Frédéric Taddeï : “J’arrête et je ne peux pas dire que France 2 pleure pour que je continue”

Clap final pour Frédéric Taddeï et son émission mensuelle “Hier, aujourd’hui, demain”, mercredi 7 juin, sur France 2. Souvent programmé à des heures indues, le magazine s’arrête sur décision de l’animateur. Explications.

Par Hélène Rochette

Publié le 01 juin 2017 à 12h58

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h24

Depuis septembre 2016, Frédéric Taddeï présentait Hier, aujourd’hui, demain, le mercredi, une fois par mois, sur France 2. Diffusé à un horaire plus que tardif, ce magazine consacré à l’actualité des essais disparaît, sur décision de l’animateur et à son grand regret. On a pu y entendre Marcel Gauchet, l’écrivaine franco-sénégalaise Fatou Diome, le philosophe belge François de Smet… Récemment, les anti déclinistes Michel Serres et Jean Viard ont aussi donné de la voix sur le plateau de Frédéric Taddeï, qui nous a même gratifiés d’un extrait de la vénérable émission Téléchat (de Roland Topor et Xavier Xhonneux), pour débattre de la question de… l’animisme ! C’est dire si ce haut rendez-vous culturel va nous manquer. Explications avec l’intéressé.

Le 7 juin, la diffusion de Hier, aujourd’hui, demain s’arrête définitivement. Pourquoi avez-vous pris la décision d’interrompre votre magazine un an après sa création ?

« Chaque mois dans Hier, aujourd’hui, demain, nous évoquions les essais les plus instructifs. On y découvrait l’essentiel de ce qu’il fallait savoir sur ces ouvrages : vous pouviez ensuite avoir envie de vous plonger dans ces livres, mais ce n’était pas l’essentiel. Je ne suis pas libraire et je n’ai jamais dit aux téléspectateurs "Achetez ce livre, il est génial !" Je considère que si mes invités sont intéressants, on aura envie de les lire. C’est toujours ce qui m’a guidé et continuait à me guider.

Je suis convaincu que Hier, aujourd'hui, demain était un très bon concept, une très belle émission. Mais France 2 a jugé qu’il valait mieux la diffuser aux alentours de minuit plutôt qu’à 22h30, l’horaire auquel elle était prévue… Et tout cela sans bande annonce, sans rien ! Résultat : personne ne savait qu’elle existait, personne ne la regardait ! Une émission culturelle qui n’a aucun impact et que personne ne voit, vous n’avez plus tellement envie de l’animer… Donc j’arrête. Je le regrette, mais je ne peux pas dire non plus que France 2 pleure pour que je continue ! »

“Je ne vois pas l’intérêt de faire une émission dont tout le monde ignore l’existence”

On comprend votre lassitude, mais croyez-vous vraiment qu’à l’heure du replay et d’Internet l’horaire de diffusion soit si important ?

« Pour aller chercher une émission en replay, encore faut-il que vous sachiez qu’elle a été diffusée ! Et dans le cas de Hier, aujourd’hui, demain, personne ne connaissait l’heure et le jour de diffusion. Je ne vois pas l’intérêt de faire une émission dont tout le monde ignore l’existence. J’en ai trop fait qui ont eu un gros impact comme Ce soir (ou jamais !) ou marqué les esprits comme Paris dernière, pour avoir envie de poursuivre…

Je n’ai pas compris l’obstination de France 2 à programmer cette émission si tard, et à la dénigrer, alors qu’elle coûtait quand même assez cher à fabriquer ! [rires] Mais attention, je n’en veux à personne. Je trouve même cela amusant : ça vous apprend l’humilité. J’ai été choyé pendant assez longtemps à la télé, je ne le suis plus, aujourd’hui, voilà ! D’autres ont vécu exactement la même chose, et ils sont parfois revenus en grâce… C’est la vie. On ne va pas commencer à penser que c’est Mozart qu’on assassine ! Je n’aurai pas cette fatuité ! »

Sur le plateau de Hier, aujourd’hui, demain

Sur le plateau de Hier, aujourd’hui, demain © BERNARD BARBEREAU / FTV

Qu’est-ce qu’une bonne émission culturelle à la télévision ?

« Une émission culturelle doit être jugée à l'aune de son impact, bien plus que de son audience. Il faut se demander si elle va laisser une trace, si elle fera parler, réagir… Et aussi, si l’on est fier de l’avoir regardée ! Celles qui ont marqué leur temps, on les connaît : c’est Apostrophes et Le grand échiquier. Elles enregistraient des audiences considérables. Apostrophes poussait les téléspectateurs à acheter des livres de manière invraisemblable, mais l’émission faisait aussi beaucoup parler d’elle.

Pour prendre mon cas personnel, Ce soir (ou jamais !)  a fait de très bonnes audiences pendant dix ans, puisqu’avant qu’elle ne soit décalée vers 23h30 ou minuit, elle était regardée par 700 000 téléspectateurs [555 000, quand l’émission est passée à un horaire tardif, ndlr]. En plus, elle suscitait des réactions parfois longtemps même après sa diffusion.

 “Si une émission culturelle fait de l’audience tout en étant intelligente, c’est merveilleux !”

Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, je me souviens qu’un passage de la tirade de Dominique de Villepin, enregistrée un an avant, a été posté sur Internet et qu’il y a eu deux millions de vues ! C’était un extrait d’un débat avec Hubert Védrine [diffusé sur France 2, le 26 septembre 2014, ndlr], au moment où la France venait de rejoindre la coalition internationale contre Daesh. Villepin y était opposé et il pressentait qu’il y aurait des attentats !

De la même manière, l’entretien avec l’écrivaine Fatou Diome qui évoquait en 2015 le sort des migrants qui se noyaient en Méditerranée a été regardé quatre millions de fois ! Aujourd’hui encore, beaucoup d’extraits de Ce soir (ou jamais !) tournent, sont visionnés et commentés sur Twitter. C’est ce que j’appelle l’impact d’une émission. Et si en plus, l’émission culturelle fait de l’audience tout en étant intelligente, alors là, c’est merveilleux ! »

Bon nombre de magazines récents – Drôle d’endroit pour une rencontre (France 3), 21 cm (Canal+), Stupéfiant ! (France 2) – tentent de s’affranchir du cadre du plateau. Leurs animateurs justifient ce choix par l’envie de bousculer l’entretien promotionnel : qu’en pensez-vous vous ?

« Vous pouvez sortir du plateau, retourner le décor dans tous les sens, asseoir les gens autour d’une table comme on le fait depuis cinquante ans, ou partir dans Paris en voiture : peu importe. Avec les mêmes ingrédients, vous obtiendrez une très bonne ou une très mauvaise émission ! Dans Paris dernière, on n’avait plus de plateau, et même quasiment plus d’animateur [une partie de l’émission était réalisée en caméra subjective, et beaucoup de séquences étaient filmées façon road-movie dans la ville, ndlr].

Mais c’est vrai qu’il y a toujours des modes, des tendances. Quand j’ai commencé Ce soir (ou jamais !), par exemple, on mettait des chroniqueurs partout. On les faisait venir en plateau face aux invités culturels pour qu’ils se moquent d’eux… J’ai donc supprimé les chroniqueurs et la promo ! Si on regarde de près Apostrophe et Le grand échiquier, on voit bien que ce sont purement et simplement des émissions de promo. Pourtant, quand on écoutait un grand musicien classique, pendant plus de deux heures, sur le plateau du Grand échiquier, on ne se disait pas qu’il essayait de nous vendre des disques !

“C’est un gros boulot que de rendre intéressante une œuvre aux yeux de gens qui ne s’y intéressent pas !”

Le problème c’est qu’ensuite, tout le monde a fait la même chose sans avoir le bagout et l’intelligence de Chancel et de Pivot… On s’est donc retrouvés avec une série de plates émissions de promo. Aujourd’hui on imagine mettre les invités dans un cadre qui ne ressemble pas à un cadre promotionnel, encore faut-il les rendre intéressants. Et croyez-moi, c’est un gros boulot que de rendre intéressante une œuvre aux yeux de gens qui ne s’y intéressent pas ! »

Avez-vous connu des désillusions avec certains invités et pensez-vous qu’il faille veiller à ce que les auteurs et les artistes conviés aient une parole limpide : ni trop heurtée, ni trop fébrile ?

« Je ne crois pas du tout aux bons et aux mauvais clients. L’interview radio dont je suis le plus fier, c’est Patrick Modiano, que j’ai reçu pendant une heure sur Europe 1. Et Modiano n’est pas le mec le plus éloquent du monde, mais il est très disert, exprime des choses passionnantes, évidemment à sa manière, à la Patrick Modiano. Il n’a jamais accepté mon invitation en télé, car il avait peur, tout comme Jean-Louis Trintignant qui n’a pas souhaité venir à Ce soir (ou jamais !) : il m’avait dit qu’il aurait fallu qu’il n’y ait aucun public, vraiment personne, tellement il était timide ! Ce sont deux regrets bien sûr mais je crois pas du tout aux invités qui ne feraient pas l’affaire à cause d’un déficit de parole !

Considérez-vous que l’animateur d’une émission culturelle a un rôle spécifique en télévision ? 

Contrairement à la radio, en télévision vous partagez l’image avec le ou les invités sur le plateau. Et quoi que vous fassiez, il y a toujours cette petite rivalité, qui n’existe pas dans un studio de radio, où vous êtes en symbiose, et où vous restez le meilleur ami de votre invité ! En télévision, même si vous ne tirez pas la couverture à vous, vous devez vous partager l’écran ! C’est à l’animateur de mettre à l’aise ceux qu’il interviewe. J’ai fait de longs entretiens télévisés avec Alain Delon, Catherine Deneuve, Johnny Hallyday, Benoît Poelvoorde et à chaque fois, j’ai constaté ce petit flottement en débutant les émissions : mais, encore une fois, c’est à vous, animateur, de leur montrer d’emblée que ce sont eux qui sont les plus intéressants, pas vous. »

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