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Fiscalité
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Prélèvement à la source : le gouvernement recule d’un an le big bang fiscal

Initialement prévu pour entrer en vigueur en janvier 2018, le prélèvement à la source ne se fera pas avant 2019. Voici pourquoi le gouvernement a préféré jouer la prudence.

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Impôts

Certains syndicats de Bercy voient dans le prélèvement à la source une "usine à gaz", tandis que les entreprises dénoncent de nouveaux coûts administratifs. 

PHILIPPE HUGUEN / AFP

Nous n’en sommes pas encore à l’enterrement de première classe du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu. Mais le nouveau gouvernement ménage toutes les options sur ce dossier explosif. Dans la droite lignée de ce qu’avait indiqué le candidat Macron avant sa victoire à la présidentielle, le Premier ministre Edouard Philippe a confirmé ce matin un report du dispositif. « Nous allons décaler sa mise en œuvre au 1er janvier 2019 », a ainsi confié Edouard Philippe aux lecteurs du Parisien-Aujourd’hui en France. Initialement, la précédente majorité avait fixé l’entrée en vigueur du prélèvement à la source au 1er janvier prochain. Face aux difficultés techniques et aux fortes résistances au sein de l’administration comme du secteur privé, le gouvernement préfère ne pas se précipiter. « De juillet à septembre, nous allons tester le dispositif dans des entreprises et réaliser un audit », a ainsi précisé le Premier ministre. « Je ne veux pas m’engager dans cette réforme sans avoir la certitude que, techniquement, tout se passera bien. On va utiliser l’année qui vient pour garantir que le dispositif sera opérationnel et simple pour les employeurs », a-t-il ajouté.

Il y aura donc bien un test à petite échelle du prélèvement à la source et une évaluation avant, éventuellement, sa généralisation. Du côté des organisations patronales, le soulagement est palpable. « Le nouveau gouvernement fait là preuve d’un pragmatisme qu’il convient de saluer. On peut simplement regretter le temps perdu pour parvenir à une décision qui relève du bon sens: tester une idée avant de l’appliquer », commente ainsi la CPME (ex-CGPME), qui réclamait depuis longtemps un test du prélèvement à la source avant sa mise en œuvre dans toute la France. « Nul doute que l’audit fera apparaître la charge administrative pour les entreprises, le coût supplémentaire, les problèmes de confidentialité mais également l’impact sur le climat social à l’intérieur de l’entreprise », martèle ensuite la CPME, qui souhaite plutôt « instaurer une forme de prélèvement à la source sans passer directement par l’entreprise ».

Une « usine à gaz »

Même en interne, à Bercy, le projet est contesté. Le syndicat Solidaires Finances publiques, premier syndicat de la DGfip, dénonce depuis des mois « une usine à gaz » contre-productive. « Ce chantier s'est construit dans une administration malmenée depuis de nombreuses années avec notamment une baisse continuelle des moyens humains et budgétaire (37.600 suppressions d'emplois depuis 2002) », s’alarme l’organisation syndicale dans un communiqué. Si l’annonce du report par le gouvernement est une « première avancée », elle « n’est pas satisfaisante » aux yeux du syndicat, qui milite en faveur d’un abandon pur et simple de la réforme. Solidaires Finances publiques estime que le prélèvement à la source implique une « complexité qui aura des conséquences en termes de relation avec les contribuables » et qu’il risque de conduire in fine à une « baisse du taux de recouvrement », qui se situe autour de 98% actuellement pour l’IR.

Le gouvernement ferait-il marche arrière face à la grogne des patrons et des agents du fisc? Le prélèvement à la source est pourtant relativement populaire chez les Français sondés. En septembre dernier, ils étaient 58% à se montrer favorables ou très favorables à la mesure, selon un sondage Tilder-LCI-OpinionWay. En particulier parce que ce dispositif est vu comme un outil de simplification. Aujourd’hui, l’impôt sur les revenus de 2016 est prélevé en 2017. Un décalage parfois complexe à gérer, par exemple pour ceux qui ont perdu leur emploi ou ont connu une baisse importante de leurs revenus dans l’intervalle. D’autant qu’en début d’année, le fisc opère des prélèvements en fonction des impôts payés l’année précédente, autrement dit en fonction des revenus de l’année n-2, avant de procéder à un ajustement lors la déclaration de revenus du printemps. Afin de lisser les effets de ce décalage, 58,2% des contribuables avaient opté pour la mensualisation en 2015, selon les dernières données disponibles en provenance de la DGfip. Le prélèvement à la source aurait le mérite de supprimer le décalage entre revenus perçus et impôts prélevés, tout en lissant sur douze mois la douloureuse. « Le gros avantage, c’est d’appliquer l’impôt à des revenus contemporains. Plus besoin de mettre de côté de l’argent sur une longue durée en cas de grosse prime par exemple », estime Thomas Rone, associé Gestion de Patrimoine chez Exco Paris Nexiom.

Une montagne d’obstacles techniques

Cette bonne idée sur le papier se heurte cependant à une montagne d’obstacles dans la pratique. Et c’est ce qui inquiète le nouveau gouvernement. En premier lieu, que faire de « l’année blanche »? Supposons que la réforme soit bien effective en 2019. Les impôts de 2019 seront donc directement prélevés en 2019. Mais en 2018, ce sont les impôts des revenus de 2017 qui auront été payés. En théorie, les revenus de 2018 passeraient alors entre les mailles du filet fiscal. Certains contribuables pourraient alors être tentés de maximiser leurs revenus pendant cette fameuse « année blanche » de 2018. Bien conscient du problème, le fisc a déjà prévu la parade: une déclaration de revenus au printemps 2019. Techniquement, elle servirait à établir un « crédit d'impôt modernisation recouvrement », annulant les impôts qui auraient dû être payés sur les revenus de 2018. Cette déclaration de revenus permettrait également de réintégrer dans l’assiette de l’impôt 2019 tout élément de revenu jugé exceptionnel pour l’année 2018. Mais comment juger qu’un bonus est artificiellement élevé ou qu’il est lié à la bonne performance d’un salarié? « Cela va nécessairement générer du contentieux », s’inquiète Hervé Sauce, associé chez Grant Thornton.

La deuxième grande difficulté concerne la gestion des crédits d’impôt, comme celui lié à l’emploi d’un salarié à domicile. Le précédent gouvernement avait trouvé une solution. Les impôts prélevés mensuellement à la source ne tiendraient pas compte de ces crédits. En cas de trop perçu par le fisc, les contribuables recevraient alors 30% de leur crédit d’impôt en février de l’année suivante, puis le solde au mois de septembre qui suit. Les foyers qui ne payaient plus d’impôt depuis deux ans grâce aux crédits d’impôt, eux, resteront non imposables pendant un an. Côté simplification, on repassera.

Enfin, les entreprises dénoncent le poids excessif que fera peser sur elles le prélèvement à la source. « Les sociétés gèrent déjà la TVA et la CSG. C’est une nouvelle étape pour faire de l’entreprise un collecteur d’impôt. Malgré les discours, on est loin de leur simplifier la vie », dénonce Hervé Sauce. La mise en place de nouveaux logiciels de paie, la gestion des éventuels problèmes avec le fisc, l’appel à des cabinets spécialisés pour se préparer, tout cela aura un coût non négligeable. La solution technique pour échanger les informations entre l’administration et les sociétés est par ailleurs encore en rodage. « Le nerf de la guerre, c’est la donnée: savoir que tel salarié aura un taux à 8% et tel autre à 10% », explique Thomas Rone. « Or, le préambule technique pour mettre en place le prélèvement à la source, c’est la DSN, la déclaration sociale nominative, généralisée en mars dernier à toutes les entreprises », détaille-t-il. La DSN impose aux sociétés de transmettre les données sur les déclarations sociales des salariés à tous les organismes concernés: Urssaf, caisses de retraite, Agirc-Arrco, mutuelles… « Si pour la plupart des organismes, cela fonctionne parfaitement, il y a encore des problèmes de transmission avec certains assureurs ou instituts de prévoyance privés », constate Thomas Rone. « La DSN ne fonctionne pas bien avec certains organismes de retraite », remarque aussi Hervé Sauce. Autrement dit, le canal pour échanger les informations entre les entreprises et les organismes sociaux, le même qui sera utilisé pour transmettre les données entre le fisc et les entreprises, a encore des ratés. Pas de quoi rassurer les DRH et les directeurs financiers des entreprises… D’autant que des sanctions sont prévues par l’administration en cas d’erreurs de déclaration des entreprises.

Un report politique?

« Après la mise en place, il faudra aussi gérer la vie du dispositif, à chaque divorce, mariage, naissance ou décès d’un salarié », prévient Hervé Sauce. Car l’impôt sur le revenu n’est pas un impôt individualisé: il dépend d’un foyer fiscal et du quotient familial associé. Il évolue donc au gré des changements de situation familiale. Ce qui pose des problèmes de confidentialité des données. C’est notamment pourquoi, dans certains cas, les salariés devraient pouvoir demander à leur employeur d’appliquer un taux de prélèvement sur leur salaire différent de leur « taux réel ».

« Le passage au prélèvement à la source, c’est le sens de l’histoire mais cela ne se fera pas sans peine », juge Thomas Rone. Le gouvernement a pour l’instant choisi de temporiser et de s’ôter, temporairement, une épine du pied. Toutefois, pour Christian Eckert, ex-secrétaire d’Etat au Budget du précédent gouvernement, les raisons de ce report sont davantage politiques que techniques. « Monsieur Macron veut en fait que les baisses de cotisations salariales qu’il annonce sur la feuille de paie de certains se voient fin janvier. Ce n’est pas facile car elles seront en partie rognées par la hausse de CSG qu’il prévoit pour (presque) tout le monde. La mise en place simultanée du prélèvement à la source aurait enlevé de la lisibilité à cette opération », avait-il analysé sur son blog en mai dernier. Cela permet également d’éviter au gouvernement Philippe d’ouvrir un nouveau front de mécontentement à la rentrée prochaine, alors qu’il prépare déjà une délicate réforme du Code du Travail.    

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