Deux jours après le second tour des législatives et au lendemain de la démission du gouvernement Philippe, la ministre des armées, Sylvie Goulard, a demandé, mardi 20 juin, à ne plus faire partie du gouvernement. Dans un communiqué, elle fait part de sa volonté de démontrer sa « bonne foi » quant à l’enquête préliminaire visant son parti, le MoDem.
Le parquet de Paris a ouvert, vendredi 9 juin, une enquête préliminaire pour « abus de confiance » et recel de ce délit. Le MoDem est dans la tourmente depuis quelques semaines pour avoir, comme d’autres formations, dont le FN, payé ses salariés sur des crédits dévolus aux assistants parlementaires des élus européens. Outre Mme Goulard, ont également été mis en cause M. Bayrou et Marielle de Sarnez, nommée ministre des affaires européennes après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidentielle.
Contacté par Le Monde, le ministre de la justice et président du MoDem, François Bayrou, a fait savoir que la décision de Sylvie Goulard était liée à des raisons « strictement personnelles » et ne remettait pas en cause la participation du parti centriste au futur gouvernement.
Bayrou, De Sarnez et Goulard mis en cause
François Bayrou est notamment impliqué par les informations du Canard enchaîné, le 14 juin. Sa secrétaire particulière, Karine Aouadj, aurait signé un avenant à son contrat en 2010, faisant d’elle l’assistante parlementaire de l’eurodéputée Marielle de Sarnez, qui aurait donc réglé la moitié, puis les deux tiers de son salaire sur le crédit européen dévolu à l’emploi de collaborateurs.
Le Parisien révélait déjà, jeudi 8 juin qu’un ancien employé du MoDem avait témoigné au parquet de Paris avoir été rémunéré en tant qu’assistant parlementaire de Jean-Luc Bennahmias au Parlement européen alors qu’il travaillait pour le parti. L’homme aurait fourni un contrat de travail ainsi qu’un avenant de « détachement » auprès de M. Bennahmias.
Il explique avoir été employé par le parti, mais avoir dû signer cet avenant, qui le nommait « collaborateur » de l’ex-élu européen. Il aurait ensuite été rémunéré par le parti et par le crédit d’eurodéputé, pour lequel il assure ne jamais avoir travaillé au quotidien.
Un système qui semble généralisé : France Info évoquait, jeudi 8 juin, dans une enquête, un total d’une dizaine de salariés du MoDem qui auraient été rémunérés en tant que collaborateurs d’élus, dont la standardiste du parti ou des membres de la cellule de communication.
Selon les informations de France Info, la ministre des armées, Sylvie Goulard, avait ainsi comme assistant parlementaire le responsable de la formation des élus du parti. Marielle de Sarnez, elle, employait comme assistante la cheffe de cabinet de M. Bayrou, Isabelle Sicart.
Coup de fil aux journalistes
Ce nouveau rebondissement tombe d’autant plus mal que Marielle de Sarnez, également concernée par l’enquête, est la nouvelle ministre des affaires européennes, et François Bayrou, patron du MoDem, ministre de la justice, est en charge d’une grande réforme de « moralisation de la vie politique ».
Autre élément embarrassant, alors que le MoDem se défend en assurant avoir « respecté toutes les règles », et nie le caractère frauduleux du contrat, assurant avoir suivi « toutes les obligations d’un employeur », François Bayrou a pris sur lui d’appeler des journalistes de France Inter qui enquêtaient sur cette affaire pour se plaindre de « méthodes inquisitrices ».
Le ministre assurait vendredi avoir agi « en simple citoyen », ce qui lui a valu un recadrage du premier ministre, Edouard Philippe : « Quand on est ministre, on n’est plus simplement un homme animé par ses passions, sa mauvaise humeur ou son indignation », a-t-il annoncé mardi 13 juin. Mais M. Bayrou ne l’entend pas de cette oreille, et assurait le même jour : « Chaque fois qu’il y aura quelque chose à dire à des Français, des responsables, qu’ils soient politiques, qu’ils soient journalistiques, qu’ils soient médiatiques, chaque fois qu’il y aura quelque chose à dire, je le dirai. »
Au départ, un « contre-feu » du Front national
Depuis mars, une vingtaine d’eurodéputés sont sous le coup d’une enquête préliminaire. Marielle de Sarnez, Brice Hortefeux, Jérôme Lavrilleux… font l’objet d’une enquête judiciaire concernant leurs assistants, à la suite de la dénonciation d’une de leurs collègues, la députée européenne Front national (FN) Sophie Montel.
Elle-même est visée, comme plusieurs élus européens frontistes, par une double enquête de la justice française et du Parlement européen sur leurs assistants parlementaires. Cette affaire, lancée en 2015 par le Parlement européen, a valu à Marine Le Pen d’être convoquée par la justice durant la campagne (elle avait refusé de s’y rendre).
Sophie Montel a donc tenté de lancer un contre-feu médiatique, en dénonçant à la justice plusieurs autres eurodéputés dont les assistants parlementaires travailleraient, selon elle, au service de leur formation politique. Nombre de personnalités visées ont annoncé qu’elles porteraient plainte à leur tour, pour dénonciation calomnieuse, contre Mme Montel. Cette dernière ne cache pas qu’il s’agit là avant tout d’une opération de communication, pour pointer « l’instrumentalisation politique » contre son parti.
Le cumul de fonctions, une réalité pour de nombreux assistants
Chaque eurodéputé dispose – comme un député ou un sénateur français – d’un crédit lui permettant d’employer des assistants – jusqu’à 24 000 euros au total par mois –, payé par le Parlement européen. Ces assistants peuvent être avec leur eurodéputé dans les enceintes de l’institution, à Bruxelles ou à Strasbourg, ou bien être basés « en circonscription ». Mais ils doivent travailler au service des activités du député européen.
En 2015, nous avions consacré une enquête aux 234 assistants parlementaires des 74 eurodéputés français. Nous avions montré que nombre d’entre eux avaient des mandats électifs ou des fonctions au sein d’un parti politique.
Si tous les partis français étaient concernés à des degrés divers, un parti se détachait alors très nettement des autres : le Front national, dont 17 assistants sur 63 avaient un mandat électif ou une fonction dans le parti (contre 5 sur 65 à l’UMP et 7 sur 43 au PS). Mais il n’était pas le seul ; 30 % des assistants du Front de gauche occupaient alors un mandat électif et 40 % une fonction partisane. Le MoDem était aussi concerné, avec 16 % d’assistants ayant une fonction partisane.
Le 9 juin, à 12 heures : modification du titre et de l’article avec l’ajout du témoignage d’un ancien employé du MoDem qui affirme avoir été rémunéré en tant qu’assistant parlementaire de M. Bennahmias.
Modification le 9 juin, à 14 h 30 : ajout de l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris.
Modification, le 14 juin, à 10 h 15 : ajout du nouveau cas de Karine Aouadj, des pressions de François Bayrou et de la réaction du premier ministre.
Modification, le 20 juin, à 14 h 30 : ajout de la déclaration de Sylvie Goulard, ministre des armées, indiquant ne plus vouloir faire partie du gouvernement.
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