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L’Afghane élue « femme d’affaires de l’année » 2015 survit en Angleterre avec 5 livres par jour

Samira Kitman se rêvait en version féminine et afghane de Bill Gates. Après avoir dû fuir les talibans, elle vit au Royaume-Uni, en sursis.

Par Helen Pidd (The Guardian)

Publié le 20 juin 2017 à 15h58, modifié le 20 juin 2017 à 16h00

Temps de Lecture 5 min.

Samira Kitman. en juin 2017.

Elle avait été élue « femme d’affaires de l’année » 2015 en Afghanistan, avait reçu les éloges du prince Charles et avait vu son travail exposé à Londres au Victoria & Albert Museum et à la Smithsonian Institution de Washington. Un chapitre d’un livre écrit par l’épouse d’un ancien président américain sur les Afghanes lui est consacré, et elle a dit un jour son ambition de devenir « le Bill Gates afghan, en femme ».

Aujourd’hui pourtant, Samira Kitman vit dans une colocation à Lancaster, dans le nord-est de l’Angleterre, avec cinq livres par jour, sans permis de travail, loin de sa famille, à attendre désespérément que le Home Office, le ministère britannique de l’intérieur, lui accorde le statut de réfugiée et le droit de démarrer une nouvelle vie au Royaume-Uni.

A la solde des talibans

Cette jeune femme de 32 ans a fui l’Afghanistan en janvier 2016 et a déposé, le mois suivant, une demande d’asile, invoquant des craintes pour sa vie si elle devait retourner chez elle à Kaboul. Mais sa demande a été déboutée en première instance, et Samira Kitman attend désormais le résultat de son recours, attendu la semaine prochaine.

La jeune femme a déclaré aux services de l’immigration avoir reçu des menaces par courrier, par téléphone et par mail de la part d’inconnus dont elle pense qu’ils étaient à la solde des talibans, et qui ont même tenté de l’enlever. Ils lui reprochaient ses activités professionnelles, raconte-t-elle, parmi lesquelles une usine de production de chips dont elle est la propriétaire, et la Maftah-e-Hunar, sa fondation pour les arts qui forme des jeunes femmes défavorisées afin qu’elles vivent de leur pratique artistique.

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Ses persécuteurs voyaient d’un mauvais œil, aussi, la médiatisation internationale grandissante de Samira Kitman, et ses voyages en Allemagne, à Dubaï, en Inde, au Tadjikistan et au Pakistan. Elle s’était même rendue aux Etats-Unis où, en tant que représentante des chefs d’entreprises afghans, elle avait rencontré John Kerry, alors ministre des affaires étrangères. Cette jeune femme active a aussi eu les honneurs de We are afghan women, un livre écrit par l’ancienne première dame américaine Laura Bush et paru en 2016.

Lorsque Samira Kitman a quitté son pays, sa fondation avait déjà formé 90 jeunes filles à l’art de la calligraphie et de la miniature. En 2014, elle a pris en charge l’une des plus grosses commandes privées jamais remportée par des artisans afghans, la création de miniatures peintes, de céramiques et de boiseries pour l’Anjum, un nouvel hôtel cinq étoiles de La Mecque, en Arabie saoudite.

Victime de persécutions

A Kaboul, où elle vivait dans une grande maison, Samira Kitman menait une existence privilégiée et voyageait régulièrement à l’étranger pour faire connaître son travail artistique. Devenir une demandeuse d’asile en Grande-Bretagne a été rude pour la jeune femme. « J’ai du mal à me faire à l’existence que je mène aujourd’hui, après la belle vie que j’avais auprès de ma famille, chez moi », a-t-elle déclaré à son interlocuteur lors du dépôt de sa demande d’asile.

A Kaboul, l’argent n’a jamais manqué. Aujourd’hui, entre manger et s’acheter un ticket de bus pour se rendre à un rendez-vous à Lancaster ou ailleurs, elle doit choisir. Lorsque nous la rencontrons, elle a dépensé la veille 11 livres (12,50 euros) pour rentrer en bus low cost de Londres, où elle est allée rencontrer son avocat spécialisé en droit des étrangers.

Jamais Samira Kitman n’aurait quitté son pays et la qualité de vie qu’elle y avait si elle n’avait été victime de persécutions et craint d’être tuée, insiste-t-elle. « C’est la question que je pose au Home Office : pourquoi, alors qu’en Afghanistan j’étais riche, que j’y menais une vie agréable tout en pouvant voyager dans le monde entier, aurais-je renoncé à tout cela pour devoir cohabiter avec des inconnus et vivre avec 5 livres par jour ? J’ai tout perdu. Mon rêve, ça n’a jamais été ça ! »

Pourtant, sa demande d’asile a été rejetée par le Home Office en août 2016, et l’entrepreneuse afghane attend l’examen de son recours. Les services de l’asile ont estimé qu’elle ne pouvait prétendre à la protection de l’Etat britannique dans la mesure où elle n’avait pas apporté la preuve d’une « crainte fondée de persécutions ».

« Une condamnation à mort »

« Vous n’avez pas démontré qu’il existe des motifs sérieux de croire que vous serez menacée dans votre intégrité physique à votre retour », assène la lettre de rejet. « Si le Home Office me renvoie chez moi, c’est une condamnation à mort, ni plus ni moins », lâchait alors la jeune femme. Quelques jours avant l’examen de son recours, Samira Kitman verra sa demande d’asile finalement acceptée.

Elle est arrivée en Grande-Bretagne avec un visa en bonne et due forme, après un premier séjour dans le pays. C’était en octobre 2015 : elle avait été invitée à un événement organisé au Victoria and Albert Museum, où son travail de calligraphie était exposé. Le prince Charles y était apparu, en visioconférence, pour faire l’éloge de cet « authentique artisan » – il avait fait sa connaissance quelques années plus tôt lors d’une visite de la Turquoise Mountain Foundation – une organisation philanthropique que le prince héritier dirige – où elle apprenait l’art de la calligraphie.

C’est en 2015 également, lors d’une manifestation organisée à l’occasion de la Journée internationale de la femme par la faculté féminine de l’American University en Afghanistan, que Samira Kitman avait été nommée « femme d’affaires de l’année ».

Mais avec cette réussite internationale est arrivée, aussi, une médiatisation qui a attiré sur elle l’attention d’individus malveillants. Après une altercation avec un soldat devant l’ambassade des Etats-Unis à Kaboul, la jeune femme a commencé à recevoir des menaces. C’est une tentative d’enlèvement qui la décidera à quitter son pays. « Les Afghans ne sont pas prêts à voir une femme faire des affaires et travailler avec des étrangers », résume-t-elle.

Elle n’a qu’une hâte aujourd’hui : commencer sa nouvelle vie en Grande-Bretagne et oublier la peur. Il est frustrant de ne pas pouvoir travailler tant qu’elle est demandeuse d’asile, et elle se dit impatiente d’obtenir le statut de réfugiée pour chercher un emploi. « Je ne veux pas vivre aux crochets de l’Etat britannique », assure-t-elle. Si elle finance son recours grâce à l’aide juridictionnelle, elle insiste : « Je suis gênée que mon avocat soit payé par les autorités. »

Une vie normale, Samira Kitman en rêve : apprendre à nager, passer son permis de conduire, deux choses inaccessibles aux femmes en Afghanistan. Elle espère faire un doctorat et fonder une école d’art à Lancaster. « Je veux être indépendante, travailler, apprendre l’anglais et gagner ma vie. Je n’aime pas dépendre des autres. Je n’aime pas devoir vivre de la charité. »

Traduction : Julie MarcotCe texte est d’abord paru dans The Guardian, partenaire du Monde dans le projet The New Arrivals, financé par l’European Journalism Centre, avec le soutien de la Fondation Bill & Melinda Gates.

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