« Je suis née dans ce quartier. J’ai acheté mon logement il y a quinze ans. Et il y a trois ans, on a fini les travaux avec mon mari. Pourquoi les autorités veulent nous faire partir ? » Regard droit, parler franc, Valeria Gryaznova est prête à se battre.

Avocate de 50 ans, cette « simple Moscovite » est à l’image de cette nouvelle forme d’opposition présente dans la société civile russe, qui a des revendications ciblées, privées, et les défend avec fermeté face aux autorités.

Dans sa cuisine tout confort, Valeria raconte son combat pour sauver ses 90 m2 refaits à neuf, alors que la mairie, avec le soutien du Kremlin, a lancé un vaste plan pour raser pas moins de 4 000 immeubles datant de la période soviétique. À la place, les autorités veulent construire des bâtiments plus hauts et des appartements plus modernes permettant de loger plus de familles, alors que Moscou, avec ses 12 millions d’habitants, manque de place.

20 000 manifestants contre le projet

Sur le papier, l’immense chantier a sa logique. Mais comme souvent en Russie, il a été mené sans consultation préalable puis sans dialogue. Avec un effet boomerang brutal, inquiétant pour les autorités à un an d’échéances électorales présidentielles et municipales.

« Tout a été fait dans l’improvisation et sans aucune transparence », déplore Valeria Gryaznova. Certes, les habitants doivent être relogés dans des logements de taille équivalente, mais pas forcément de même valeur. « Nous avons obtenu que notre immeuble soit exclu du plan. Mais l’expérience montre que, dans ce pays, on ne peut faire confiance à ce que promet le pouvoir », se méfie-t-elle.

Valeria Gryaznova est loin d’être isolée dans son combat. Depuis des semaines, l’opposition au projet municipal s’amplifie, s’organise. Le 14 mai, ils étaient 20 000 (5 000 selon la police) à manifester pour dénoncer ce que beaucoup considèrent comme une attaque des autorités sur la propriété privée. Une mobilisation aux cris de « non aux destructions », « contre les expulsions » qui a recommencé dimanche dernier.

« C’est un réel mouvement de colère des gens, rien à voir avec les manifestations anti-Kremlin », se justifie Valeria Gryaznova qui se veut apolitique et dont c’est la première participation à un mouvement de rue.

Les concessions limitées du pouvoir

Visiblement, le message passe, et les autorités multiplient les concessions. L’ampleur du programme a été réduite de moitié, passant de 8 000 à 4 000 immeubles concernés, les habitants pourront le contester devant les tribunaux, et des votes sont organisés localement pour ou contre les destructions.

Mais Vitalii Taranov, 30 ans, un des leaders de la protestation dans le quartier Marina-Roshcha, celui de Valeria, ne décolère pas : « Depuis le début, nous constatons l’attitude méprisante de notre pouvoir vis-à-vis du peuple. Les autorités pensent savoir mieux que les gens et veulent décider à notre place ! »

Les « khrouchtchevski », emblèmes d’une époque révolue

Au nord du centre-ville, Marina Roshcha est une zone d’habitations sans charme mais conviviale. Les rues sont quadrillées le long de trottoirs gazonnés, les immeubles sont séparés par de larges squares équipés d’aires de jeux pour les enfants. Sur son téléphone, Vitalii expose les photos de tours dans des quartiers bétonnés loin du centre. « Regardez où ils veulent reloger les habitants », s’inquiète-t-il, soupçonnant l’industrie du BTP de lobbying en faveur du plan d’urbanisme.

Vitalii Taranov se méfie aussi du vote organisé par la mairie sur son site Internet. « Avec les fraudes, ils peuvent obtenir le résultat qu’ils veulent. » La municipalité se défend, rappelle que les immeubles visés sont obsolètes. La plupart sont des « khrouchtchevki », ces barres de cinq étages en briques ou préfabriqués datant des années 1950-1960, lorsque l’URSS était dirigée par Nikita Khrouchtchev.

Ces logements individuels remplaçaient alors les appartements où cohabitaient plusieurs familles, ils étaient alors un luxe pour beaucoup. À Moscou et dans d’autres villes russes, ils sont, quoiqu’en mauvais état et loin des aménagements modernes, l’emblème d’une époque révolue et qui, chez beaucoup, éveille de la nostalgie.