Monde / Économie

Les limites du super modèle suédois

Avec la suppression de nombreux postes de fonctionnaires, l’emploi public en Suède a changé de paradigme.

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Stockholm | Pedro Szekely via Flickr CC License by

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Pas de statut spécial, un contrat de droit privé, une carrière et une rémunération en fonction du mérite et des résultats, une retraite par points et capitalisation comme dans le secteur privé. Voilà en quelques points le gouffre qui séparent les fonctionnaires français de leurs homologues suédois.

Au cours de l’après-guerre, l’économie suédoise est devenue célèbre pour une version «douce» du capitalisme en accordant plus d’importance à l’égalité sociale que d’autres pays occidentaux. Le modèle, fondé sur des impôts élevés finançant un système d’aide sociale redistributif, s’est transformé brutalement lorsque la nation s’est retrouvée au début des années 1990 en grande difficulté. Bulle immobilière et banques en faillite ont mis les finances publiques dans le rouge et ainsi poussé ses politiciens à réformer radicalement leur système. La matrice sociale-démocrate devenait sociale-libérale sous l’effet conjugué de la mondialisation et de l’entrée dans l’UE en 1995.

La contraction du secteur public et de son mode de gestion, New Public Management (NPM), fut amorcé, grâce à un large consensus, par le gouvernement de centre-gauche du premier ministre Göran Persson. Outre la dérèglementation des services postaux et des transports puis des télécommunications, le pays s’infligea une cure d’austérité et instaura des règles strictes sur les finances publiques en imposant 1% d’excédent budgétaire. La stabilité retrouvée des finances et les réformes structurelles mises en place au cours des années 1990 permirent au pays de sortir de la crise jusqu’à rester aujourd’hui encore un pays à forte croissance.

Un changement de paradigme

Avec la suppression de nombreux postes de fonctionnaires, l’emploi public en Suède a changé de paradigme. Le système «de carrière» caractérisé par un emploi garanti, souvent dans un processus concurrentiel centralisé, avec des règles strictes dans le recrutement, des paliers de salaire avec peu ou pas de salaire individualisé a quasiment disparu. Le système «de poste» est caractérisé par des appels d’offres individuels de services délégué à des entités autonomes plutôt que des tests de recrutement centralisés. Aussi, depuis près de trente ans, l’administration de l’État suédois est progressivement passée d’un modèle essentiellement axé sur la carrière à une part croissante des emplois axés sur le poste, qui constituent désormais la grande majorité de la fonction publique suédoise.

Une partie centrale de ce changement fut la délégation de l’emploi et des salaires où chaque chefs d’organismes publics a seul la charge de recruter et de gérer ses services. Aujourd’hui un directeur d’école par exemple recrute lui-même ses professeurs et fixent leurs revenus selon les critères définis par l’établissement. Göran Söderstam est l’un de ces heureux administrateurs. Il gère, depuis une dizaine d’années, une école primaire dans le centre de Stockholm:

«Selon moi, qui ai connu le mode étatique quand j’ai commencé en tant qu’enseignant dans les années 1970, le système éducatif suédois a depuis gagné en qualité. Depuis la réforme de 1992 où les communes ont pris en charge la scolarité de chacun des enfants de leur territoire, on est devenu plus libre et autonome dans nos choix. Les professeurs que je recrute et que je récompense, ils le doivent à leur seule compétence. Je considère que la concurrence est saine, même dans le système éducatif

En 2006, le gouvernement centre droit du Premier ministre Fredrik Reinfeldt a accéléré le rythme des réformes, resserrant les critères d’indemnités chômage et maladie tout en réduisant les impôts. La Suède est ainsi devenue, en moins de quinze ans, un modèle pour les penseurs du libre marché, les progressistes. Y compris pour l’hebdomadaire britannique The Economist, qui en 2013 qualifié les pays nordiques de «Next supermodel» écrivant alors que «ces modèles offrent un plan de réforme du secteur public qui rend l’État beaucoup plus efficace».

Plus «libres» qu'en France

Des formes de travail flexibles dans les services de l’administration et aussi l’utilisation de notions empruntées au secteur privé: culture du résultat, effectivité ou rationalisation se sont implantées jusqu’à être aujourd’hui être la norme. Les contrats à durée limitée ont ainsi augmenté depuis le début des années 1990 et l’emploi de consultants pour des missions spécifiques est préconisé, notamment pour les questions de digitalisation des services. Pour Petter Kockum, conseiller à l’agence pour la gestion des politiques publiques (Statskontoret), les administrations suédoises sont aujourd’hui plus libres qu’en France:

 «La France et la Suède apparaissent dans deux traditions administratives différentes. La Suède a grandement décentralisé ses administrations en même temps qu’elle leur a aussi délégué les questions relatives au personnel : promotion, embauche, répartition et licenciement sont simplifiés pour la mise en œuvre des changements organisationnels. Ces fonctions sont dans d’autres pays trop centralisées. Des études comme ‘Public Administration Reforms in Europe’ paru en 2016 montrent qu’en termes de flexibilité de l’emploi, la France se situe en dessous de la moyenne européenne alors que la Suède est au-dessus.»

Néanmoins, les sociaux-démocrates, au pouvoir pendant une grande partie du siècle dernier, ont gagné les dernières élections de 2014 en jouant sur le retour de l’État dans le champ public. Une série de scandales dans des services de soins privés ont montré un traitement dégradant des résidents ou encore le classement PISA mettant en évidence l’écroulement des résultats scolaires ont choqué l’opinion. Aussi, des observateurs ont souvent été surpris ces derniers temps d’apprendre les longs délais d’attente dans les services de soins, que des émeutes éclatent dans des quartiers défavorisés ou que des trains déraillent fautes d’investissements dans les infrastructures.

Sten Widmalm, professeur de sciences politiques à l’université d’Uppsala est l’un des plus virulents critiques de ce qu’ils appellent «les effets pervers» du NPM et dénonce, par exemple, le terme de «client» de plus en plus souvent employé dans les services publics à la place du mot «utilisateur». Terme que l’on retrouve dans le domaine scolaire où certaines écoles privées dites «libres», les friskolor, font du profit, sont cotées en bourse, et mettent en exergue les inégalités qui se creusent dans l’espace de l’État-providence:

«La Suède est actuellement le seul pays au monde où il est permis que des recettes fiscales allouées à l'école aillent à des entreprises du secteur de l'éducation qui font des économies sur les salaires des enseignants et sur du matériel pédagogique pour créer plus de bénéfices pour les actionnaires et qui de plus supplantent des écoles communales qui, elles, accordent la priorité à la qualité.»

Bien que de nombreux experts louent les réformes mises en place par la Suède au cours de ces 30 dernières années, il y a encore des lacunes dans les connaissances sur les effets à longs termes de tels changements. Si le contrôle interne et la délégation de décisions relatives au personnel (salaires individuels et évaluation du rendement) semblent avoir amélioré la qualité des administrations, ce modèle, actuellement âprement critiqué en son sein, reste à ce jour imparfait. 

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