Ils étaient là, presque en rang d'oignons, attendant sagement la visite de Sylvie Goulard. Industriels sur leurs stands climatisés, militaires en plein cagnard devant leurs avions et hélicoptères, gros bonnets du ministère des armées dans le chalet du ministère. Tous fin prêts à accueillir la ministre pour sa visite, prévue à 10h30 ce matin. Mais à 9h38, un communiqué du cabinet tombe: Sylvie Goulard annonce avoir demandé à Emmanuel Macron de quitter le gouvernement, "dans l'hypothèse où l'enquête préliminaire visant le Modem conduirait à vérifier les conditions d'emploi de mes assistants au Parlement européen".
Guillaume Faury, patron d'Airbus Helicopters, n'est pas au courant, pas plus que le patron de Nexter Stéphane Mayer, qui semble tomber de sa chaise. Chez Dassault Aviation, on affirme aussi n'avoir appris la nouvelle que par un tweet de Challenges... Même stupéfaction sur l'exposition statique du ministère des armées, déjà victime d'une coupure de courant quelques minutes plus tôt. "En dix Bourget, je n'ai jamais vu ça, souffle un industriel. On a un ministère des armées dont c'est un des temps forts, et qui n'a plus de ministre. Le timing est délirant. Complètement délirant."
Timing baroque
De fait, le choix du moment interroge. Le Bourget est LE moment fort de l'année pour l'aréopage de l'aéronautique et de la défense. Les délégations internationales y défilent, les liens entre industriels s'y tissent ou s'y défont, les armées y montrent leurs équipements et leur savoir-faire devant 3.000 journalistes et 150.000 visiteurs professionnels. Lâcher le manche du ministère une heure à peine avant la visite prévue relève donc, au mieux, de l'inconscience, au pire de la faute de goût. A moins, comme c'est probable, que des avancées notables aient eu lieu ces dernières heures sur l'enquête concernant le Modem.
Une chose est sûre: les industriels ne seront pas nombreux à regretter l'éphémère ministre des armées. Ses premières prises de position sur la possibilité de privilégier des consortiums européens face aux groupes français, et son discours évasif sur la montée en puissance du budget de défense promise par le candidat Macron, ont été interprétés, à tort ou à raison, comme de la faiblesse. Tout cela à l'heure où Bercy poursuit son implacable guérilla pour récupérer de l'argent au ministère des armées, entre gels, « surgels » et réserve de précaution. "A Brienne, il faut des guerriers face à Bercy, juge un familier de la maison. L'équipe Goulard n'en comptait guère".