Alcoolisme, sexe mou et style ampoulé: que valait le James Bond original?

Alcoolisme, sexe mou et style ampoulé: que valait le James Bond original?
Sean Connery en James Bond, dans "Opération Tonnerre" (SIPA)

William Boyd s'apprête à publier en France son "007 novel". Avant de l'écrire, il a lu tous ceux de Ian Fleming. Verdict.

Par Le Nouvel Obs
· Publié le · Mis à jour le
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«Le Nouvel Observateur» publie cette semaine les bonnes feuilles exclusives du très attendu «Solo», la renaissance de James Bond par William Boyd, qui sortira en France le 13 mars, aux Editions du Seuil. Un grand entretien avec Jonathan Coe est également au menu. Cet abécédaire est tiré du dossier.

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«Avant d'entamer l'écriture de "Solo", mon roman sur James Bond, je me suis assigné, entre autres, la tâche de relire dans l'ordre chronologique tous les livres et les nouvelles de Ian Fleming, le crayon à la main afin de prendre des notes. Adolescent, j'avais littéralement dévoré les ouvrages en question mais, maintenant, des dizaines d'années plus tard, au moment d'écrire le mien, j'entendais les relire - cette fois consciemment, avec minutie, comme aucun lecteur ordinaire ne se soucierait sans doute jamais de le faire.»

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C'est ainsi que, se lançant à l'assaut de l'oeuvre de Fleming, Boyd découvre un autre Bond, à maints égards étranger à celui qu'il croyait bien connaître. Il a tiré de cette lecture ce réjouissant abécédaire où, d'Avion à Zographos (le nom d'un joueur que rencontre Bond dans la dernière oeuvre de fiction, demeurée inachevée, de Fleming), 007 passe aux rayons X.

Avion (voyage en)

L'avènement de James Bond et des romans de Fleming coïncide avec le développement du voyage aérien international. Cessant d'être le privilège d'une riche élite, prendre un avion - au lieu d'un bateau ou d'un train - pour se déplacer à l'étranger est devenu soudain presque banal. [...] Une observation intéressante: Bond, malgré tous ses voyages, n'est pas le plus heureux des passagers. Je me demande si ce n'est pas là un des traits du caractère de Ian Fleming lui-même.

Boisson

Bond est un buveur patenté. Ses goûts raffinés en matière d'alcool sont très bien documentés dans quantité de livres. Au fil de mes lectures, j'ai été sidéré par la capacité à boire de Bond et, telle une épouse inquiète mariée à un alcoolique, je me suis mis à compter les verres qu'il consommait. Dans «Moonraker», par exemple, durant sa partie de bridge cruciale avec le méchant, Bond avale d'abord une pilule de Benzedrine puis deux bouteilles de champagne.

Ian Fleming

Fleming était un être complexe, très perturbé. Il mourut en 1964, à l'âge de 56 ans, dans un état de «tristesse consommée» selon Ann, son épouse. [...] Pourquoi aurait-il été pressé de mourir, étant donné la fortune et l'immense célébrité dont il jouissait grâce à Bond ? Il y a là une curieuse comparaison à faire entre Fleming et Evelyn Waugh - des contemporains presque absolus et, au début des années 1960, tous deux écrivains anglais très célèbres. Fleming et Waugh se connaissaient fort bien - Waugh était un ami intime d'Ann Fleming -, mais ils se détestaient cordialement. Et pourtant ils soufraient l'un et l'autre de cette même lassitude misanthropique, de cette hâte de quitter la vie aussi vite que possible. Pour ma part, je pense que Fleming et Waugh ont commis une sorte de lent suicide à travers une consommation massive de tabac, d'alcool et de médicaments - et d'autonégligence généralisée. En 1963, Waugh rendit visite aux Fleming et déclara à un ami que son hôte n'en avait plus pour longtemps dans ce monde. [...]

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Style littéraire

Ici et là, dans les romans, le ton change de manière évidente, le style de Fleming se fait ampoulé. On peut en toute justice dire, je pense, que Fleming n'était pas un écrivain-né au sens où l'étaient ses contemporains, Graham Greene ou Evelyn Waugh. Fleming a créé un personnage de fiction immortel, connu dans le monde entier, un exploit que peu d'auteurs réussissent, mais la prose qu'il a utilisée pour décrire les aventures de Bond est, dans l'ensemble, quelconque. Et, il faut l'avouer, Fleming n'avait pas vraiment un grand don du dialogue. [...]

Tuer

Bond tue pas mal de gens - des douzaines au long des romans et des nouvelles - sans beaucoup de componction. Dans «Les diamants sont éternels», il descend un hélicoptère avec six passagers à bord et pense: «Six cadavres. Egalité, jeu et set.» A l'intérieur des services d'espionnage anglais, les services secrets n'assassinent pas. Mais le permis de tuer de Bond, son numéro 007, est aussi un permis d'assassiner.

X

Interdit aux mineurs. Sexe et violence. Par rapport aux critères d'aujourd'hui, le sexe, dans les romans Bond, est très banal et la violence aussi. Mais à l'époque de leur parution les livres furent condamnés pour leur côté explicite dans les deux catégories. Je me souviens qu'écoliers nous considérions le sexe décrit dans les Bond comme le sommet de la licence érotique. Alors qu'aujourd'hui c'est pratiquement de l'eau de rose: «Il libéra sa main droite et la glissa entre leurs corps, tâtant ses seins durs, chacun avec sa marque pointue de désir» («Vivre et laisser mourir»).

(Traduit de l'anglais par Christiane Besse)
© William Boyd, Seuil pour la traduction française, 2014

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