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La fusion de deux trous noirs fait à nouveau trembler la Terre

La détection, aux Etats-Unis, de minuscules distorsions de l’espace-temps causées par la danse des deux « gloutons de l’espace » constitue une prouesse technologique.

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Publié le 01 juin 2017 à 17h04, modifié le 06 juin 2017 à 09h01

Temps de Lecture 5 min.

Vue d’artiste de deux trous noirs massifs spiralant l’un vers l’autre jusqu’à fusionner en un seul.

Et de trois. Jeudi 1er juin, la collaboration internationale LIGO/Virgo a publié sa troisième observation d’une paire de trous noirs orbitant l’un autour de l’autre.

Ces gloutons de l’espace – trente fois plus lourds que le Soleil, mais cinq mille fois plus petits –, en spiralant l’un vers l’autre, ont fini par ne plus faire qu’un, donnant naissance à un nouveau trou noir, plus léger que la somme des masses de ses deux parents.

L’énergie perdue, équivalente à celle de deux Soleils, a distordu et secoué l’espace-temps, tel un veau en gelée tremblotant quand il arrive sur une table. Cette vibration, dite onde gravitationnelle, s’est propagée jusqu’à la Terre, où elle a été détectée dans deux instruments géants, LIGO, situés aux Etats-Unis à 3 000 kilomètres l’un de l’autre.

Le 11 février 2016, les mêmes équipements avaient pour la première fois tremblé sous l’effet du passage d’une onde gravitationnelle, constituant une découverte majeure promise au prix Nobel. Elle confirmait à la fois une prévision d’Albert Einstein vieille d’un siècle, l’existence de trous noirs lourds et la maîtrise technique impressionnante des détecteurs.

Plus lourds que le soleil

Ces derniers sont constitués chacun de deux « bras » de lumière perpendiculaires et longs de quatre kilomètres. La précision sur ces longueurs est telle qu’elle équivaut à connaître la distance Terre-Soleil (environ 150 millions de kilomètres) à un atome près.

Tel un acrobate perché sur le sommet d’une montagne en balançant ses bras, LIGO est en équilibre, prêt à basculer dès que le moindre souffle d’une onde gravitationnelle agrandit ou diminue la taille d’un de ses bras. A condition aussi de savoir trier dans tout un tas d’autres perturbations, comme le passage d’un avion, le bruit des vagues ou la chute d’un arbre… C’est cet exploit qu’ont réussi de nouveau les chercheurs.

Les deux trous noirs responsables de la dernière secousse, arrivée le 4 janvier 2017, sont plus petits que la première paire mais plus gros que la seconde du 26 décembre 2015. Ils pèsent respectivement 31 fois et 19,5 fois plus lourd que le Soleil, comme les chercheurs l’expliquent dans le journal Physical Review Letters du 1er juin. Ils sont aussi plus éloignés de nous que les précédents couples, à environ trois milliards d’années-lumière, contre moins d’un milliard pour celui annoncé en 2016.

« Trois détections, c’est peu mais cela nous dit qu’il y en a toujours à découvrir », estime Gabriela Gonzalez, l’ancienne porte-parole de LIGO, qui rappelle qu’en fait, les scientifiques n’ont bénéficié que de soixante-dix jours d’expériences depuis fin 2015, compte tenu du fait que les deux détecteurs doivent fonctionner ensemble et qu’il y a eu un long arrêt pour travaux en 2016.

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« On est heureux, la famille s’agrandit », ajoute Nicolas Arnaud, chercheur au CNRS détaché à Virgo, l’instrument installé en Europe qui espère fonctionner de concert avec LIGO dans quelques semaines. « Nous confirmons l’entrée dans une nouvelle ère de l’astronomie », a déclaré David Shoemaker, le porte-parole de LIGO, lors d’une conférence de presse téléphonique. Depuis la première annonce de février 2016, la collaboration a publié près de trente articles. Le premier a été cité par 700 autres publications de recherche.

Chercheurs perplexes

Les chercheurs sont d’autant plus satisfaits qu’ils ont mis la main sur des systèmes de trous noirs qu’ils ne soupçonnaient pas avant 2016. Par définition, les trous noirs ne se voient pas, mais l’effet qu’ils exercent sur la matière environnante trahit leur présence, par exemple par l’émission de rayons X. Des sources « légères », de l’ordre de quelques masses solaires, ont ainsi déjà été repérées, tout comme des géantes, plusieurs millions de fois plus lourdes que notre étoile, au cœur de certaines galaxies.

Les proies de LIGO/Virgo sont donc intermédiaires et laissent toujours perplexes les chercheurs quant à leur origine. Ont-ils été créés séparément avant de se rapprocher ? Ou bien sont-ils issus d’un système binaire d’étoiles qui, en fin de vie, ont terminé en trous noirs ? Y a-t-il eu implosion ou explosion en supernova lors de l’apparition de ces gloutons ? Ou bien encore, seraient-ils des reliques de fluctuations du vide primordial aux tout débuts de l’Univers, comme l’avait notamment prévu Stephen Hawking en 1974 ?

« Selon moi, c’est tout à fait compatible avec le scénario de l’implosion d’étoiles contenant moins de métaux que notre Soleil. La surprise c’est plutôt qu’on les ait vues si vite dans les instruments ! », estime Frédéric Mirabel, chercheur au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), spécialiste des trous noirs.

Mais les équipes de LIGO/Virgo se refusent à trancher entre telle et telle hypothèse. « Nous avons étudié aussi comment les trous noirs tournent sur eux-mêmes, car cela pourrait arbitrer entre les scénarios, mais nos résultats ne sont pas assez précis pour trancher », indique Ed Porter, chercheur du CNRS au laboratoire « astroparticule et cosmologie », à Paris. D’autres mesures ont également essayé de tester la théorie de la relativité générale, sans la mettre en défaut.

Les équipes sous pression

Jeudi 1er juin également, une conférence spécialisée sur les ondes gravitationnelles à Annecy a été l’occasion de débattre d’un phénomène étrange lié aux trous noirs. Y aurait-il, dans le signal enregistré, une trace imputable à un effet de physique quantique, la théorie qui décrit les particules et qui s’applique aussi aux trous noirs ? Une équipe canadienne prétend qu’il y a bien une sorte d’écho suspect, quand d’autres contestent ses interprétations.

L’ambiance est cependant mitigée : bonheur avec la découverte, et en même temps légère déception car la précision de cette deuxième phase d’observation de LIGO n’est pas très différente de la précédente, limitant les chances de moisson plus riche.

L’observation se poursuivra néanmoins, au moins jusque fin août, date d’arrêt de LIGO pour un long chantier de plus d’un an destiné à améliorer encore les détecteurs. « Nous avons besoin de cela pour voir d’autres phénomènes comme des étoiles à neutrons », précise Gabriela Gonzalez. « Mon rêve est de voir quelque chose de totalement imprévu dans les trois détecteurs », confie pour sa part David Shoemaker. Les données précédentes seront aussi réanalysées dans l’espoir de découvrir de nouveaux trous noirs qui auraient échappé à la détection en quasi-direct.

Position estimée de la région du ciel d’où sont provenues les ondes gravitationnelles. GW170104 est la dernière en date. LVT151012 est un signal candidat mais non confirmé.

Les équipes de Virgo en Italie sont de leur côté sous pression, car elles doivent tout faire pour que leur détecteur fonctionne le plus vite possible afin de fonctionner en même temps que les deux LIGO. C’est le seul moyen de localiser dans l’espace l’origine du phénomène, par triangulation.

Pour l’instant, la zone du ciel d’où proviennent les ondes est très imprécise, car déterminée avec deux détecteurs seulement. Si la mise à niveau en Italie n’intervient qu’après l’été, cela sera dommage car, désormais seul, Virgo ne pourra pas valider une détection d’ondes gravitationnelles. « Pour nous c’est mi-figue, mi-raisin, car il manque encore quelque chose, estime Nicolas Arnaud. Mais on est à bloc. »

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