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En Islande, un village submergé par les touristes

Bienvenue à Vik, 572 âmes, 1,2 million de visiteurs attendus en 2017 : le village fait face au cyclone touristique qui s’est emparé de toute l’île.

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Publié le 02 juin 2017 à 12h08, modifié le 05 juin 2017 à 08h58

Temps de Lecture 6 min.

Les orgues basaltiques de la plage de Vik, en Islande. Plus d’un million de voyageurs devraient transiter par le village en  2017.

C’est un village niché au pied de collines verdoyantes, bordé de falaises où volettent les macareux : dix rues, des maisons colorées et une petite église blanche sur un promontoire, vue plongeante sur l’océan. Par-delà une langue de sable noir, la silhouette d’étranges piliers de basalte se découpe à l’horizon.

Ce sont eux qui font la renommée du bourg, dont la plage est souvent classée parmi les plus belles du monde. En se retournant, la vue porte sur le glacier Myrdalsjökull, qu’on pourrait presque toucher par temps clair. Bienvenue en Islande, à Vik, 572 âmes, 1,2 million de touristes attendus en 2017.

A la sortie du village, le long de la route circulaire qui fait le tour de l’Etat insulaire sur 1 339 kilomètres, trois autocars déversent leurs passagers à doudounes, tout sourire, à la porte du magasin de souvenirs. Devant la station-service, c’est un ballet incessant de voitures : en mars, il en est passé près de 3 000 par jour en moyenne. Il y a encore cinq ans, le touriste était pourtant une espèce essentiellement estivale, comme la sterne.

A seulement 186 kilomètres de Reykjavik, Vik était l’étape idéale sur la route du Sud et ses merveilles naturelles : plages, ­ cascades, glaciers, icebergs. Mais d’octobre à juin, sous un ciel souvent maussade, le village hibernait.

Inutile de chercher une chambre pour l’été

C’est un temps révolu. A l’office du tourisme, Beata Rutkowska travaille à un nouveau plan du bourg. De nombreuses adresses sont à modifier : « Ici vont s’ouvrir deux chambres d’hôte. Là, nous allons mettre en service une tyrolienne. Le loueur de chevaux a changé de place, pour avoir des écuries plus grandes. Voici un nouveau restaurant. Et deux guides qui proposent des randonnées sur le glacier. »

La boutique, déjà vaste, va encore s’agrandir. Deux hôtels vont augmenter leur capacité. Un autre ouvrira en 2018. Vik et ses environs proches disposent à ce jour de 1 800 lits. Mais inutile de chercher une chambre pour le pic de l’été. Rien n’est disponible à moins de 50 kilomètres. A 400 euros la nuit minimum, pour une famille de quatre.

Le village fait face au cyclone touristique qui s’est emparé de toute l’Islande. L’île accueillait 400 000 visiteurs en 2006. Elle en a reçu 1,7 million en 2016. Les prévisions pour cette année font état de 2,3 millions. La moitié de ces voyageurs, au moins, transitent par la commune, qui compte plusieurs spots touristiques : la plage de Reynisfjara, les glaciers Solheimajökull et Myrdalsjökull, le cap de Dyrholaey…

Et même, curieusement, l’épave d’un avion américain qui s’est crashé sur le sable noir en 1973. Exaspérés de voir les voitures tourner sur la propriété pour retrouver la carcasse du DC3, les propriétaires en ont fermé l’accès. ­Désormais, il faut marcher une heure pour prendre cet étonnant cliché.

Une manne touristique

A la municipalité de Vik, le tourisme est devenu un sujet ­majeur. Pour dire, il a relégué au second plan l’agriculture. Asgeir Magnusson a été le premier maire de l’île à prendre une mesure forte : l’interdiction aux propriétaires de proposer l’ensemble de leur logement sur les sites de location saisonnière, à des tarifs prohibitifs, afin de ne pas étrangler le marché locatif, déjà très réduit.

Höfn, une autre commune du Sud, a fait de même. Reykjavik pourrait suivre. « Il est impossible de trouver une maison à louer à Vik. Dès qu’une se ­libère, les hôtels se jettent dessus pour loger leurs employés », explique l’édile. Qui a veillé à ce que les nouveaux établissements hôteliers soient regroupés à la sortie du village.

Pour l’essentiel des habitants, le tourisme est une manne. Les plus chanceux sont ceux qui ont vendu des terrains aux hôtels. Nombre de fermiers ont réhabilité de vieux bâtiments pour en faire des chambres d’hôte. Des jeunes se proposent comme guides, dans diverses activités (randonnée, cheval, marche sur glace, scooter des neiges…).

Pour certains, la vie a complètement changé. Halla Olafsdottir était maîtresse d’école. La voici restauratrice. Avec quatre propriétaires terriens des ­environs, elle a ouvert le Black Beach Restaurant, sur la plage de Reynisfjara. « L’idée de départ, c’était que les touristes aient des toilettes. Mais nous avons vu plus grand », dit-elle, désignant fièrement le sol et les murs en matières volcaniques. Elle a attendu la fin du coup de feu de midi pour s’asseoir. En 2015, son établissement tournait avec quatre ­employés. Ils sont aujourd’hui quatorze.

Augmentation des accidents de voitures

Qu’ont changé ces visiteurs de toutes nationalités ? Son visage se ferme. Le 15 février 2016, elle a dû faire face à la détresse d’une touriste chinoise, dont le mari venait d’être emporté par une vague. Reynisfjara est connue des locaux pour la traîtrise de ses eaux. Après cet accident, des policiers ont été placés en faction sur la plage, en attendant que soient fabriqués des panneaux prévenant du danger.

Las, le 9 janvier de cette année, une Allemande a péri sur une plage voisine. Ce même jour, le fils de Halla, qui déjeunait pour une fois au restaurant, a plongé dans les eaux à 3°C pour sauver une enfant.

Exaltés par la beauté de l’Islande, les visiteurs en oublient parfois les règles de prudence. Sur la route, les accidents impliquant des ­conducteurs étrangers ont augmenté de 80 % entre 2015 et 2016, selon les autorités. Les routes sont piégeuses. Et on ne compte plus les véhicules arrêtés n’importe comment, le temps de photographier un cheval ou une aurore boréale.

Ces cinq dernières années, des touristes ont aussi perdu la vie en randonnée (chute, hypothermie) ou dans des accidents de plongée. En 2016, un drame a été évité de justesse à Jökulsarlon lorsque 70 touristes, montés sur une plaque de glace pour photographier un phoque, ont commencé à dériver, avant d’être bloqués dans l’étroit chenal qui mène à la mer.

« C’est le tourisme qui nous a sauvés de la crise »

Pour les habitants de Vik, tout ceci est nouveau. ­Regrettable, certes. Mais pas une raison pour vouloir la fin de cet âge d’or. « Il nous arrive de faire la queue à l’épicerie. Il y a parfois un peu de monde dans le hot pot [bain chaud] à la piscine municipale. Mais je n’oublierai pas que c’est le tourisme qui nous a sauvés de la crise », explique Thorir Kjartansson, qui a dirigé l’entreprise de laine locale.

« Avant, on laissait tous la porte ouverte. Certains la ferment désormais car on ne connaît plus tout le monde. » Kolbrun Hjörleifsdottir, gérante d’une chambre d’hôte

Désormais, il vend ses magnifiques photos d’aurores boréales sur clé USB à la boutique. En ­attendant le jackpot : il a mis en vente 150 km2 de terres, qu’il possède avec ses sœurs. Elles incluent la superbe montagne-table de Hjörleifshöfdi, au sommet de laquelle ses grands-parents sont enterrés, aux côtés d’un des plus anciens ­colons de l’Islande (IXe siècle).

Kolbrun Hjörleifsdottir porte justement le nom de ce Viking. Cette femme brune, une rareté ici, avait ouvert la première chambre d’hôte du village, Arsalir Guesthouse, en 1990. Elle a fini par abandonner son métier de directrice d’école pour s’y consacrer pleinement. Elle affiche 90 % de remplissage à l’année, mais refuse de tout donner aux ­sites de vente en ligne afin d’accueillir les voyageurs de dernière minute.

« Avant, on laissait tous la porte ouverte. Certains la ferment désormais car on ne connaît plus tout le monde. Mais ce sont aussi les touristes qui nous ont poussés à ouvrir les yeux sur les beautés du pays. Avant, nous oubliions parfois de regarder autour de nous. »

Effets sur l’environnement

La vague touristique va continuer à déferler. Vingt-six compagnies aériennes desservent l’Islande. Le cinéma popularise ses lieux naturels. Les réseaux sociaux sont dithyrambiques. Les Chinois en nombre exponentiel. Par ailleurs, en raison des prix élevés, qui vont encore croître avec la hausse de la TVA en 2018, les séjours plus courts (3,8 jours en moyenne) favorisent les destinations faciles d’accès au ­détriment du tourisme-aventure.

Faute de pouvoir limiter l’afflux, Vik veut au moins contrôler ses effets sur l’environnement. Notamment grâce au classement de la commune au sein du Katla Geopark (du nom du volcan tapi sous le glacier Myrdalsjökull) de l’Unesco. A l’office du tourisme, Beata Rutkowska est heureuse de présenter les tout nouveaux panneaux interdisant de marcher sur les mousses, à proximité des zones de nidification, ou de pratiquer le camping sauvage. Ils seront installés avant l’été.

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