Ferrand. Les acteurs clés du dossier témoignent [Exclusif]

Par Hervé Chambonnière

Les Mutuelles de Bretagnes ont-elles respecté la loi en louant un local à la compagne de Richard Ferrand, alors que ce dernier dirigeait la mutuelle en 2011 ? Les Mutuelles ont-elles été lésées dans cette opération ? Le Télégramme publie les témoignages exclusifs des protagonistes de cette affaire.

Des documents qui ont été remis à la presse, dont Le Télégramme, ce vendredi, révèlent que Richard Ferrand a signé lui-même le compromis de vente de l'immeuble (le 23 décembre 2010) qui a été acheté par sa compagne et loué ensuite aux Mutuelles de Bretagne, dont il était le directeur-général (il était également vice-président du conseil général et conseiller régional). Dans ce compromis de vente figure d'ailleurs une clause suspensive qui conditionne la vente du bien à la conclusion d'un bail avec les Mutuelles et à la création d'une société civile immobilière (SCI). 

Un ancien avocat et bâtonnier brestois, Alain Castel, qui était dans la boucle du dossier en question (défense d'un créancier du premier propriétaire), et qui dit avoir été "choqué" par le montage à l'époque, estime qu'une condition juridique n'a pas été remplie. Le conseil d'administration ne doit pas seulement être sollicité et se prononcer, ce qui a été les cas le 25 janvier 2011. Le code de la mutualité impose également, dans les conventions où un administrateur ou un dirigeant de la mutuelle est intéressé, même indirectement, que le conseil d'administration saisisse le commissaire aux comptes. Celui-ci doit alors rédiger à l'attention de l'assemblée générale, qui doit statuer, un "rapport spécial". Le fait de ne pas respecter cette procédure pourrait être susceptible de constituer une infraction pénale passible de 2 ans de prison et 30.000 € d'amende (cinq ans et 75.000 € s'il est fait obstacle à la procédure).

1 - La procédure légale a-t-elle été respectée ?

"Cette procédure n'a pas été déclenchée car nous n'y étions pas tenus juridiquement, affirme Joëlle Salaün, actuelle directrice-générale des Mutuelles de Bretagne. Les deux conditions qui imposent ce cas de figure (un prix supérieur à celui constaté sur le marché, et un lien juridique et patrimonial entre Richard Ferrand et sa compagne; NDLR : ils ne sont ni mariés, ni pacsés) n'étaient pas remplies. Tout était parfaitement légal."

Le Télégramme a pu joindre le commissaire aux comptes des Mutuelles de Bretagne (KPMG). Cet organe indépendant des Mutuelles, qui assure le contrôle légal des comptes et les certifie, confirme les propos de Joëlle Salaün : "Je suis tenu au secret professionnel, mais je peux vous assurer que la procédure a été respectée et qu'il n'y a aucun problème de légalité".

"Il existe un lien d'intérêt entre Richard Ferrand et sa compagne, estime un juriste en droit public et pénal que nous avons sollicité, l'avocat parisien Me Didier Seban. Il n'est pas besoin d'être marié ou pacsé pour partager un intérêt commun. La question ne pourrait être tranchée que si la mutuelle, seule habilitée à agir, saisissait le juge. Or il apparaît que le conseil d'administration a été informé de l'identité du bailleur, et dans ce cas il serait trop tard pour que la mutuelle puisse agir."

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2 - Pourquoi est-ce Richard Ferrand qui signe le compromis de vente ? Est-ce un document à charge ?

Rien d'illégal à ce que ce soit Richard Ferrand qui signe le compromis de vente. Nous avons pu l'interroger ce dimanche soir. Voici son explication : "L'immeuble allait être vendu aux enchères. Les Mutuelles de Bretagne cherchaient depuis un an un local qui répondait aux critères que présentait celui-ci. Il fallait à tout prix agir avant que le bien ne soit vendu aux enchères. Le notaire des Mutuelles m'a donc conseillé de réaliser ce compromis de vente, qui proposait un accord amiable avec le vendeur. Cela arrangeait tout le monde. Quant à la clause suspensive, j'aurais commis une grosse faute si celle-ci n'avait pas été rédigée ! Il n'était pas question que j'engage les Mutuelles sans solliciter l'accord du conseil d'administration ! Cet accord est intervenu un mois plus tard et l'acquisition réalisée, ensuite, en juillet. Cela a pris six mois, comme on me l'avait indiqué. Ce facteur temps a d'ailleurs été déterminant."

Le notaire des Mutuelles de Bretagne, Anne-Sophie Queinnec, confirme les propos de Richard Ferrand [Son interview complète]. "C'est moi qui ai proposé cette affaire à sa compagne et aux Mutuelles. C'est encore moi qui ai proposé le compromis de vente à Richard Ferrand car il fallait faire vite. L'affaire risquait de passer sous le nez des Mutuelles. Tout a été fait dans la transparence et dans le respect des règles et cela a d'ailleurs satisfait tout le monde. Où est le problème, sauf à vouloir nuire à Richard Ferrand ?"

3- Pourquoi le local n'a pas été proposé à la vente directement aux Mutuelles de Bretagne ?

Richard Ferrand l'avait déjà expliqué dans nos colonnes, le 25 mai dernier : "Un réseau de soins n’a pas à se constituer de patrimoine immobilier, hors son siège, et il doit privilégier l’investissement dans l’outil de travail." Sur ce point, Joëlle Salaün, actuelle directrice-générale des Mutuelles de Bretagne, tient exactement le même discours : "Sauf siège social, une mutuelle n'a pas vocation à investir dans l'immobilier. En cela, nous ne faisons d'ailleurs que suivre les préconisations du conseil départemental. Cette manière de fonctionner nous permet de conserver une souplesse que nous n'aurions pas si nous étions propriétaires. Si le local ne convient plus, s'il n'est plus adapté ou si cela ne fonctionne pas, ou si notre activité est en régression ou au contraire en augmentation, on peut ainsi réagir et changer rapidement."

4- Les Mutuelles de Bretagne ont-elles été lésées ?

C'est ce que semble penser l'ancien bâtonnier de Brest, Me Alain Castel, aujourd'hui retraité. Selon lui, il y a eu "enfumage". Comme l'avait déjà fait l'actuelle présidence des Mutuelles (Le Télégramme du 24 mai), la directrice-générale des Mutuelles réfute l'idée que les Mutuelles aient pu être flouées. "Monsieur Ferrand a, au contraire, développé les Mutuelles. Pendant vingt ans, il y a oeuvré et y a laissé beaucoup de temps et d'énergie. Je trouve dommage et triste toute cette affaire."

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Richard Ferrand estime, quant à lui, que cette location a même "fait gagner de l'argent" aux Mutuelles, grâce à "un prix de location inférieur aux prix pratiqués sur le marché" ("9,20 € HT le mètre carré, contre 10 € à 15 € dans le secteur en question").

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