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Des syndicalistes de la CGT pris en flagrant délit de «quenelle»

Sur une photo, trois responsables du syndicat d'Air France, dont son porte-parole, effectuent le geste de ralliement des dieudonnistes. Tandis que plusieurs cégétistes de la compagnie affichent leur soutien à l'humoriste sur Internet.
par Yann Philippin
publié le 30 janvier 2014 à 19h13

L’affaire est embarrassante pour la CGT. Selon nos informations, plusieurs responsables de la CGT Air France (par ailleurs en délicatesse avec sa confédération) ont effectué une «quenelle» à Roissy et ont affiché sur Internet leur soutien à l'«humoriste» Dieudonné, plusieurs fois condamné pour propos antisémites.

Tout est parti d'une photo qui a choqué en interne, et que Libération s'est procurée. Le cliché a été pris le 8 novembre sur un parking de l'aéroport de Roissy, lors d'un conflit social dans la filiale locale de Swissport Cargo, un géant mondial de la logistique aéroportuaire. En compagnie d'autres militants, on y voit trois responsables du syndicat CGT Air France effectuer une «quenelle» : David Ricatte, secrétaire et porte-parole de la CGT Air France, Pascal Belrose, l'un des secrétaires de section et Laurent Dahyot, membre de la commission exécutive du syndicat.

Joint par Libération, David Ricatte assure que le geste n'avait «aucune connotation raciale, religieuse ou communautaire» : «Il s'agissait d'un rassemblement de soutien organisé par l'Union locale CGT de Roissy. Nous étions à la fin de cette grève dure qui a duré quarante-quatre jours, juste avant que la direction ne cède. Cette photo a été prise par un camarade avec un mot d'ordre qui a fait rire tout le monde : adresser une quenelle en forme de bras d'honneur à la direction de Swissport Cargo.» Il ajoute qu'à l'époque «la quenelle était un geste plus ou moins rebelle et à la mode», et n'avait pas la connotation antisémite («antisystème», disent les fans de Dieudonné) très médiatisée depuis la fin décembre.

Pourtant, les responsables de la CGT Air France affichent ostensiblement sur le Web leur soutien à l'«humoriste». Y compris début janvier, alors que les saillies antisémites du personnage ne pouvaient plus échapper à personne.

Le 11 janvier, trois jours après l'interdiction du spectacle de Dieudonné à Nantes, David Ricatte postait sur son compte Twitter une vidéo de soutien très particulière. Il s'agit d'un détournement du film la Chute, consacré aux derniers jours d'Adolf Hitler, dont les sous-titres ont été détournés. Dans cette parodie, Hitler est censé être le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, en train d'animer une réunion consacrée à l'interdiction du spectacle. «Je vous avais demandé de le discréditer [Dieudonné, ndlr] dans des reportages à charge, de faire passer la quenelle pour un geste diabolique», éructe Hitler/Valls à ses généraux. «Excellentissime», commente Ricatte.

Cette parodie «m'a fait beaucoup rire, explique aujourd'hui le porte-parole de la CGT Air France. Elle reflétait mon sentiment strictement personnel, c'est-à-dire le fait qu'on était à l'époque dans une chasse à l'homme complètement disproportionnée et qui occultait tout le reste, en particulier les problèmes sociaux». Ricatte ajoute être «adhérent au Parti de gauche» et assure qu'il n'est «ni dieudonniste, ni soralien, ni antisémite».

D'autres responsables du syndicat, qui n'étaient pas sur la photo de la quenelle à Roissy, ont aussi diffusé des messages pro-Dieudonné. C'est le cas de Mehdi Kemoune, secrétaire général adjoint de la CGT Air France. Le 6 janvier, il a posté sur son compte Facebook (lequel met en avant son appartenance à la CGT) un détournement du logo de SOS Racisme (une main jaune et l'inscription «Touche pas à mon Dieudo»), ainsi qu'un lien vers un article du site allainjules.com, qui affiche son soutien à Dieudonné. Titre de l'article : «Quenelle : quand les médias lancent clairement un appel à la guerre civile.»

«Ce n'était pas une question de soutien, c'était une question de débat», affirme Mehdi Kemoune à Libération. Il assure ne pas être «un fan de Dieudonné», avoir milité à SOS Racisme et ne pas être antisémite. «Je suis un grand défenseur de la liberté d'expression, même quand elle dérange. D'ailleurs, j'ai aussi posté un article du blogueur Maître Eolas, qui explique que suite à la décision du conseil d'Etat [d'interdire le spectacle le Mur, ndlr], on passait à un régime préventif en matière de liberté d'expression.»

Il y a enfin le cas de Marc Allot, responsable du pôle formation du syndicat CGT Air France. Il a récemment posté plusieurs liens pro-Dieudonné sur son compte Facebook. Dont la «pétition pour que la quenelle soit déclarée grande cause nationale 2014», et un second avec le hashtag «#SoutienDieudonné»

«Marc, l'antisémitisme […] est un délit, pas une opinion», lui a reproché le 2 janvier un internaute. «L'éternel prétexte fallacieux de l'antisémitisme et du racisme continuellement réchauffé à toutes les sauces et pendant ce temps on occulte les vrais problèmes de nos concitoyens», a répondu le militant de la CGT Air France sur son compte Facebook.

Les propos de Dieudonné sont en tout cas difficilement compatibles avec les valeurs défendues par la CGT. «Elle agit pour une société démocratique, libérée de l'exploitation capitaliste et des autres formes d'exploitation et de domination, contre les discriminations de toutes sortes, le racisme, la xénophobie et toutes les exclusions», indiquent les statuts du syndicat. La direction de la CGT était-elle au courant de ces multiples signes de soutien à Dieudonné au sein de cette section syndicale ? Contactée jeudi après-midi, la confédération, basée à Montreuil, n'a pas donné suite. Tandis que la direction de la compagnie aérienne nous a indiqué ne pas avoir eu connaissance de cette affaire.

Hors micro, un cadre de la CGT assure lui aussi ne pas être au courant. Il explique que le syndicat Air France, réputé pour sa ligne radicale, est en conflit depuis longtemps avec la fédération des transports de la CGT. Lors du dernier congrès, les deux membres que le syndicat avait proposé pour intégrer la direction fédérale ont été retoqués par les délégués. «Une décision rarissime», explique un bon connaisseur de l'organisation. Le porte-parole de la CGT Air France, David Ricatte, reconnaît volontiers des «divergences fortes de point de vue» avec la direction du syndicat. Et estime que la publication de la photo de la «quenelle» à Roissy relève «d'une manœuvre de déstabilisation, qui survient peu avant l'élection des représentants des salariés au conseil d'administration d'Air France».

Mise à jour le 31/01/2014 : jointe par l'AFP, la direction d'Air France s'est déclarée  «extrêmement choquée par ces agissements et références contraires aux valeurs de l'entreprise». La compagnie «est aux côtés de toutes les personnes qui se sentiraient blessées par de tels comportements et n'hésitera pas à prendre les mesures appropriées», a ajouté un porte-parole.

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