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Tueurs ou tués, les enfants du Kasaï sont les premières victimes de la guerre en RDC

Des mineurs déscolarisés sont enrôlés de force par les milices qui sèment la désolation dans le centre du pays depuis dix mois

Par  (contributeur Le Monde Afrique, Kikwit, RDC, envoyé spécial)

Publié le 20 juin 2017 à 13h05, modifié le 20 juin 2017 à 13h05

Temps de Lecture 4 min.

Au camp de déplacés de Kikwit, en République démocratique du Congo (RDC), le 7 juin 2017.

« Ils ont tué le chef du village et le pasteur. » C’était en avril. Le bruit a circulé à Lupemba, dans la province du Kasaï, dans le centre de la République démocratique du Congo (RDC). « Ils les ont jetés au sol et coupés comme des animaux », se souvient Kaseka Lulendo, un commerçant. « S’ils te voyaient avec des affaires dans les mains, ils te tuaient car cela signifiait que tu fuyais », dit-il, enfin réfugié à Kikwit, dans la province voisine du Kwilu.

Eux, ce sont les membres présumés de la milice se réclamant de Kamwina Nsapu, du nom du village et de la lignée royale de Jean-Pierre Mpandi, tué lors d’un assaut policier le 12 août 2016. Non reconnu par les autorités, ce chef coutumier appelait ses partisans à l’insurrection contre le président de la République, Joseph Kabila.

Sa mort a plongé les cinq provinces, autrefois paisibles, du Grand Kasaï (Kasaï, Kasaï-Central, Kasaï-Oriental, Lomami et Sankuru) dans une vague de massacres. Les attaques ont été suivies d’une répression de l’armée congolaise si implacable que certains rescapés ne veulent plus retourner dans leur village. « Nous avons peur, car l’armée pense que tous les villageois sont des miliciens », disent de nombreux déplacés à Kikwit.

Armés de bâtons et de machettes

Parmi les miliciens, beaucoup sont des mineurs, voire de très jeunes enfants. A Lupemba, « ils étaient une centaine, dont beaucoup d’enfants ». « Tous avaient moins de 20 ans. Il y avait même une petite fille parmi eux », raconte un habitant du village de Mayi-Munene. A Lubami Manga, un village voisin, c’étaient « des enfants formés à combattre, qui avaient moins de 15 ans », raconte un autre.

De nombreux rescapés des massacres témoignent du même phénomène : des garçons et des filles, âgés de 5 à 25 ans, certains armés de simples bâtons, d’autres de machettes, s’en prenant aux symboles de l’Etat et à la population avec une violence spectaculaire.

Tueurs et tués, les enfants paient un lourd tribut dans cette guerre qui ne dit pas son nom. On ne sait pas combien figurent parmi les près de 3 400 morts qu’a faits le conflit depuis octobre 2016, selon un décompte de la Nonciature apostolique en RDC, ni combien ont été enterrés dans les 80 fosses communes répertoriées par les Nations unies. Une partie d’entre eux est en prison, et ce depuis le début du conflit, selon un message confidentiel de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC (Monusco) rendu public par Radio France internationale (RFI).

Dès le 27 août 2016, trois semaines après la première attaque, le chef de la Monusco, Maman Sidikou, rendait compte à Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint des Nations unies aux opérations de maintien de la paix, des « allégations de sérieuses violations des droits de l’homme et des dizaines de personnes arrêtées, enfants inclus ».

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Si 408 enfants ont été extraits des milices et des prisons par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), d’autres n’ont pas échappé à la répression ou la fuient encore.

Ces enfants miliciens apparaissent dans deux vidéos publiées par RFI. L’une, tournée par un militaire, montre des cadavres : « Des enfants si petits », dit un soldat avec étonnement. La seconde, tournée par un civil, montre une fillette gravement blessée : « Tu es une petite criminelle, toi, une si jolie petite fille », dit une voix qui l’interroge. Elle répond qu’elle a été envoyée « frapper des gens », « enrôlée de force » et « forcée à boire la potion ». Elle ne survivra pas.

Dans cette région accablée par la pauvreté, « le discours de révolte des Kamwina Nsapu a été bien accueilli au début. La milice a pu recruter des combattants valides », explique le chercheur Anaclet Tshimbalanga, joint à Kananga, la capitale de la province du Kasaï-Central.

Enrôlés de force, dirigés par des chefs multiples, les enfants sont soumis, comme les autres « adeptes » du chef Kamwina Nsapu, à des rites d’invulnérabilité. « Le lendemain de l’attaque, des enfants du village ont été emmenés dans la forêt, sans qu’on sache ce qui leur est arrivé », raconte un habitant de Lubami Manga, réfugié à Kikwit.

Risque de malnutrition

L’histoire n’avait pas préparé les habitants des Kasaï à de telles violences. Les massacres et la peur ont contraint plus d’un million d’entre eux à la fuite, parmi lesquels plus de 600 000 mineurs, d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA).

A Kikwit, il y a des femmes enceintes, d’autres qui ont perdu leur bébé pendant la fuite ; il y a des enfants qui ont perdu un père ou une mère dans les massacres, d’autres que leur famille a confiés aux camions s’aventurant encore dans la région.

Ceux qui sont restés sont désormais confrontés à la pénurie alimentaire. « Plus le conflit dure, plus l’impact sur les enfants s’alourdit », alerte Yves Willemot, représentant de l’Unicef en RDC. Selon les estimations de l’agence onusienne, 400 000 enfants sont en risque de malnutrition dans les provinces du Kasaï, où parvient peu d’aide humanitaire. A ce jour, seuls 6 des 40 millions de dollars (environ 35 millions d’euros) réclamés par l’Unicef ont été récoltés ou promis.

Sur place, les centres de santé sont soit inaccessibles, soit dépourvus de médicaments. Quant aux établissements scolaires, beaucoup sont fermés. Selon la Monusco, 639 écoles du Kasaï et du Kasaï-Central ont été attaquées, incarnant le terrible sacrifice d’une enfance perdue.

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