L’explosion a réveillé Kaboul en sursaut. La déflagration a été si intense que toutes les vitres ont été soufflées dans les quartiers voisins, ceux de Shar-e-now et de Wazir Akbar Khan. Rapidement, dans les rues, les habitants découvrent des scènes de chaos, des trottoirs jonchés de débris, des voitures au pare-brise explosé. Le sol est taché de sang par endroits. Des hommes au visage et aux mains ensanglantés titubent, perdus. « Je n’ai jamais entendu une explosion aussi forte de toute ma vie », lance un commerçant de la Chicken Street, à 800 mètres du cratère de 20 mètres de circonférence et de plusieurs mètres de profondeur creusé sous l’emplacement d’origine du camion.

L’ambassade d’Allemagne, juste à côté, a subi d’énormes dégâts, ainsi que l’ambassade de France. « Toutes nos fenêtres ont volé en éclats, les bureaux sont détruits, et des plafonds se sont effondrés », raconte un employé de l’ambassade française. Le bureau de police à l’entrée, juste devant les murs de béton armé de la bâtisse, a été soufflé. Heureusement, poursuit l’homme, il n’y a ici que des blessés très légers. À l’ambassade d’Allemagne, en revanche, un gardien afghan a été tué, comme l’a confirmé le ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel.

« Je demande au gouvernement de mettre un terme à tout ça»

Devant l’hôpital Emergency, des centaines de personnes attendent des nouvelles de leurs proches. « Mon cousin travaille à côté de l’ambassade d’Allemagne. Il s’est retrouvé projeté en arrière en l’espace d’une seconde, puis il s’est évanoui. Quand il a repris conscience, il s’est aperçu qu’il était blessé à l’épaule », dit un habitant. Sur place, les blessés affluent durant des heures. Des victimes ensanglantées à l’arrière d’une jeep, d’autres emmenées dans des taxis, des voitures. La panique est perceptible sur chaque visage.

Une femme tremblante à l’entrée de la rue qui mène à l’ambassade de France tente de joindre son fils, mais elle est incapable de composer son numéro tant ses mains tremblent. Elle parvient finalement, avec l’aide d’une passante, à lui parler, tellement rassurée d’entendre sa voix lui dire que oui, tout va bien.

Il y a aussi cet homme en shalwar kameez, la tenue traditionnelle afghane blanche. Il n’a aucune nouvelle de son cousin, ne peut contenir sa colère : « ce n’est pas la première fois que cela arrive. J’ai déjà perdu un autre cousin. On en a assez ! Je demande au gouvernement de mettre un terme à tout ça, à toute cette violence ! C’est pour cela que les gens d’ici fuient en Europe. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ? Rien ». Sur le trottoir d’en face, un attroupement s’est formé autour de deux hommes à genou. Ils viennent d’apprendre la mort de leur frère. « Qu’ils aillent au diable tous ces étrangers, qu’ils aillent au diable ! », crie un homme.

Dégradation du contexte sécuritaire dans la capitale.

Qui est derrière cette attaque ? Nul ne peut le dire à cette heure. En lançant leur offensive de printemps, en avril, les talibans avaient prévenu qu’ils viseraient particulièrement les forces étrangères. Depuis 2014, ils refusent de s’asseoir à la table des négociations tant que les troupes américaines sont présentes sur le territoire afghan… Peu après l’attentat, mercredi, les « insurgés » ont démenti toute implication dans l’attaque meurtrière, qu’ils ont condamnée. Daech ? Certains l’affirment ici. L’organisation avait revendiqué en mars l’attaque meurtrière contre l’hôpital militaire qui a fait plus d’une centaine de morts, et plus récemment celui contre la radio télévision publique à Jalalabad, dans l’est du pays, où le groupe s’est implanté il y a deux ans.

L’attaque de mercredi met une nouvelle fois en lumière la dégradation du contexte sécuritaire dans la capitale. Les ambassades étrangères ont presque toutes rehaussé les murs de béton armé qui les entourent. De trois mètres de haut initialement, ils s’élèvent à présent à plus de six mètres, surplombés de fils de fer barbelés, renforcés par des blocs de sac de sable censés absorber le souffle des déflagrations. Des ambassades qui interdisent tout déplacement à leur personnel hors de la zone verte. Celle-là même où se trouvent la majorité d’entre elles.

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Les groupes armés en Afghanistan

Près de 40 % de l’Afghanistan est aux mains de groupes armés insurgés, islamistes radicaux, dont les talibans, notamment dans le Sud et les campagnes, et Daech, implanté dans l’Est.

Les Talibans ont annoncé le mois dernier le lancement de leur offensive de printemps. Chaque année, lors de cette reprise intense des combats, ils se fixent des objectifs. En 2017, ils avaient affirmé viser en priorité « les forces étrangères, leurs infrastructures militaires et de renseignement, et l’élimination de leurs mercenaires locaux ».

Daech multiplie depuis l’an passé les attaques à grande échelle. Le 23 juillet 2016, le groupe avait tué 80 personnes de l’ethnie Hazara à Kaboul ; en novembre il avait massacré 27 fidèles dans une mosquée chiite de la capitale ; le 8 mars, il avait ouvert le feu sur le principal hôpital militaire de Kaboul.