L'ONU a mis en garde contre "un effondrement total" des services vitaux pour la population de Gaza. L'enclave palestinienne est engluée dans une crise économique et humanitaire. La pénurie chronique d'énergie devrait encore s'aggraver après qu'Israël a décidé de réduire la fourniture d'électricité au territoire de 360 km² jouxtant le désert. La volonté de l'Autorité palestinienne (AP) de réduire les paiements d'électricité à destination de Gaza est à l'origine de cette décision.

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L'AP et le Hamas, dont les efforts de réconciliation patinent depuis des années, se renvoient la responsabilité de la crise. L'AP accuse le mouvement islamiste, qui contrôle Gaza sans partage depuis 10 ans, de refuser la réconciliation et de ne pas assumer les besoins du territoire. De son côté, Gaza taxe Ramallah d'irresponsabilité et de malveillance, alors qu'une grande partie du budget palestinien provient de l'aide internationale. Pour sa part, Israël n'assume pas son obligation de puissanceoccupante, celle de subvenir aux besoins de la population qu'elle maintient sous blocus militaire et sous occupation. Jointe par téléphone, Nabila Kilani, professeure d'anglais de 35 ans, raconte le quotidien des habitants confrontés aux pénuries.

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"Ce matin, on a eu du courant à partir de 6h, raconte-t-elle. Ça devrait s'arrêter dans une heure, un peu après 8h30. Jusqu'à demain. 4h par jour, c'est le maximum. Souvent, c'est moins."

L'enseignante palestinienne n'a pas encore senti l'effet des coupes annoncées par Israël. La catastrophe promise par les agences humanitaires devrait connaitre un répit: l'Egypte a livré un million de litres de fuel, ce mercredi. De quoi permettre à l'unique centrale électrique de Gaza de tourner un peu plus pendant quelques jours. "Le nombre d'heures d'électricité dépend des arrivages en provenance du Qatar ou de Turquie, explique Nabila Kilani. Quand on apprend qu'ils ont envoyé un cargo de fuel, on se dit qu'on aura un peu plus de courant les jours suivants."

"On ne sait jamais quand vient le courant"

"Les pénuries se sont aggravées progressivement, se souvient-elle. Avant la deuxième Intifada (2000), on avait à peu près 8 heures d'électricité par jour. Maintenant, on craint le pire. Le plus éprouvant, c'est l'incertitude. En théorie, on peut consulter un calendrier des heures d'approvisionnement. Les autorités exercent un roulement pour fournir le minimum vital à tout le monde. Mais ce calendrier n'est pas fiable. Parfois, on n'a droit qu'à deux heures, parfois, le courant n'arrive pas dans la tranche horaire annoncée. C'est complètement imprévisible. On est tout le temps dans l'attente. On ne peut jamais rien prévoir."

Nabila Kilani vit à Beit Lahia, petite ville proche de la frontière israélienne, l'une des plus durement touchées pendant les trois guerres menées par Israël en 2014, 2012 et 2009. Prof d'anglais dans un collège du quartier de Zeitoun, dans la ville de Gaza, elle s'exprime dans un français fluide, appris à l'université Al-Azhar de Gaza, grâce à un projet subventionné par la Belgique. Bénévole dans le secteur associatif à ses heures libres, elle gère un centre éducatif soutenu par une ONG française, Famille de coeur. Les dons ont permis de financer une bibliothèque et une petite salle d'informatique. Mais avec les coupures d'électricité, elles sont rarement utilisées.

"Avec le ramadan, c'est encore plus compliqué"

"Vous réalisez ce que cela signifie pour les habitants de Gaza? Le stress des mères de famille?, s'émeut Nabila Kilani, elle-même mère d'une fillette de 10 ans. Cela pèse psychologiquement. Elles sont suspendues à l'arrivée du courant, souvent obligées de se lever en pleine nuit pour faire une lessive. Une soirée devant la télé pour décompresser? Un mirage. Et en ce moment avec le ramadan, c'est encore plus compliqué. Dans ce contexte, les rumeurs sont permanentes. 'Un de ces jours, on va nous couper complètement l'électricité', entend-on dans la rue."

"Grandir dans ce climat, c'est dur. Les enfants n'ont pas une vision de l'avenir. Moi, j'ai passé mon enfance en Algérie, raconte-t-elle, jusqu'à l'âge de 17 ans: mon père, cadre du Fatah, y vivait en exil, avant de rentrer au pays en 1995, après les accords d'Oslo. Je peux donc faire la différence entre une vie normale et ce qu'on subit ici au quotidien."

"Quand le courant manque, on n'a pas d'eau non plus"

La pénurie d'énergie pèse sur tous les aspects de la vie à Gaza et aggrave les autres maux de cette "prison à ciel ouvert". "Chaque quartier n'a que deux heures d'eau par jour. Moi, par exemple, je vis au troisième étage d'un petit immeuble. L'eau est pompée vers les étages grâce à un moteur. Quand le courant manque, on n'a pas d'eau non plus. Et dans un appartement, il n'y a pas beaucoup de place pour en stocker."

"Les Gazaouis essaient de se débrouiller. Ceux qui en ont les moyens ont un générateur. Alimentés au diesel, ils sont bruyants et polluants. Les gens essaient pourtant de garder le moral. Ils blaguent de tout. La dernière? 'A Gaza, vu de l'extérieur, on ne peut pas distinguer le propriétaire d'un appartement d'un voleur. Tous les deux se déplacent avec une lampe de poche'."

"Punition collective"

Le manque d'électricité pose aussi des problèmes sanitaires. Les équipements hospitaliers fonctionnent à minima. Idem pour les stations d'épuration. Alors que l'eau potable manque dans l'enclave, une partie des eaux usées est relâchée en mer sans retraitement, faute de suffisamment d'énergie.

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Les raisons de cette situation chaotique? "L'occupation israélienne et la punition collective infligée par la communauté internationale aux habitants de Gaza, tranche Nabila Kilani. Parce que, déçus par le Fatah, les Gazaouis ont eu le malheur de voter en faveur du Hamas en 2006. Personnellement, je n'ai pas voté pour eux. Mais c'était une élection démocratique, imposée et surveillée par les Occidentaux. Depuis, la division persiste entre le Hamas et le Fatah [la formation du dirigeant de l'AP, Mahmoud Abbas]. Il a aussi réduit de 30% les salaires des fonctionnaires, dont je fais partie. L'Autorité palestinienne veut faire pression sur le Hamas. Je ne suis pas d'accord avec la gestion du territoire par le Hamas, mais la politique du Fatah est scandaleuse. Faire payer à la population ces rivalités, ce n'est pas acceptable."

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