Le film s’appelle Risk. C’est un travail de longue haleine, un documentaire sur la plate-forme de publication de documents secrets WikiLeaks, qui occupe depuis 2011 la réalisatrice Laura Poitras. La documentariste a connu un succès mondial avec son précédent film, Citizenfour, dans lequel elle détaillait avec une minutie clinique la révélation, par l’ancien consultant de l’Agence nationale de sécurité (NSA) Edward Snowden, de l’existence de programmes secrets de surveillance du Web à l’agence américaine d’interception des communications. Un projet majeur qui avait conduit celle qui était déjà auteure de plusieurs documentaires engagés sur la politique étrangère américaine, à mettre en pause son documentaire sur WikiLeaks.
Après la sortie de Citizenfour en 2014, un Oscar du meilleur documentaire en poche, la journaliste reprend son travail sur les rushes de son film sur WikiLeaks. En 2016, Risk est fini, juste à temps pour être projeté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes. Mais la sortie en salle se fait attendre. Les mois s’écoulent – début 2017, dans plusieurs interviews, Laura Poitras explique qu’elle a recommencé à travailler sur le film, insatisfaite de la première version. Dans une bande-annonce, publiée le 9 avril avant la sortie américaine du film le 12 mai, la voix off de la réalisatrice commence par expliquer : « Ce n’est pas le film que je pensais être en train de faire. Je pensais pouvoir ignorer les contradictions, qu’elles ne faisaient pas partie de l’histoire. J’avais tort. Elles sont l’histoire. »
Plusieurs scènes gênantes
Quelles contradictions, exactement ? Fin 2016, Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, est devenu un personnage central des élections américaines, après la publication par son site de milliers de documents confidentiels appartenant au Comité national démocrate, puis des e-mails du directeur de campagne de Hillary Clinton. Mais ce n’est pas le rôle de Julian Assange dans l’élection présidentielle américaine – qui lui a valu de vives critiques de la part d’anciens alliés – qui a changé la donne. Du moins, c’est ce que laisse entendre Laura Poitras, qui refuse systématiquement d’aborder le sujet de ces documents et des interférences russes présumées dans l’élection.
La contradiction est plus personnelle. Elle porte sur la relation de la réalisatrice avec Julian Assange et d’autres personnes gravitant dans son entourage. Le 25 mai 2016, une semaine à peine après la première projection de Risk, Jacob Appelbaum, un proche de Julian Assange, annonce son retrait du projet Tor, le navigateur anonyme qu’il a contribué à fonder et à animer. A l’origine de son départ, une série d’accusations de viol et de harcèlement sexuel, qu’il nie, émanant de plusieurs femmes, pour certaines témoignant anonymement. Pour Laura Poitras, qui a eu une relation avec Jacob Appelbaum, c’est une révélation : « J’avais un film que je ne pouvais pas publier tel quel. Cela me laissait deux choix : abandonner le film, ou évoquer plus directement les questions de harcèlement dans cette communauté. » La réalisatrice choisit la seconde option, et entreprend de remonter complètement son film.
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