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Les Kurdes iraniens en route pour la guerre : « Peu importe le nombre de nos ennemis »

Le PDKI, groupe kurde iranien de gauche, avait renoncé pendant presque vingt ans à recourir aux armes. Il forme désormais de nouvelles recrues au combat
Dans le cadre de leur entraînement physique, les membres du PDKI se rendent à pieds vers la frontière iranienne (MEE/Guillem Sartorio)

HAJI OMRAN, Irak - Les recrues se sont rassemblées à l’intérieur de leurs casernes secrètes cachées au cœur des montagnes de Zagros, et le commandant Rahim Manguri leur rappelle la raison de leur présence : « Cette base est une cible militaire », prévient-il. « Si vous décidez de rester, c’est par choix personnel. »

Si cette section d’environ vingt combattants est postée ici, à cinq kilomètres de la frontière iranienne, c’est pour apprendre les méthodes du PDKI (Parti démocratique du Kurdistan iranien), et son combat contre le gouvernement iranien. Le matin est consacré à l’éducation politique des combattants. L’après-midi, ils s’entraînent à la guerre.

L’hiver étant fini, ils peuvent désormais se préparer à mettre leur entraînement en pratique ; se battre non pour obtenir l’indépendance totale, mais l’autonomie fédérale, au sein de l’Iran.

« Tôt le matin, nous étudions différents philosophes et dirigeants politiques du monde entier. Ensuite, nous passons à l’entraînement sportif et à la formation militaire. C’est important d’être bien formé au combat », rappelle Jamal Bornasar, membre du PDKI, en sortant de la caserne.

Le PDKI ne se bat pas en faveur d’un État kurde iranien indépendant, mais pour obtenir l’autonomie fédérale de sa région, en Iran (Guillem Sartorio/MEE)

Le PDKI avait renoncé au volet militaire de sa lutte politique pendant presque vingt ans, mais il a repris les armes en 2015.

« Nous avons repris la lutte armée parce que nous sommes sûrs que le régime iranien ne prendra jamais en considération nos aspirations. Nous devons mettre la pression sur le gouvernement de Téhéran, et le meilleur moyen c’est la lutte armée », déclare Manguri, inscrit au parti depuis l’âge de 14 ans, à devant le groupe de vingt jeunes combattants, tous assis autour d’un poêle à bois.

La réunion de cette unité paramilitaire kurde se déroule à l’intérieur d’une petite maison, convertie en caserne militaire. Cette Hadaka (base militaire en kurde) se cache dans les montagnes, dominée par les pics à 3 000 mètres des montagnes Zagros – à seulement cinq kilomètres de la frontière iranienne.

On ne va pas rester les bras croisés

Manguri, commandant de 52 ans, est né à Piranshahr, une ville kurde iranienne. Il s’est tourné vers l’activisme politique auprès du PDKI en 1979, et a rejoint trois ans plus tard les combattants Peshmerga. « Je me suis engagé parce que notre peuple est victime de la répression du régime iranien. Je ne pouvais pas rester là sans rien faire. »

Le PDKI, parti de gauche fondé en 1945 pour défendre le droit des Kurdes iraniens à l’autodétermination, a joué dès 1946 un rôle important dans la création de l’éphémère république de Mahabad, seul moment dans l’histoire des Kurdes où ils connurent un État vaguement digne de ce nom. La république, proclamée dans cette ville à l’ouest de l’Iran, fut renversée un an plus tard, et le PDKI faillit disparaître avec lui.

Mais le parti kurde a survécu et prit part à la révolution iranienne de 1979, qui renversa le Shah d’Iran. Cependant, l’ayatollah Ruhollah Khomeini a fait fi des exigences kurdes, puis a interdit les partis politiques kurdes et forcé le PDKI à s’exiler au Kurdistan irakien.

« La nation kurde a été opprimée pendant de longues années par le Shah d’Iran et ensuite par le régime de l’ayatollah. Voilà pourquoi nous sommes si pauvres », explique Bornasar, en se réchauffant les mains au-dessus du poêle.

« Nous ne voulons pas d’un Kurdistan indépendant parce que ce serait économiquement et politiquement trop compliqué »

- Jamal Bornasar, membre du PDKI

Cependant, ce partisan du PDKI souligne qu’ils ne se battent pas pour obtenir un État souverain.

« Nous ne voulons pas d’un Kurdistan indépendant parce qu’économiquement et politiquement ce serait trop compliqué. Nous nous battons pour l’avènement d’un système démocratique et fédéral qui nous permette d’avoir notre juste part des ressources de l’Iran », insiste ce jeune de 25 ans, à la moustache naissante.

Né à Mahabad, Bornasar a rejoint le parti en 2011. « Pendant cinq ans, j’ai participé aux activités politiques clandestines à l’intérieur de l’Iran. Mais l’été dernier j’ai décidé de me rendre dans les montagnes et devenir Peshmerga, sans quoi j’aurais fini en prison. »

Comme Bornasar, la plupart des vingt combattants de l’unité sont de nouvelles recrues. « Pour raisons de sécurité, nous ne vous révélerons  pas le nombre de nos combattants. Ce que je peux vous dire c’est que, depuis que nous avons repris la lutte armée il y a deux ans, beaucoup de jeunes gens nous ont rejoints », affirme le commandant Manguri.

Après presque vingt ans sans action armée, la Hadaka a annoncé qu’elle reprenait les armes, suite au grave incident de 2015, où Farinaz Khosravani, une Kurde de 25 ans aurait été violée par un officier du Corps des Gardes Révolutionnaires Islamiques.

Cette femme de chambre s’est par la suite donné la mort, ce qui a provoqué des  manifestations de masse dans les principales villes kurdes iraniennes. Les autorités gouvernementales ont abattu au moins six manifestants kurdes et en ont arrêté plusieurs dizaines. Cela a sonné le retour au conflit armé. 

Reprise des affrontements

Les jeunes gens, debout devant la base, tiennent fermement leurs AK-47, prêts à entreprendre une randonnée de plusieurs heures dans les montagnes enneigées, direction l’Iran. « En avant, marche », crie le commandant.

Une neige épaisse recouvre la route, mais la section s’élance à grands pas – à la file indienne, à plusieurs mètres l’un de l’autre. 

Sadi Muradpur, dix-neuf ans, est originaire de Piranshahr (Province de l’Azerbaïdjan occidental). Il a déjà fait le même voyage au printemps 2016 – mais en sens inverse, pendant qu’il fuyait l’Iran pour rejoindre les milices PDKI.

« Je suis arrivé ici en traversant la frontière illégalement par les montagnes. C’était dur mais ça en valait la peine », explique Sadi Muradpur.

« Je faisais mes études pour entrer à l’université et j’avais besoin d’un travail pour payer mes études. Mais toutes les portes étaient fermées aux Kurdes », déplore-t-il. « Ce genre de discrimination ethnique que j’ai subie pousse nombre de jeunes gens à franchir le pas et à devenir Peshmerga. »

Le grand-père de Muradpur était aussi milicien du PDKI et il s’est fait tuer pendant les années 1980 par l’armée iranienne. « Depuis que je suis né, j’ai entendu parler chez moi de lutte politique et armée. Avant de venir ici, je faisais partie dans cette ville d’une cellule dormante et clandestine du parti. »

Pendant la randonnée, les soldats de la section se passent le fusil Dragunov pour tireur embusqué, et s’entraînent au tir (Guillem Sartorio/MEE)

« Depuis que nous avons repris la lutte armée en 2015, 30 Peshmerga ont perdu la vie dans les affrontements avec la Garde Révolutionnaire iranienne" », explique Manguri.

Le PDKI n’est pas seul. La Komala – la Société des Ouvriers Révolutionnaires du Kurdistan iranien – a annoncé en avril dernier qu’elle reprenait aussi la lutte armée.

Ces dernières semaines, des affrontements ont éclaté, depuis l’annonce d’attaques imminentes contre les forces iraniennes par les milices kurdes.

Le 27 mai, le Parti de la Vie Libre du Kurdistan (PJAK), groupe armé iranien affilié au PKK illégal, le Parti des Ouvriers du Kurdistan en Turquie, ont tué deux gardes frontières et blessé sept autres lors d’affrontements près de la ville kurde iranienne d’Urmia.

« Je n’ai pas peur d’aller au front parce que la société dans laquelle nous avons grandi ne cesse de raconter des histoires de Peshmerga, pétries d’héroïsme et de résistance », se souvient Bornasar, lors d’une pause dans un petit bâtiment en béton perdu au milieu des montagnes.

« Nous sommes prêts à nous battre et peu m’importe la force de l’ennemi », ajoute-t-il, sur un ton de défi.

« Je n’ai pas peur d’aller au front parce que la société dans laquelle nous avons grandi ne cesse de raconter des histoires de Peshmerga, pétries d’héroïsme et de résistance »

- Jamal Bornasar, membre du PDKI

Par jeu, les combattants kurdes se collent l’œil au viseur du Dragunov, fusil de tireur embusqué, et certains d’entre eux visent un gros rocher distant de deux ou trois cents mètres.

« Nous ne nous attendons pas à ce que l’administration Trump nous fournisse des armes ou une quelconque aide économique, mais nous croyons que le nouveau président est sérieux quand il s’engage à remettre en vigueur les sanctions contre l’Iran », dit le commandant.

Manguri déclare que le rapprochement entre le gouvernement de l’ancien président américain Barack Obama et le président iranien actuel Hassan Rouhani ne représentait pas une avancée pour la situation des Kurdes.

Selon un rapport d’Hengaw, site internet kurde iranien en faveur des Droits de l’homme, les autorités iraniennes ont exécuté jusqu’à 328 Kurdes au cours des quatre premières années de la présidence Hassan Rouhani.

« Cette unité Peshmerga se compose exclusivement d’hommes, mais beaucoup de combattantes sont aussi déployées dans des bases à proximité », précise Manguri.

« Contrairement à d’autres milices kurdes, nos combattants ont l’autorisation d’entretenir des relations ; certains d’entre eux sont même mariés »

- Rahim Manguri, commandant de section PDKI

« Contrairement à d’autres milices kurdes, nos combattants ont l’autorisation d’entretenir des relations ; certains d’entre eux sont même mariés. »

Après l’entraînement et de retour à la base militaire, il est l’heure de dîner. Une énorme bassine de spaghetti à la viande et aux tomates est apportée dans la maison pour que tout le monde puisse récupérer l’énergie dépensée pendant la randonnée. 

« Cuisine, nettoyage... toutes ces activités ordinaires aident les combattants à acquérir de la discipline au quotidien », explique Manguri.

Les combattants Peshmerga sont assis sur un mince drap en plastique, qui sert aussi de nappe.

Ces militants rassemblés autour du dîner reçoivent une solde mensuelle de 40 dollars (Guillem Sartorio/MEE)

Muradpur explique comment il parvient à maintenir le contact avec ses parents, malgré l’exil.

« Je leur parle régulièrement au téléphone. Quelquefois, ils ont eux aussi traversé la frontière et nous nous sommes alors rencontrés quelque part au Kurdistan irakien. »

« Deux de mes oncles et un cousin sont en prison maintenant. Cinq de mes amis ont aussi été arrêtés en raison de leur engagement politique », regrette Muradpur.

Franchir les frontières pour conquérir la liberté du pays natal

« Nous aidons beaucoup d’activistes politiques persécutés par le régime à fuir l’Iran et traverser la frontière », ajoute Muradpur, soulignant l’une des activités principales de la milice.

À la fin du dîner, politique et situation iraniennes monopolisent la conversation. « Nous ne voulons pas subir le genre de bouleversements qu’ont connu l’Irak, la Libye ou la Syrie ; ces soulèvements ont été complètement réprimés », déplore le commandant Manguri. « On doit remplacer ce régime dictatorial par une démocratie. Une fois cela acquis, nous exigerons des négociations et un échange d’exigences. » 

Le commandant Peshmerga insiste plusieurs fois : les minorités Arabes, Baloutches et Turkmènes vivant en Iran partagent leurs espoirs.

« Nous aidons beaucoup d’activistes politiques persécutés par le régime à fuir l’Iran et traverser la frontière »

- Sadi Muradpur, membre du PDKI

Avant de se coucher, Bornasar explique que le parti leur verse une petite solde de 40 dollars par mois. « Ce n’est pas grand-chose mais ça nous permet d’acheter quelques affaires. Nous sommes des volontaires, ne l’oublions pas, et certains combattants rendent même l’argent à l’organisation. »

L’aube se lève et un soleil radieux commence à s’infiltrer par les fenêtres. La neige est tombée très abondamment pendant plusieurs jours, mais plus un flocon depuis 48 heures. Les combattants Peshmerga, harassés de fatigue, sentent venir le sommeil ; ils commencent à rassembler leurs couvertures et font chauffer de l’eau dans la cuisine. Bornasar se débarbouille et peigne sa moustache.

Le matin est consacré aux études : l’ancien chef PDKI, Abdul Rahman Ghassemlou, a dit : « si l’on n’arrive pas à changer de mentalité, comment espérer changer la société ? » (Guillem Sartorio/MEE)

Après le petit déjeuner – un assortiment de tomates, olives, fromage, œufs et concombre, entre autres mets – les combattants nettoient leurs armes ou s’absorbent dans leurs études.

Bornasar, assis jambes croisées, lit Les Idées Révolutionnaires de Karl Marx. « Nous étudions la philosophie et la politique parce que notre chef légendaire, Abdul Rahman Ghassemlou, a dit : ‘‘si l’on n’arrive pas à changer de mentalité, comment espérer changer la société ?’’ », explique-t-il.

Cet instant de calme et de réflexion nous semble le moment opportun pour quitter la cachette du PDKI, perdue dans les montagnes.

La lutte pour l’autonomie aura beau s’avérer longue et sanglante, il y a fort à parier que la lutte entre PDKI et forces iraniennes sera plus féroce que jamais cet été.

Traduit de l’anglais (original) par Dominique Macabies.

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