« L’AmĂ©rique est la version originale de la modernitĂ©, nous en sommes la version doublĂ©e ou sous-titrĂ©e », affirmait, avec malice, le philosophe Jean Baudrillard, dans un Âessai fulgurant, L’AmĂ©rique (Grasset), publiĂ© en 1986.
Le thĂ©oricien de la sociĂ©tĂ© contemporaine avait sans doute sous-estimĂ© le grand basculement du monde qui s’amorçait alors. Nous sommes entrĂ©s depuis dans l’ère des « global cities » : des villes-mondes ont jailli. ÂElles rivalisent d’audace sur les cinq continents, aimantent les richesses comme les talents, Âimposent leur puissance et s’affichent comme les hĂ©rauts de la mondialisation et d’une modernitĂ© triomphante.
De New York à Singapour, de Londres à Shanghaï, de Melbourne à Bombay, de Lagos à Sao Paulo, un chapelet de mégapoles incarne déjà une nouvelle « société du spectacle », celle d’une « grande transformation » à l’œuvre. Elles ont fait de multiples mutations démographiques, technologiques, environnementales et parfois même démocratiques – un grand terrain d’innovations et d’expérimentations, tous azimuts et sans limites, qui ont commencé à bouleverser notre vie quotidienne de citadins.
En vingt ans, les mĂ©tropoles se sont davantage transformĂ©es qu’en plusieurs siècles. « Nous sommes seulement Ă l’aube d’une rĂ©volution technologique, affirme Carlo Ratti, qui dirige le plus prestigieux des laboratoires urbains, le Senseable City Lab, Ă Boston, au sein du Massachusetts Institute of Technology (MIT) ; l’Internet se ÂdĂ©ploie dĂ©sormais dans l’espace physique, rĂ©servĂ© autrefois aux architectes et aux urbanistes, et il va nous permettre d’interagir avec des objets tout autour de nous, de mille manières. Ce mouvement puissant est en train de faire Ă©merger de vĂ©ritables smart cities : de l’énergie Ă la gestion des dĂ©chets, de la mobilitĂ© Ă la distribution de l’eau, de l’urbanisme Ă la participation citoyenne. »
Big data et intelligence artificielle
A l’appui de sa démonstration, Carlo Ratti prend l’exemple de la voiture autonome. L’idée avait germé à la fin du XXe siècle, elle est en passe de se concrétiser. L’expérimentation la plus audacieuse vient même de commencer à Singapour.
Les vĂ©hicules ont un champ de Âvision Ă©gal ou mĂŞme supĂ©rieur Ă l’homme et ils vont transformer la vie dans la ville : « Votre voiture pourra vous conduire au travail, puis, au lieu de dormir au garage, servira Ă d’autres membres de la famille, Ă des voisins, ou mĂŞme Ă une communautĂ© sociale avec laquelle vous la partagerez », s’emballe Carlo Ratti, qui prĂ©cise qu’« une Ă©tude du MIT prĂ©voit qu’entre 30 % et 40 % des vĂ©hicules privĂ©s disparaĂ®tront ». Moins de voitures signifie des temps de transport plus courts, des routes moins embouteillĂ©es, un  environnement plus protĂ©gé…
Les « big data » combinées à l’intelligence artificielle sont le carburant de cette transformation urbaine. Toutes ces villes se sont couvertes de capteurs. Dans un rapport sur les grandes tendances urbaines de l’année, présenté lors du Forum Netexplo à Paris, en avril, Julien Lévy, professeur à HEC, résumait ainsi le mouvement à l’œuvre : « Nous sommes passés d’une phase où l’enjeu était de tout transformer en données, à une nouvelle phase où il s’agit de tout transformer par les données. »
Tous les champs de la vie urbaine sont ÂconcernĂ©s. Les laurĂ©ats des prix mondiaux de l’innovation urbaine lancĂ©s par Le Monde en donnent la mesure. Au Nigeria, la start-up WeCyclers (Grand Prix) a inventĂ© un système Ă la demande de collecte des dĂ©chets, grâce Ă une validation par SMS et Ă des vĂ©los sophistiquĂ©s. A Singapour, la ville a conçu et dĂ©veloppĂ© un système rĂ©volutionnaire de transports en commun, fondĂ© sur des vĂ©hicules autonomes Ă propulsion Ă©lectrique.
Transformation Âurbaine
A Pittsburgh, aux Etats-Unis, l’institut de Ârobotique de l’universitĂ© Carnegie-Mellon a mis au point un système ultra-performant, et truffĂ© d’intelligence artificielle, de rĂ©gulation du trafic urbain (Surtrac, Prix MobilitĂ©). En Inde, Ă Chandigarh, une start-up a lancĂ© une plate-forme de mise en relation de chauffeurs de cyclopousse et de clients pour des dĂ©placements ou des livraisons. A Grenoble, une Âentreprise française, Sylfen (Prix Energie), a rĂ©alisĂ© une première mondiale avec une solution innovante de stockage hybride d’énergie…
Il ne s’agit pas que de technologies. Les villes adoptent Ă©galement de plus en plus volontiers des stratĂ©gies de dĂ©veloppement Âdurable et elles font une place croissante Ă la participation citoyenne.
Pour prendre le pouls de ces bouleversements et dĂ©battre de leurs impacts sur nos ÂsociĂ©tĂ©s, Le Monde organise pour la première fois un Ă©vĂ©nement prestigieux Ă Singapour, Âlaboratoire mondial des smart cities, Ă la Lee Kuan Yew School of Public Policy, le 2 juin. Une trentaine d’intervenants venus du monde entier, ainsi que tous nos partenaires, L’Atelier BNP Paribas, Engie, la Caisse des dĂ©pĂ´ts, Saint-Gobain, Keolis, Veolia et Enedis, participeront Ă ces Ă©changes ainsi qu’à la remise des Prix de l’innovation Smart Cities.
La ville de demain s’inventera dans la Âconfrontation intelligente de toutes les parties prenantes. Et en premier lieu, ses habitants : la demande d’inclusion, de participation, d’engagement des citadins dans la coconstruction de leur cadre de vie s’impose comme l’une des clĂ©s de la rĂ©ussite de cette transformation Âurbaine. « Si une sociĂ©tĂ© ne construit pas de sol sous les pieds de ses membres, remarquait Âl’essayiste amĂ©ricain Thomas Friedman, ils Âseront nombreux Ă vouloir Ă©lever des murs. »
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