Le 24 mars 2015, 150 personnes trouvaient la mort dans le crash dans les Alpes du vol Germanwings 4U9525 qui reliait Barcelone à Düsseldorf. L'enquête a déterminé que le crash était probablement intentionnel et provoqué par le co-pilote, Andreas Lubitz.
Quelques jours après le crash, le journal allemand BILD a publié l'interview d'une femme qui prétendait être la petite amie d'Andreas Lubitz. L'histoire qu'elle racontait coïncidait parfaitement avec la personnalité du co-pilote qui commençait alors à se dessiner, celle d'un homme instable, dépressif et destructeur.
«Maria W.» avait alors raconté à BILD qu'elle était hôtesse de l'air et qu'elle voyageait régulièrement en Europe avec Andreas Lubitz. Selon ses dires, il lui aurait confié un jour son intention de «faire quelque chose qui allait changer entièrement le système, et qu'à ce moment-là les gens se souviendraient de son nom.»
Cette histoire a été reprise par les médias à travers le monde. En France, elle a été relayée par Le Monde, l'AFP ou Le Parisien qui évoque «les glaçantes révélations» de l'ex-petite amie. Pourtant, BuzzFeed News peut aujourd'hui prouver que l'histoire de Maria a été fabriquée de toutes pièces, ce qu'elle a admis à une chaîne de télévision allemande.
En mars dernier, le journal Die Zeit avait déjà fait état de ses doutes sur ce témoignage. Le procureur Christoph Kumpa l'avait qualifié «d'intox», mais BILD soutenait la véracité de ses propos. BuzzFeed News est le premier média à pouvoir affirmer que toute son histoire est fausse.
Maria a raconté avoir passé la nuit à plusieurs reprises avec Andreas Lubitz, dans des hotels à travers l'Europe. Pourtant, un registre des vols effectués par le co-pilote l'année précédent le crash, que sa famille a fait parvenir aux autorités, montre qu'il n'a passé qu'une seule nuit hors du territoire allemand, à Budapest. Le vol en question n'incluait pas d'équipage commercial car il transportait des pièces détachées et pas des passagers.
Maria avait aussi raconté son histoire à la chaîne de télévision allemande RTL au mois de mai 2015. Pendant plusieurs mois, les producteurs de la chaîne avaient tenté de confirmer les propos de la jeune femme, mais cette dernière a dû admettre après plusieurs réunions que son histoire était fausse.
«Nous pouvons absolument confirmer que l'histoire de Maria W. est de la pure fiction. Lors d'une quatrième réunion [avec elle] en décembre 2015, elle l'avait explicitement admis», déclare Matthias Bolhöfer, le porte-parole de RTL à BuzzFeed News.
«Au début, elle refusait de nous donner son vrai nom et elle voulait absolument nous rencontrer dans des environnements neutres, comme un bar à Francfort, et elle demandait explicitement à voir une femme, explique Thorsten Wimber, manager à RTL. Nous avons donc envoyé une collègue. Sa première impression c'était que "Maria W. était digne de confiance."»
Mais, lorsque RTL a demandé à confirmer son identité, Maria a refusé de fournir les documents nécessaires. Lorsque les journalistes RTL l'ont questionné et lui ont fait part de leurs doutes, Maria leur a fourni des mails et des conversations entre elle et Andreas Lubitz, mais n'a pas pu nommer un seul témoin qui puisse confirmer leur relation.
La chaîne de télévision a alors demandé l'avis du procureur de Düsseldorf qui leur a conseillé de ne pas publier d'interview avec Maria W.
Interrogé par BuzzFeed News, Thorsten Wimber déclare que lors de leur dernière rencontre avec Maria, cette dernière s'est excusée et a reconnu avoir inventé son histoire. «Elle nous a dit qu'elle était surprise de voir les efforts que nous avions déployés dans nos recherches.» Le manager de RTL a également dit à Maria que si elle essayait de raconter son histoire à d'autres médias, il rendrait public le fruit de ses recherches car «c'était clairement de la fraude».
Le service de presse de BILD a dit à BuzzFeed News que «de manière générale, nous ne faisions pas de déclaration sur les sources ou les décisions éditoriales», mais que l'équipe éditoriale s'inquiétait de voir certains «remettre en cause leur couverture du massacre de 149 personnes dont M. Lubitz était responsable à l'aune de spéculations de personnes tierces.»
S'appuyant sur le fait que le procureur de Düsseldorf n'a pas accusé BILD d'avoir inventé ce témoignage, le journal nous déclare: «Nous considérons qu'une correction n'est pas nécessaire. À la place, nous allons suspendre toute couverture sur l'horrible folie meurtrière de M. Lubitz.»