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Quand les friches se transforment en laboratoires de la ville

Face aux coûts d’immobilisation des terrains et immeubles vacants, les initiatives d’urbanisme transitoire se multiplient depuis trois ans, favorisant la participation des usagers au projet final.

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Publié le 09 juin 2017 à 11h03, modifié le 12 juin 2017 à 12h16

Temps de Lecture 7 min.

Désaffecté depuis 2013, le dépôt Chapelle de la SNCF, dans le 18e à Paris, s’est transformé de mai à octobre 2016 en un lieu alternatif, baptisé « Grand Train »,  alliant un musée éphémère (avec l’exposition de 25 locomotives) et divers bars restaurants, une petite salle de cinéma, un marché en circuit court, une salle de jeu pour enfant, un terrain de pétanque, des transats au soleil…

Les anciens entrepôts du Printemps et la ZAC Alsthom Confluence à Saint-Denis ; la halle Papin à Pantin ; la friche Miko sur le canal de l’Ourcq ; le dépôt ferroviaire de la Chapelle dans le 18e à Paris ; les halles et hangars de l’île de Nantes ; le terrain vague Foresta au nord de Marseille… autant d’espaces en déshérence, convertis en terrains artistico-festifs, lieux d’expositions, de concerts, en bars buvettes, espaces de coworking, fermes urbaines, incubateurs, ateliers d’artistes… Des squats ? Non, des occupations tout à fait légales, dont certaines sont devenues des adresses très prisées.

De plus en plus d’usines désaffectées et de bureaux vides sont loués à des occupants temporaires, moyennant un bail dérogatoire ou une convention d’occupation temporaire. « Ce phénomène d’urbanisme transitoire se développe de façon institutionnelle, encadré et visible », observe Cécile Diguet, urbaniste qui étudie le sujet à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de l’Ile-de-France (IAU IF). Rien qu’en Ile-de-France, 62 sites éphémères ont éclos depuis 2012. La région a même décidé de soutenir ces initiatives, et lancé un appel à projets.

Le phénomène a aussi gagné des villes comme Bordeaux, Marseille, Reims, Lille… ou encore Nantes, où la société d’aménagement de l’île de Nantes (Samoa) offre, sur plusieurs sites vacants voués à la démolition ou à la transformation, des bureaux à des loyers planchers à de jeunes entreprises de la création et la culture.

Limiter dépenses et risques de dégradation

Pour les aménageurs et les promoteurs, ces occupations temporaires sont un bon moyen de rentabiliser l’immobilisation d’un terrain ou immeuble vacant, en attendant sa réhabilitation. « La durée des projets urbains s’est allongée, atteignant dix à quinze ans pour certains. Et l’immobilisation des terrains est devenue de plus en plus chère, avec le renchérissement des prix de l’immobilier, poursuit Cécile Diguet. A Paris, rien que pour le gardiennage, il faut compter entre 10 000 et 15 000 euros par mois. » En confiant leur site à des acteurs en quête d’espaces pour mener à bien leur projet, le propriétaire limite ses dépenses et les risques de dégradation. « C’est une opération neutre qui nous permet de maintenir les friches industrielles dans un état correct et d’éviter les squats », souligne Lénaïc Le Bars de la Société d’aménagement de la métropole ouest (Samoa).

Le Hangar du karting, un des sites vacants sur l’île de Nantes voués à la démolition ou à la transformation, où la Samoa offre à de jeunes entreprises de la création et de la culture des bureaux à des loyers planchers.

Certaines occupations ne durent que le temps d’un festival. D’autres s’étalent sur des hectares et sur plusieurs années, comme Les Grands Voisins, dans le 14e à Paris, l’un des plus grands sites temporaires d’Europe. Les 3,5 hectares de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul accueillent un vrai village de 1 000 personnes, dont 600 personnes en insertion suivies par l’association Aurore qui y a ouvert 5 centres d’accueil.

A leurs côtés, 400 professionnels – entrepreneurs sociaux, associatifs, artistes ou artisans – travaillant pour 130 structures. Ouvert au grand public, le site comprend aussi un bar, une ressourcerie (lieu de recyclage), un camping un terrain de foot, une ferme urbaine. « Il s’agit de créer une cohésion entre les personnes en insertion, les artistes, “startuppeurs”, artisans cherchant un bureau pas cher, et les visiteurs », explique Aurore Rapin, l’une des responsables de l’association Yes We Camp, qui anime le lieu.

L’opportunité de locaux bon marché en pleine ville

« L’occupation temporaire n’est pas un phénomène récent. Il a émergé au cours des années 1980. Jusque-là il s’agissait surtout d’anciens squats servant exclusivement d’ateliers de création et de production à des collectifs d’artistes. Mais depuis trois ou quatre ans, ces occupations ont pris une nouvelle dimension avec l’ouverture au public, l’introduction d’activités marchandes. Et la professionnalisation de leur gestion », observe Elsa Vivant, chercheuse au Laboratoire techniques, territoires et sociétés (Latts).

Aujourd’hui, ces lieux sont gérés par des professionnels de l’événementiel ou de l’immobilier, comme Yes We Camp, Soukmachines, Allô la Lune ou encore Plateau urbain, qui jouent le rôle d’intermédiaires entre les occupants et les propriétaires peu habitués à dialoguer avec des artistes ou des « startuppeurs ».

« Des centaines d’associations, de start-up ou d’artistes rencontrent des difficultés pour trouver des locaux. En même temps, il existe en Ile-de-France 4 millions de mètres carrés de bureaux vacants, dont près d’un quart non loués depuis quatre ans ou plus, rappelle Simon Laisney, créateur de Plateau urbain. Souvent en reconversion, en attente d’être transformés ou détruits, ces espaces peuvent permettre de répondre au besoin urgent de petites structures de trouver des locaux bon marché en pleine ville. »

Les avantages pour les occupants sont nombreux : des loyers en deçà du prix du marché (17 euros aux Grands Voisins, par exemple), des surfaces disponibles importantes et flexibles, des locaux collectifs, mais aussi un environnement créatif qui rend possible une mutualisation des moyens humains ou techniques. Aussi diverses soient-elles, toutes ces occupations ont un point commun : ramener de la vie dans les « zones » en déshérence.

Attractivité nouvelle de zones en déshérence

Installé sur la friche Miko au bord du canal de l’Ourcq et animé par l’association d’architectes Ballastock, le MobiLab propose des activités d’autofabrication (bricolage, construction, et création) à partir du réemploi de matériaux.

Coincés entre le canal de l’Ourcq et la nationale 3 (N3), en Seine-Saint-Denis, 200 hectares sont appelés à être désenclavés et transformés en écoquartier d’ici à quelques années. En attendant, Bellastock, une association d’architectes spécialisée dans le réemploi de matériaux, a signé en 2016 une convention d’occupation temporaire sur une partie du site, l’ancienne friche industrielle Miko, pour y installer Mobi Lab, une structure d’expérimentation et d’animation autour du réemploi.

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MobiLab a pour vocation d’ouvrir le chantier au public et de concevoir à partir de matériaux issus de ressources locales (démolitions, déchetteries) de nouvelles formes de mobilier urbain qui pourront s’intégrer dans le futur quartier. « L’objectif est de sensibiliser les habitants voisins actuels et les futurs habitants à la prévention et réutilisation des déchets », explique Paul Chantereau cofondateur de Bellastock.

L’association, qui anime le site avec des acteurs locaux de l’agriculture urbaine, de la restauration responsable et de l’autofabrication, propose ateliers, chantiers, guinguettes… L’été dernier, elle y a même organisé son festival annuel, lequel a attiré un nombre « impressionnant » de visiteurs, se félicite Sophie Cajelot, chef de projet chez Séquano Aménagement, aménageur de la plaine de l’Ourcq. « L’attractivité nouvelle de cette zone en déshérence nous sert dans nos discussions avec les promoteurs, reconnaît-elle. L’animation qu’apporte MobiLab crée un terreau associatif qui animera le futur quartier. »

Résidence d’artiste et lieu de concert et d’exposition, installé dans un bâtiment désaffecté de la ZAC Alsthom Confluence à Saint-Denis, le 6B est devenu une adresse très prisée qui attire Dionysiens et Parisiens. Elle s’est notamment  fait connaître par son festival d’été La Fabrique des rêves.

L’éphémère devient pérenne

A Saint-Denis, une autre occupation temporaire, celle de la ZAC Alsthom Confluence, a réussi la prouesse de favoriser la mixité sociale et territoriale. Baptisée 6B, la résidence d’artistes qui occupe le terrain est aussi un lieu de fête aujourd’hui très « branché » (concert techno, musique du monde, hip-hop…) qui attire bon nombre de Parisiens dans cette zone industrielle de l’autre côté du périphérique.

« Le 6B anime un quartier à l’abandon qui est en train de se reconstruire. Il révèle un potentiel du territoire », relève Julien Beller, architecte qui a suscité la naissance de ce collectif d’artistes et négocié en 2010 son installation, moyennant un loyer très bas (11 euros/mètre carré), dans un bâtiment désaffecté de la zone.

« Le 6B fait évoluer l’image de la ZAC et met de la vie dans le quartier avant même que les habitants arrivent », abonde le promoteur Bernard Brémond, PDG du groupe éponyme. Lorsqu’il a racheté en 2011 à Alsthom la zone d’aménagement concerté (ZAC) désertée depuis 2000, ce promoteur a vite compris, « au-delà des économies sur les frais de gardiennage, tout le bénéfice » qu’il pouvait tirer de la présence d’un tel lieu de culture. Il a même obtenu depuis une modification du plan local d’urbanisme (PLU) pour que le bâtiment hébergeant le 6B puisse être maintenu et non détruit, moyennant sa réhabilitation. Ou quand l’éphémère devient pérenne.

Favoriser la participation des usagers

La plupart du temps, ces occupations restent temporaires, mais elles ne disparaissent pas sans laisser de traces. L’expérience des Grands Voisins qui doit s’arrêter à la fin de décembre a d’ores et déjà fait évoluer le projet urbain du futur écoquartier Saint-Vincent-de-Paul. « Cette occupation bouscule notre métier d’aménageur, en particulier par sa capacité à introduire une grande mixité d’usages », reconnaît Mélanie Van Waveren, directrice de l’aménagement de Paris Batignolles Aménagement qui s’est vu confier l’aménagement du futur quartier.

Le programme initial de logements du futur quartier a ainsi été ramené de 48 000 m2 à 43 000 m2 afin de consacrer 5 000 m2 à des activités et commerces. « Nous souhaitons favoriser une participation des futurs usagers (habitants, salariés du quartier, entrepreneurs, riverains impliqués, associations porteuses de projets), et des activités moins traditionnelles, de type artisanales et associatives », précise Mme Van Waveren.

L’espace vert central a lui aussi été étendu à 4 000 m2, soit le double de ce qui était prévu initialement, pour y accueillir des jardins partagés et peut-être une ferme urbaine. Huit à dix pour cent des logements pourraient encore être dévolus à de l’habitat participatif. Et, selon la Mairie de Paris, la possibilité de garder un centre d’accueil d’urgence serait même à l’étude.

Le site de l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul, repensé par l’atelier d’urbanisme Anyoji-Beltrando et montrant les usages et ambiances qui pourraient prolonger l’expérience des Grands Voisins au sein du futur quartier.

« En général, les riverains ne voient jamais d’un bon œil la réalisation d’un programme ambitieux d’aménagement urbain, reconnaît Carine Petit, maire du 14e. Mais cette occupation temporaire a favorisé une appropriation du projet par les gens du quartier. »

Sans compter, insiste l’élu, que cela redonne sens au processus de concertation. » Grand coutumier de ces réunions, Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme, le confirme : « Les réunions de concertation ne donnent souvent lieu qu’à des récriminations. Avec ces opérations d’urbanisme transitoire, elles prennent une tonalité plus constructive, car les riverains sont amenés à s’exprimer sur quelque chose qui émerge. »

« Les friches, les lieux vacants peuvent être des laboratoires de la ville », abonde, convaincu, Paul Chanterau, dont l’association Bellastock cherche, elle, dès le départ, à s’inscrire dans le projet futur. « Notre objectif, insiste-t-il, est d’avoir un impact sur la manière dont va être pensé, conçu le projet. Et que notre présence puisse contribuer à la détermination des usages futurs. » L’architecte préfère d’ailleurs parler d’urbanisme « de transition » et non transitoire.

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