Brian Leung, du département Biologie de l'université McGill, à Montréal, au Québec.

Après la frontière, les zones situées près des ports et des aéroports sont scrutées par des fonctionnaires, à la recherche de nouveaux arrivants. Certains pays, comme la Nouvelle-Zélande ou les Etats-Unis, font appel au grand public pour surveiller l'ensemble du territoire. En France, des chercheurs de l'Inra ont montré que l'on pouvait utiliser, avec un taux de réussite de 90 %, les images de Google Street View pour détecter la présence de la chenille processionnaire du pin, dont les larves consomment les aiguilles des pins et des cèdres. Commence alors le plus coûteux : tenter d'éradiquer l'envahisseur ou de ralentir sa progression (lire encadré).

Pour éviter d'en arriver là, il faudrait plus de prévention et de prospective. « Le citoyen européen doit être sensibilisé aux risques qu'il fait courir à la communauté en rapportant une plante de l'étranger », insiste Françoise Petter. « Les amendes infligées aux transporteurs négligents devraient être beaucoup plus conséquentes : aux Etats-Unis, ils ne sont condamnés qu'après cinq infractions et les compteurs sont remis à zéro tous les ans ! » souligne Gary Lovett.

Au niveau prospectif, l'OEPP met régulièrement à jour sur son site une liste répertoriant les insectes susceptibles de représenter un nouveau risque. Un des derniers entrés ? Le « Xylosandrus compactus », un coléoptère originaire d'Asie, qui s'attaque déjà aux arbres de la région du Latium, en Italie. Autre piste très prometteuse : les arbres sentinelles. « Grâce aux arbres sentinelles européens que nous avons implantés près de Pékin et d'Hangzhou, nous avons repéré une trentaine d'espèces d'insectes présents en Chine et susceptibles d'être dangereux s'ils arrivaient sur notre continent », révèle Alain Roques, de l'Inra. Inversement, des pièges, composés de plantes et d'arbres susceptibles d'attirer le plus d'insectes, ont été installés près d'une vingtaine de ports et d'aéroports français. En deux ans, plusieurs espèces de capricornes, jamais observées en Europe et susceptibles de causer de très gros dégâts aux mélèzes, ont été capturées. L'Inra explore également la voie moléculaire : on séquence l'ADN d'un insecte envahissant, puis on regarde si on le retrouve dans des prélèvements faits dans la nature. Enfin, une start-up slovène, TrapView, a mis au point un piège sur lequel viennent se coller les insectes et qui est automatiquement photographié à intervalles réguliers. Une alerte est envoyée si une espèce répertoriée comme dangereuse est détectée. Mais certains insectes adultes ne sont pas discernables sur une photo...

Comment éradiquer un insecte envahissant

Le choix de la méthode d'éradication dépend des caractéristiques de l'insecte.Les insecticides Ils sont de moins en moins utilisés, car ils présentent des effets néfastes et certains insectes deviennent résistants.La destruction physique des oeufs Elle est efficace si elle est réalisée par un grand nombre de volontaires.La stérilisation Des mâles stérilisés par irradiation sont relâchés par millions dans la nature.Les ennemis naturels Un prédateur, un parasite ou une maladie peut venir à bout de l'insecte.Les pièges de masse. Attirés par des hormones sexuelles odorantes, les mâles viennent se coller sur de la glu.La destruction des plantes hôtes La plante est réintroduite plus tard, quand l'envahisseur a disparu.La sélection d'individus naturellement résistants Alors que tous leurs congénères d'une même espèce sont atteints, quelques arbres restent intacts. Leur étude permet d'identifier les gènes favorisant cette résistance.

Jacques Henno

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