L’Allemagne rechigne à collaborer contre la fraude à la TVA

Un reportage diffusé au Danemark révèle les liens entre TVA et terrorisme. Capture d'écran DR TV

Face aux réticences de certains pays, dont l’Allemagne, l’exécutif européen insiste sur le lien entre TVA et financement du terrorisme. La fraude dépouille l’UE de 50 milliards d’euros chaque année.

Le projet de parquet européen a péniblement reçu l’aval de 20 pays de l’UE, lors d’un conseil des ministres justice et affaires intérieures le 8 juin. Un consensus long et compliqué à obtenir, tant certains pays du Nord rechignent à collaborer sur la question de la TVA.

Le parquet européen, qui sera constitué au départ de membres d’Eurojust et de l’Olaf, a pour principal objet la lutte contre les fraudes sur les fonds européens (fonds de cohésion, politique agricole commune principalement), et contre la fraude à la TVA intra communautaire.

Première ressource de tous les États européens, la TVA représente un dossier sensible, ce qui explique la frilosité de certains sur le sujet. Bilan : le parquet européen ne sera saisi « que » des dossiers supérieurs à 10 millions d’euros, les plus petits dossiers restant la compétence des autorités judiciaires nationales.

Selon nos informations, ce compromis résulte du fait que l’Allemagne ne souhaitait pas, au départ participer au parquet européen si la fraude à la TVA était concernée.

« L’Allemagne représente toujours un partenaire compliqué sur les dossiers fiscaux, et en particulier la TVA » reconnait une source à la Commission. L’exécutif européen, qui tente de mettre sur pied une refonte globale du régime de TVA pour septembre prochain, précisément pour éviter la fraude, sait à quoi s’en tenir : la Commission travaille depuis des années à des projets de fiscalité commune, pour se voir systématiquement opposer des refus outre-Rhin, que ce soit sur l’assiette d’imposition commune des entreprises (ACCIS) ou sur le changement du régime de TVA.

L’auditeur européen dénonce l’inaction contre la fraude à la TVA

Le manque d’échange d’informations entre Etats laisse le champs libre aux fraudes aux carrousels, constate la Cour des comptes européenne. Le crime organisé retire près de 50 milliards d’euros par an de ce dysfonctionnement, selon Europol.

Pour mobiliser les Etats membres, la Commission commence à sortir l’artillerie lourde en évoquant les conséquences gravissimes de l’arnaque : crime organisé et financement du terrorisme.

La TVA, une source de financement pour le terrorisme

« La fraude à la TVA transfrontalière coûte chaque année 50 milliards d’euros aux États membres. On a tout lieu de croire que cet argent finance les activités de criminalité organisées voire de financement du terrorisme » estime de son côté le commissaire français Pierre Moscovici.

Dans un documentaire récemment diffusé au Danemark, les journalistes Bo Elkjaer, Mads Nilsson, Troels Kingo Larsen, en collaboration avec Matias Sedelin et le journal Jyllands-Posten, ont révélé comment des boucles de fraudes à la TVA organisées en Scandinavie, par des ressortissants danois radicalisés, ont contribué à financer des activités terroristes d’Al-Qaeda.

L’affaire a été découverte par des enquêteurs espagnols, qui poursuivaient la trace de deux jeunes hommes aujourd’hui soupçonnés d’être parmi les leaders de réseaux terroristes de l’enclave de Melilla en Afrique du Nord. Ils auraient monté des sociétés au Danemark dans le seul but d’escroquer la TVA, avec l’aide de jeunes danois radicalisés. Selon l’enquête diffusée par la chaîne DR Nyheder, cette filière aurait été active dès les années 2000, pour des montants d’escroquerie découverts représentant plus de 60 millions de couronnes danoises. Une jeune danois, Kenneth Sorensen, aurait ainsi été directement impliqué dans le financement d’Al-Qaeda.

Durant l’enquête sur la fraude à la TVA sur le Co2, des documents concernant des ressortissants italiens avaient aussi été transférés par le FBI à la justice italienne. Les Américains avaient trouvé ces pièces à conviction en recherchant Ben Laden, dans les montagnes d’Afghanistan.

TVA et paradis fiscaux, des problèmes connexes

En France, la parquent national financier instruit actuellement une quarantaine de dossiers de fraude à la TVA, dont une bonne dizaine sur la fraude organisée sur les quotas de CO2 en 2008 et 2009. Les conséquences de cette arnaque sont multiples, à commencer par une série de meurtres en plein Paris, au moins cinq. Fin 2016, un proche des fraudeurs a été la cible de six coups de feu dans le XVIième arrondissement.

La fraude touche aussi d’autres supports comme les voitures. La fraude à la marge consiste à importer des voitures, surtout allemandes, introduites en France au titre de voiture d’occasion alors qu’elles ne le sont pas, et d’obtenir ensuite des faux quitus de TVA alors que les véhicules ont été achetés hors TVA. Le vendeur vend ainsi à bas prix un véhicule très récent, sans payer la moindre TVA.

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A partir de 2020, tous ces dossiers seront a priori rapatriés au niveau européen, où ils seront censés progresser plus rapidement. Le tribunal correctionnel de Paris juge actuellement un dossier intitulé Crépuscule concernant une fraude de 146 millions d’euros effectuée entre 2008 et 2009. Les retours de commissions rogatoires internationales ont largement retardé l’enquête, et au final aucune somme n’a été réellement identifiée – et encore moins récupérée.

Avec le parquet européen, les États membres espèrent que la coopération judiciaire immédiate qui pourrait être mise en place au sein de l’Europe pourrait permettre de récupérer des avoirs plus facilement.

La coopération n’est toutefois qu’un des volets de la lutte contre la fraude : comme l’a montré le dossier Crépuscule, une des sociétés défaillante avait été immatriculé au Delaware, à partir du Luxembourg. Une démarche qui est toujours possible aujourd’hui. Et qui permet d’évacuer puis d’anonymiser des fonds subtilisés en Europe à très grande vitesse.

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