«Tous les pays ont les moyens de mettre en place un revenu universel»

« Nos revenus sont beaucoup plus influencés par nos parents et grands-parents que par nos propres actions. » [pbombaert/Shutterstock]

99% de la population souhaite améliorer ses conditions de vie, ce qui ne devrait pas changer avec l’instauration d’un revenu universel. En revanche, le mécanisme permettrait de mettre fin aux situations de travail ou d’assistanat humiliantes assure Guy Standing à Euractiv Pologne.

Le professeur Guy Standing, associé de recherche de la faculté d’études orientales et africaines à l’université de Londres, est co-président du Réseau mondial pour le revenu universel (BIEN).

L’instauration d’un revenu universel de base (RUB) revient à distribuer de l’argent, de manière inconditionnelle, à tous les membres d’une communauté. Comment financer un tel projet ?

Le RUB est moralement et philosophiquement justifié, et c’est plus important que tout argument relevant de l’efficacité économique. Il s’agit d’éradication de la pauvreté et, plus généralement, d’une garantie de justice sociale.

Nombre d’économistes libéraux vous répondraient que les démocraties occidentales sont des sociétés ouvertes, sans classes ni castes, dans lesquelles tout le monde peut s’élever, passer des haillons à la richesse, comme l’illustre le rêve américain. Théoriquement, la justice sociale, c’est ça.

La vérité est que notre richesse et nos revenus sont beaucoup plus influencés par nos parents et grands-parents que par nos propres actions. Étant donné l’importance extrême des héritages privés, il faut donc mettre en place un dividende social.

Cela nous amène à un autre argument fondamental du RUB : la justice écologique. Les gens riches créent leur richesse en polluant et en affaiblissant les ressources naturelles, alors qu’en général les pauvres et les précaires sont ceux qui vivent avec les conséquences de cette pollution. Le RUB permettrait donc de compenser les effets indésirables de la création de richesse.

La rhétorique en faveur du RUB ne s’arrête cependant pas à la justice sociale. Le RUB renforce les libertés, qui manquent dans un monde de contrôle permanent. L’essence de la liberté républicaine est de pouvoir dire « non ». « Non » à un emploi humiliant que je ne veux pas. « Non » à un patron méchant ou à des conditions inhumaines. « Non » à la bureaucratie qui paralyse les services sociaux.

C’est l’effet émancipateur du RUB, qui libère du processus humiliant de réception des allocations au chômage tous les mois, ou d’autres aides en cas de pauvreté.

Troisième avantage du RUB : il augmente simplement la capacité humaine et le capital social. Le sentiment d’insécurité empêche d’accéder à sa propre intelligence et il est impossible de prendre des décisions rationnelles si vous n’êtes pas en sécurité. À l’inverse, la sensation de sécurité élève nos compétences mentales, notre compréhension des faits, notre tolérance, notre altruisme.

Le RUB a été mis en place en Finlande dans le cadre d’un projet pilote. 2 000 chômeurs sélectionnés au hasard reçoivent 560 euros par mois depuis le 1er janvier, et cela durera deux ans.

Cette expérience ne teste pas réellement le RUB.

Une start-up allemande teste le revenu universel «version loterie»

Miko n’a que 5 ans mais va toucher 1 000 euros par mois pendant un an : le petit Berlinois est l’un des heureux cobayes d’une start-up qui entend tester le « revenu de base » ou « revenu universel » dans une Allemagne plutôt dubitative. Un article de notre partenaire, Ouest-France.

Parce qu’elle est conçue uniquement pour des chômeurs ?

Exactement. Je peux déjà vous dire que le résultat sera positif, il confirmera qu’il n’est pas nécessaire de harceler les citoyens pour qu’ils trouvent un emploi. Des projets pilotes beaucoup plus proches du RUB, dont trois en Inde, ont cependant déjà été mis en place. Ces programmes ont été une réussite si totale que le gouvernement indien envisage d’adopter le principe de manière régulière. Selon les études, l’Inde en a les moyens si elle cesse de verser les subventions actuelles qui ne parviennent pas jusqu’aux communautés pauvres qu’elles sont censées aider.

Une autre expérience, réalisée en Ontario, s’approche aussi davantage du RUB, parce qu’elle représente toute la société et mesure les conséquences collectives. C’est important parce que si l’on ne donne qu’à certains membres de la communauté, ses proches viendront demander leur part et cela diluera l’impact.

Parce qu’ils jugent cela injuste ? Et à ce moment-là cela devient un revenu de base, pas un revenu universel de base.

Voilà. C’est le cas en Finlande. Si par contre tout le monde reçoit un RUB, cela crée une pression pour que chacun se conduise de manière responsable, même les enfants. Il me semble donc important de concevoir des projets pilotes qui reflètent vraiment la réalité d’un RUB.

Le projet finlandais constitue toutefois un pas dans la bonne direction parce qu’il élimine le piège de la pauvreté, améliore la sécurité et encourage les bénéficiaires à accepter des emplois à mi-temps ou moins bien payés, sans que cela ne réduise leurs revenus. La structure actuelle de la sécurité sociale pousse les pauvres à faire ce que les bureaucrates décident.

Le revenu universel augmenterait le risque de pauvreté, selon l'OCDE

Paradoxalement, l’instauration d’un revenu véritablement universel ferait beaucoup de perdants y compris chez les pauvres, estime l’organisation internationale. Sauf à augmenter de façon inconsidérée les dépenses publiques. Un article de notre partenaire, La Tribune.

Se pourrait-il aussi que cette solution ne convienne pas à toutes les cultures ? La Pologne a l’un des situations sociales les plus délicates d’Europe. C’est le résultat de décennies de communisme…

Que ce soit en Amérique du Nord ou en Amérique du Sud, en Afrique, en Inde, au Japon, les essais de RUB réalisés partout dans le monde montrent que quand les citoyens bénéficient d’une sécurité de base, quand ils savent qu’ils pourront payer le loyer et auront à manger, ils se comportent de manière plus responsable et dépensent moins en alcool, drogues et tabac.

Cette sorte d’isolement alcoolique que vous décrivez a plusieurs origines. C’est un symptôme d’une maladie sociale, du fait de devoir gérer des échecs tout au long de la vie et d’arriver à une impasse sans appartenir nulle part.

Ces gens ne boivent pas « à cause » des allocations. Il est en effet irresponsable de leur donner ces allocations sans les aider à avancer après la perte de leur emploi. L’image que vous conjurez prouve bien que ce système est mauvais, qu’il rejette ses propres sujets.

Revenu universel, solution particulière

La Finlande a lancé une expérience de revenu universel pour une période de deux ans. Mais elle risque d’être trop limitée pour pouvoir être d’un réel enseignement. Un article de notre partenaire La Tribune.

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