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Des « diamants du sang » de Centrafrique en vente sur Facebook et WhatsApp

Des trafiquants avancent à visage découvert sur les réseaux sociaux pour vendre des pierres interdites à l’exportation, démontre l’ONG Global Witness.

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Publié le 22 juin 2017 à 12h01, modifié le 23 juin 2017 à 23h15

Temps de Lecture 6 min.

Une vente supposée de diamants centrafricains par un trafiquant rencontré en ligne via les réseaux sociaux.

Ils ne se cachent pas dans les tréfonds du « dark web », la partie immergée d’Internet, et avancent à visage découvert. Depuis Bangui, Beyrouth, Bordeaux ou ailleurs, ils utilisent les réseaux sociaux pour proposer leurs produits et leurs services. Ce sont les community managers des « diamants du sang » de Centrafrique, des trafiquants de pierres interdites à l’exportation qu’ils proposent à la vente sur Facebook et WhatsApp.

L’un d’eux, Sader, dit habiter à Beyrouth. Il roule dans un gros 4 x 4, apprécie les dollars, les cigares et les vidéos de propagande politico-militaire du Hezbollah. Sur sa page Facebook, Sader publie des photos de lingots d’or sur une balance qui affiche 10 kg et des florilèges de diamants bruts qui scintillent sur des plateaux.

« Avec ou sans Kimberley »

Lors d’un échange sur WhatsApp avec un enquêteur de l’ONG Global Witness qui se fait passer pour un acheteur potentiel rencontré sur Facebook, Sader se dévoile un peu plus sur son trafic :

« J’ai trois pierres à Kinshasa. Si tu viens avec moi de ce côté, au Cameroun, et que tu prends les billets d’avion que je t’ai envoyés en réservation, ils vont venir ici demain chez moi [au Liban] puis ils retournent au Cameroun d’où je leur fais venir la pink 11 carats [diamant rose] à 450 000 euros. Si tu veux, je t’envoie les photos. Es-tu d’accord sur le principe ?

– Qui sont ces types ?

– C’est mes équipes à moi qui vont et viennent. Tu sais nous, en Afrique, on crée une sorte de famille de travail, un collectif. Il y a des gens qui sont dans les mines, il y a des gens qui sont en Europe, il y a des gens qui sont dans les bureaux (…). Ces gens-là font partie d’une chaîne, on travaille avec eux. Ils sont surtout en France. Ils ont leurs parents au Cameroun. Et c’est comme ça. On a toute une chaîne. Tu comprends ?

– Oui, je comprends, mais du coup ce sont des diamants centrafricains ?

– Tout du centrafricain. Si tu veux, je t’envoie la photo tout de suite. (…) Tu paies 3 500 euros (…). Ils viennent ici au Liban et vont au Cameroun et te ramènent la pink chez toi en Belgique, ou où que tu sois.

– Je dois en parler avec mon partenaire…

– Il faut pas tarder. (…) Il faut me dire oui maintenant ou non, mais il ne faut pas me faire attendre (…). A part la pink, j’ai un nouveau lot de belles pierres blanches et jaunes de 5 carats et plus sorties de Centrafrique. C’est maintenant si tu veux rentrer dans le jeu.

– Et il n’y a pas de risque de se faire choper à l’aéroport ?

- Jamais. Ils étaient hier à Bruxelles ; là ils sont chez eux à Bordeaux. Ce sont des Français, des Belges d’origine africaine.

– Et le [Processus de] Kimberley et tout ça ?

– Pour le Kimberley, il n’y a aucun souci. Avec ou sans le Kimberley, on amène les produits où on veut. »

Sader se montre à l’aise et décontracté. Juste un peu pressant pour conclure l’affaire. Il propose pourtant de trafiquer des diamants interdits à l’exportation. Des pierres qui échappent au Processus de Kimberley, le régime international de certification des diamants bruts qui a permis de décider, en juin 2015, d’une levée partielle de l’embargo sur la Centrafrique décrété deux ans plus tôt. Un assouplissement qui ne s’applique qu’aux zones déclarées « conformes ». Mais Sader n’en a cure et dépose ses pierres sur Facebook.

Financement des groupes armés

Comme de nombreux autres trafiquants de diamants de Centrafrique, embargo ou pas, « avec ou sans Kimberley », Sader achète, exporte dans le monde entier les pierres exhumées des sols de ce pays en guerre depuis quatre ans. Avant la chute du président François Bozizé, renversé en mars 2013 par la coalition de rebelles Séléka, le secteur du diamant, avec une production de près d’un million de carats par an, faisait vivre de manière directe ou indirecte près d’un quart de la population.

L’exploitation illégale de cette ressource a largement contribué à financer les groupes armés. Selon le groupe des experts de l’ONU, 140 000 carats ont été sortis illégalement de Centrafrique entre mai 2013 et fin 2014. Et la Séléka s’est empressée de contrôler les zones diamantifères, quitte à laisser certains de ses généraux, comme Oumar Younous, exploiter des mines et exporter les pierres à Dubaï, au Qatar, au Soudan ou en Chine.

Diamants montrés sur le profil Facebook de l’un des trafiquants actif dans la filière centrafricaine.

Si Sader dit disposer de bureaux à Anvers, en Belgique, et en Sierra Leone, Facebook est devenu sa nouvelle vitrine pour aguicher marchands et négociants, voire pour rencontrer des futurs partenaires prêts à « mettre 500 000 euros » pour s’associer à lui dans ce trafic international de diamants.

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Sur les sept négociants avec qui Global Witness s’est entretenu, dont cinq Centrafricains, seuls deux ont affirmé se conformer au Processus de Kimberley dans son intégralité, peut-on lire dans le rapport « Une chasse aux pierres », rendu public jeudi 22 mai. Les autres se vantent d’acheminer des colis, dont le plus gros évoqué dépassait les 900 carats, au Brésil, en France, en Chine, en Israël, au Liban, au Liberia et en Sierra Leone ou en Afrique du Sud.

« La nouveauté qu’apportent ces outils numériques réside dans la vitesse de création d’un réseau de partenaires et d’intermédiaires pour amener le diamant centrafricain sur le marché international, décrypte Aliaume Leroy, chargé de campagne à Global Witness. Constituer cette chaîne d’approvisionnement pouvait prendre un temps important auparavant contre quelques secondes désormais grâce aux réseaux sociaux. »

Un temps d’avance

Facebook s’est illustré à plusieurs reprises comme une plateforme prisée par des acteurs criminels africains. Au Nigeria, il est ainsi possible de se procurer des barils de pétrole d’origine douteuse proposés dans des groupes Facebook fermés. Des cargaisons probablement issues de pillages effectués par des groupes armés dans le delta du Niger ou des innombrables raffineries qui pullulent dans les criques et les champs de cette région pétrolière. Sur le Facebook libyen, des trafiquants d’armes proposent tout type de calibres, du RPG au pistolet en passant par le fusil d’assaut. Et même des vieux systèmes de missiles sol-air, comme le rapporte une étude publiée par Small Arms Survey en avril 2016.

Avec ces vitrines numériques, les cyber-diamantaires ont un temps d’avance. Les techniques de vente des pierres centrafricaines prennent de cours les gouvernements et les organisations internationales. Les routes, elles, n’ont pas vraiment changé. L’un d’entre eux explique le voyage :

« Aller récupérer tous les diamants vers le côté des rebelles (…) parce que c’est encore beaucoup moins cher (…). Souvent, il y a un chef rebelle qui est là, qui les reçoit (…). »

Puis, direction le Cameroun voisin par la route ou par les airs. Certains trafiquants proposent un service logistique entre les deux pays, comme le rappelle Global Witness qui avait mené des enquêtes au Cameroun en 2014 : « Nous enverrons des gens à moto, par exemple, à Berberati [ville de l’Ouest à moins de 100 km de la frontière camerounaise] pour aller chercher les diamants et vous les livrer. » Au Cameroun, les diamants centrafricains sont « naturalisés » camerounais, donc en règle, sur le marché international.

Global Witness recommande notamment aux autorités centrafricaines la confiscation des stocks de diamants et de développer des « systèmes de traçabilité fiables » avec les agents du Processus de Kimberley. Et d’appeler le Tribunal pénal spécial à enquêter sur les trafics de diamants avec l’appui de la Cour pénale internationale.

Les cybertrafiquants de diamants rencontrés en ligne par les enquêteurs de Global Witness sont tous familiers de ces routes, ces frontières poreuses, ces réseaux locaux, ces techniques de blanchiment. Et désormais aussi avec les outils basiques des community managers.

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