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Moyen Orient et Monde - Témoignage

« A Saydnaya, les gardiens torturent pour le plaisir, sans but, juste pour se distraire »

Connu pour être l'une des plus redoutables prisons de Syrie, le bagne de Saydnaya continue d'abriter les pires exactions du régime contre ses opposants politiques. Un ex-détenu témoigne.

Illustration Ivan Debs.

« Ils sont là pour torturer, sans objectif, simplement pour se distraire », lance Maher Esber, le regard assuré. De 2006 à l'été 2011, ce Syrien est passé par les geôles de Saydnaya, une prison située à 30 km au nord de Damas. Ce même centre de détention, pointé en février dans un rapport d'Amnesty International, pour avoir dissimulé au sein de ses murs près de 13 000 pendaisons depuis le début de la crise syrienne. Ce même lieu encore, que le département d'État américain désignait la semaine dernière comme étant l'abri d'un crématorium – les États-Unis accusant le régime syrien d'y dissimuler des « meurtres de masse ». Bref, un bagne, où aucun observateur international n'est autorisé à pénétrer, et où les pires exactions sont racontées par ceux qui y ont été détenus.

Maher Esber en a fait partie. Étudiant à Damas au milieu des années 2000, ce Syrien constitue à cette époque une association pour promouvoir les droits humains et les élections libres en Syrie. Un combat citoyen largement réprimé par le régime au pouvoir dans le pays. Les services de renseignements se mettent alors à la poursuite du jeune homme et de son entourage. Dans une nuit de l'année 2006, ils forcent l'entrée de son domicile et obligent le jeune activiste à les suivre.
« Bienvenue, on t'attendait », lance l'agent qui reçoit Maher, dans les locaux des services secrets, situés quelque part en banlieue de Damas. Si l'activiste sait qu'il est avidement recherché depuis déjà quelques mois, il ne peut imaginer qu'il restera enfermé dans ce bâtiment quatre mois durant. Pis, qu'il finira ensuite dans les geôles de Saydnaya, cette prison que tous les Syriens connaissent comme l'une des plus redoutables du pays. Après de multiples interrogatoires musclés et le début d'un procès, faussement maquillé de justice, Maher est transféré vers une prison dont il ne connaît pas encore le nom.

(Lire aussi : Des Syriens réclament la libération des détenus du "crématorium" de Saydnaya)

Un seul œuf
« Personne ne sait que tu vas être transféré à Saydnaya », affirme cet ex-détenu que L'Orient-Le-Jour a rencontré à Beyrouth. « Tu es poussé dans un camion, tes mains sont attachées, ton pull est sur ta tête: tu ne vois rien et tu ne sais pas où tu vas », explique-t-il en allumant une énième cigarette. Chaque prisonnier franchit alors les portes de cette prison les yeux bandés. Dès leur arrivée, tous subissent « une fête de bienvenue ». Un passage obligé où la violence se déchaîne, comme l'affirme Amnesty International dans son rapport d'août 2016 sur l'enfer des prisons syriennes. « Les nouveaux détenus y sont roués de coups, au moyen souvent de barres de fer ou de câbles électriques », écrit l'organisation. C'est à cet instant que Maher, averti par d'autres prisonniers, comprend qu'il a été transféré à Saydnaya.

Selon la gravité de la peine, les détenus restent alors enfermés pour une durée variable dans les sous-sols du bâtiment pénitentiaire. Une première étape dans le supplice de cette prison, où la torture qui y est perpétrée, est décrite comme la plus extrême. « Les gardiens torturent pour le plaisir, sans but, juste pour se distraire », commente Maher. Le jeune homme reste enfermé vingt-cinq jours dans ces souterrains, où les violences sont quotidiennes. « Une de leur méthode régulière est de suspendre le prisonnier à une barre de fer, vêtu d'un seul boxer, les yeux bandés, les poignets et les pieds liés », raconte le jeune Syrien, qui est parfois resté près de deux jours et demi dans cette position intenable. En parallèle, les privations de sommeil et de nourriture viennent affaiblir les nouveaux prisonniers. Au début de sa détention, Maher rapporte qu'il a attendu six jours avant que ses geôliers ne brisent son jeûne forcé. Un seul œuf lui a alors été donné.

Après presque un mois de torture quotidienne, ses geôliers l'accompagnent dans sa première cellule, où il reste isolé pendant près de huit mois. La deuxième que Maher intègre n'est pas plus large que la précédente, mais celle-ci est désormais collective. D'un peu plus d'un mètre carré, cette pièce peut accueillir jusqu'à douze personnes, rudement entassées. Comment une pièce peut-elle contenir autant de détenus? Maher répond froidement: « Ça ne rentre pas, évidemment, c'est d'ailleurs pour cette raison que chaque semaine, au moins une personne mourait asphyxiée. »

(Lire aussi : Révélations US sur la prison de Saydnaya : pressions sans conséquences ?)

Des codétenus membres des Forces libanaises

Au bout de quatre mois, il est à nouveau délogé pour une cellule à l'espace plus généreux. Ce nouveau transfert concorde avec le rendu de son procès, un an après l'ouverture de celui-ci. Les juges se sont finalement prononcés sur son sort: Maher devra rester douze ans dans les geôles de Saydnaya. Sa nouvelle « chambre », qu'il partage avec trente à quarante autres prisonniers, est essentiellement peuplée d'islamistes convaincus. « J'étais surtout avec des sympathisants d'el-Qaëda, des membres des Frères musulmans ou des futurs combattants de Daech, mais il y avait aussi des Kurdes ou des membres des Forces libanaises », raconte Maher. « Nous étions toujours placés avec des personnes aux idéologies différentes », ajoute-t-il.

Alors que certains de ses codétenus tentent de le rallier à leur cause, parfois de force, le début de la révolution syrienne approche. À cette époque, les prisonniers ont encore accès au journal d'État. Les quelques mentions sur les soulèvements en Tunisie, puis en Égypte, lui font rapidement comprendre ce qui commence à se dérouler en dehors des murs qui le retiennent. Advient alors, au début de l'année 2011, une vague de libération sans précédent: « 30 à 40 personnes ont commencé à être libérées par jour », se souvient Maher.
Il n'émet aucun doute quant aux objectifs de ces nouvelles évacuations: « Sur 1 500 prisonniers, détenus à cette époque, plus de mille avaient épousé l'idéologie islamiste. C'est notamment ces sympathisants que l'on trouve aujourd'hui dans les rangs d'al-Nosra ou de Daech », affirme-t-il, en évoquant une stratégie politique mise en place par le régime de Bachar el-Assad, régulièrement accusé d'avoir consciemment gonflé les rangs des jihadistes.

Maher ne sera libéré que quelques mois après, à l'été 2011. « Ils sont venus me chercher au milieu de la nuit et m'ont dit de me préparer avant que les services de renseignements arrivent », raconte-t-il. Le détenu ne sait pas alors à cet instant qu'il compte parmi ceux qui reverront prochainement l'asphalte des rues de Damas. En sens inverse, Maher reprend alors la route qui l'a conduit, cinq ans auparavant, dans l'enfer de Saydnaya, et rejoint les locaux des services de renseignements, où il était retenu juste avant son incarcération. Puis, il passe la même porte, de sortie cette fois, où le début de son purgatoire s'était ouvert en 2006. « Ce fut une énorme surprise », admet-il.

À sa libération, Maher choisit de reprendre le chemin du militantisme et rejoint rapidement les rangs de la révolution syrienne. Poursuivi une nouvelle fois par les services de renseignements, cet activiste acharné sillonne le pays afin d'échapper à une nouvelle détention. Mais les SR ne cessent de le traquer. Il décide finalement de prendre la route pour le Liban, où il y trouve définitivement refuge en 2013.
C'est désormais depuis le pays du Cèdre que Maher Esber continue son combat pour les droits humains en Syrie.

 

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commentaires (5)

Sednaya, une tâche indélébile au frond des Assad... Cela rend ce régime odieux, malgré tout ce qu'il a pu faire ) et pourrait encore faire) pour ce pays..."rebelle"

Chammas frederico

11 h 01, le 30 mai 2017

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Commentaires (5)

  • Sednaya, une tâche indélébile au frond des Assad... Cela rend ce régime odieux, malgré tout ce qu'il a pu faire ) et pourrait encore faire) pour ce pays..."rebelle"

    Chammas frederico

    11 h 01, le 30 mai 2017

  • Un sadisme fou pour une Syrie qui aperdu ses valeurs .

    Antoine Sabbagha

    19 h 49, le 29 mai 2017

  • ILS SONT AUSSI CHANCEUX LES PRISONNIERS QUE LEURS GEOLIERS NE LES MANGEAIENT PAS !!!

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 44, le 29 mai 2017

  • Une honte....il prend refuge au Liban mais il n'est pas en securite....la fin du monde ?????

    Soeur Yvette

    12 h 34, le 29 mai 2017

  • Il n'est pas en sécurité au Liban. Des dizaines de militants syriens de la liberté y ont été enlevés pour être remis aux SR syriens par une milice militaire libanaise qui occupe le Liban pour les intérêts de l'Iran et qui masque sa dictature derrière le slogan élimé de la lutte contre Israël.

    Saleh Issal

    10 h 21, le 29 mai 2017

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