L’Europe reconnaît le danger d’un perturbateur endocrinien, le bisphénol A. Une première

L’Europe reconnaît le danger d’un perturbateur endocrinien, le bisphénol A. Une première
L'Europe reconnaît enfin que le BPA est un perturbateur endocrinien. (VOISIN / PHANIE)

Le bisphénol A est qualifié de "substance très préoccupante" par une agence européenne. C’est la première fois qu’un  produit est reconnu comme dangereux pour le système hormonal humain.

Par Arnaud Gonzague
· Publié le · Mis à jour le
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L’avis paraît un peu technique, mais c’est une bombe en matière de santé publique. Ce vendredi 16 juin, l’Agence européenne des produits chimiques (Echa, dans son acronyme anglais), officiellement chargée d’évaluer les risques chimiques pour les pays de l’Union, a classé le bisphénol A comme "substance of very high concern". Traduisez : "très préoccupante". Traduisez surtout : une substance que les Etats membres vont interdire.

Le bisphénol A, ce composé chimique utilisé par l’industrie depuis plus de cinquante ans et que l’on retrouve, entre autres, dans les contenants en plastique portant les chiffres 3 (PVC, ou polychlorure de vinyle) et 7 (polycarbonate), ainsi qu'à l’intérieur des boîtes de conserve ou des canettes, est accusé d’être un perturbateur endocrinien. En clair, il dérègle le système hormonale humain. Ce qui a pour conséquence, dans son cas, de réduire la fertilité masculine et féminine.

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Bisphénol A : où le trouver pour l'éviter

Ere politique nouvelle

Il n’est certes pas le seul dans ce cas : des milliers de substances chimiques, partout dans notre environnement, sont suspectées de jouer le rôle de perturbateurs. Mais, comme le précise Dominique Gombert, directeur de l’évaluation de risques à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) :

"C’est la première fois qu’une substance est officiellement interdite en Europe parce qu’elle perturbe le système hormonal humain. C’est une décision à la portée symbolique très importante, parce que le bisphénol A a incarné toutes les discussions et toutes les controverses scientifiques sur la question des perturbateurs endocriniens."

Pour les Français, cet avis n’est pas vraiment un scoop : depuis 2010, le bisphénol A est interdit dans les biberons et depuis 2012, il l’est pour tous les revêtements de contenants alimentaires. Mais jusqu’ici, rien n’obligeait nos voisins à la bannir des canettes et boîtes de conserve.

Surtout, l’avis de l’Echa ouvre une ère politique nouvelle au sein de l’Union européenne. Celle d’une définition officielle de ce que sont les critères scientifiques pour reconnaître un perturbateur endocrinien – et donc, en limiter voire en interdire l’usage.

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Puissants lobbys

En effet, aussi étrange que cela puisse paraître, la définition des perturbateurs n’existe pas dans l’UE. Non parce qu’elle est très compliquée à donner sur le plan scientifique – des milliers d’études documentent les effets de ces produits cancérogènes, mutagènes (qui attaquent le génome) et reprotoxiques (qui réduisent la fertilité). Mais parce que derrière les efforts pour empêcher la Commission de Bruxelles de réglementer, agissent de puissants lobbys. Ceux de l’agro-industrie d’abord (la plupart des pesticides ayant un rôle perturbateur), ceux de l’industrie du plastique ensuite dont.

Malgré la résistance des ONG environnementales, les lobbys poussent la Commission à promulguer un texte inapplicable dans les faits, comme l’expliquait à "l'Obs" la journaliste Stéphane Horel.

Ecran de fumée

Jusqu’ici, les intérêts économiques avaient toujours surpassé les préoccupations sanitaires, mais c’est peut-être (soyons optimistes) de l’histoire ancienne. En tout cas, pour l’Anses qui ferraille depuis 2010 pour faire reconnaître auprès des instances européennes la dangerosité du bisphénol A, l’avis de l’Echa a un vrai goût de victoire. Dominique Gombert :

"C’est une grande satisfaction de voir nos travaux obtenir de la reconnaissance dans toute l’Europe. Nos positions sur le bisphénol A étaient jusqu’ici jugées 'atypiques' par les grandes agences européennes."

Atypiques... Ou disons plutôt, ennuyeuses pour le business. L’Agence européenne de sécurité des aliments (Efsa), basée à Parme (Italie), s'est notamment montrée très, très poreuse aux "arguments" - comprendre aux pressions – déployés par les industriels. Au point de publier en novembre 2016 une étude commandée par eux et qui ressemble diablement à un écran de fumée destiné à embrouiller les débats scientifiques pour empêcher toute réglementation, comme l’ont dénoncé dans la presse un groupe de scientifiques.

Derrière le cas emblématique du bisphénol A, d’autres substances suspectées de perturber nos hormones pourraient bientôt entrer dans les viseurs européens. L’Anses travaille déjà sur une dizaine de composés chimiques dans le cadre de la Stratégie nationale (en PDF) qui devrait encore tirer  la sonnette d’alarme.

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Arnaud Gonzague

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