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Moyen Orient et Monde - Éclairage

À Bahreïn, les risques de radicalisation de la communauté chiite

Les exactions se poursuivent dans le petit royaume du Golfe, après le blanc-seing implicite de Trump à la répression.

Manifestation à Téhéran hier en soutien au cheikh Issa Kassem et à la communauté chiite de Bahreïn. Photo AFP

Quelques mots du président américain auront suffi. Depuis mardi, associations des droits de l'homme et activistes se relaient pour dénoncer la brutalité de la répression de la police bahreïnie à Diraz, accusant Donald Trump d'en être indirectement à l'origine. Depuis près d'un an, un sit-in est observé dans ce village chiite près de Manama, capitale du royaume, par les partisans du cheikh Issa Kassem, leader du mouvement d'opposition al-Wefaq. Mais ce n'est que le 23 mai qu'une opération a été lancée dans le but de démanteler ce sit-in destiné à dénoncer l'assignation à domicile du cheikh, déchu de sa nationalité en juin dernier et accusé d'incitation à la violence.

L'opération, qui a fait cinq morts au moins et des dizaines de blessés, est survenue 48 heures après une rencontre à Riyad entre le président américain Donald Trump et le roi bahreïni Hamad ben Issa al-Khalifa. Contrairement à Barack Obama, qui condamnait régulièrement les violations des libertés dans le royaume, notamment depuis le début du mouvement de contestation en 2011, le président américain n'a aucunement mentionné les droits de l'homme. Il s'est même démarqué de son prédécesseur en affirmant qu'il n'y aurait « pas de tensions avec (son) administration », sous-entendant que c'était le cas avec l'administration précédente. Son discours virulent contre l'Iran a également marqué les esprits, alors que les autorités bahreïnies accusent régulièrement la République islamique d'être à l'origine des troubles dans le royaume, majoritairement chiite. Le jour même, un tribunal bahreïni condamnait cheikh Kassem, accusé de « servir des intérêts étrangers » (en référence à l'Iran), à un an de prison pour blanchiment d'argent et collecte illégale de fonds.

Pour nombre d'ONG, le timing n'est pas anodin. Human Rights First a ainsi clairement dénoncé ces derniers jours la visite du président Trump, dont les paroles auraient, selon elle, été considérées par les autorités bahreïnies comme un blanc-seing à une répression accrue de la communauté chiite dans le petit royaume. « Sous Obama, les États-Unis ont gelé un accord de vente de chasseurs F-16, d'une valeur de plusieurs milliards de dollars, pour dénoncer les conditions des droits de l'homme dans le royaume et dans le but de le forcer à faire les changements adéquats. L'administration Trump s'est empressée de remettre l'accord sur les rails il y a quelques mois », avance Maytham el-Salman, un activiste bahreïni, membre du Bahrein Center for Human Rights (BCHR). Pour Claire Beaugrand, également, la coïncidence est troublante. « Si Trump avait affiché plus de fermeté face aux violences à l'égard de l'opposition, les forces de l'ordre seraient-elles allées démanteler le sit-in à ce moment-là ? On ne peut s'empêcher de se poser la question », souligne la chercheuse à l'IFPO, spécialiste des pays du Golfe.

Depuis, les manifestations, quasi quotidiennes depuis 2011, se poursuivent aujourd'hui encore, malgré la répression de la police, aidée par l'armée saoudienne, et malgré les avertissements du ministère de l'Intérieur contre tout « rassemblement illégal ». Les arrestations se succèdent, y compris celle de militants, de prêcheurs et de proches des victimes du « massacre de Fidaa », du nom de la place principale de Diraz où a eu lieu le démantèlement du sit-in à coups de bulldozers et de tirs de chevrotine. Certains membres des familles des victimes auraient même été transportés à l'hôpital militaire de Manama après leur convocation par la police. Il est cependant difficile de confirmer les informations qui circulent de manière continue sur les réseaux sociaux ou même qui sont diffusées par les autorités bahreïnies, que certains accusent ouvertement de fournir de faux bilans. Il y aurait plus de 10 morts et plus de 300 arrestations, d'après Ibtissam el-Saegh, une activiste.

 

(Lire aussi : Tirs sur des manifestants au Bahreïn : un mort et des dizaines de blessés)

 

 

Exactions à la chaîne
Obtenir des renseignements ou des éclaircissements est d'autant plus difficile que les forces de l'ordre n'hésitent pas à couper le réseau internet dans les villages à majorité chiite, dont certains, comme Diraz, sont pratiquement sous blocus depuis des mois, souligne Mme Beaugrand.

Ces mesures arbitraires s'ajoutent à une longue liste d'exactions commises par les forces de l'ordre, comme les exécutions sommaires, les interrogatoires violents, les vagues d'arrestations, la dissolution des mouvements d'opposition (al-Wefaq et al-Waad), la paralysie de la société civile, le contrôle de mouvement des habitants des villages suspectés d'abriter des poches « terroristes », l'interdiction de se rendre à certaines mosquées chiites, etc.

Dans ce contexte, les perspectives d'une solution pacifique, ou même d'un dialogue quelconque, s'éloignent de plus en plus. « Ils ont mis en prison leurs interlocuteurs. Ceux qui étaient prêts à négocier, comme le Wefaq et le Waad, n'existent plus ou presque », accuse la chercheuse. Et plus la répression se poursuit, plus elle a de chances de générer davantage de frustration et de colère, menant à une radicalisation accrue du mouvement d'opposition, dans une région déjà secouée par des troubles et des conflits. « La situation à Bahreïn reflète la tension qui existe entre l'Iran et l'Arabie saoudite. Les deux camps s'affrontent très clairement dans le royaume », souligne Mme Beaugrand.

Pour M. Salman, la solution réside dans une volonté réelle de la communauté internationale de faire pression sur le royaume. L'ONU, l'Union européenne et de nombreux dirigeants ont certes appelé le pouvoir à la retenue, mais sans effet. Il s'agit pour l'activiste de montrer les muscles. « La manière dont sont traités les chiites à Bahreïn ne fait qu'augmenter les griefs de cette communauté, pourtant majoritaire, dans le royaume, mais également dans toute la région. Refuser le dialogue pourrait s'avérer trop coûteux pour le pays, ou même la région, et le pouvoir doit y remédier avant qu'il ne soit trop tard. »

 

 

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