Budget 2018 : la mission impossible d'Emmanuel Macron

La transformation du CICE en baisse de charges empêche la baisse du déficit sous 3 % en 2018. Mais la France pourrait tout de même s'en sortir à Bruxelles.

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Le président de la République compte sur la flexibilité des règles européennes pour lui permettre de trouver une porte de sortie. 
Le président de la République compte sur la flexibilité des règles européennes pour lui permettre de trouver une porte de sortie.  © LOIC VENANCE / AFP

Temps de lecture : 7 min

Emmanuel Macron a beau être accueilli à bras ouverts par ses pairs, jeudi à Bruxelles, pour son premier sommet européen, le président français va devoir leur donner des gages s'il veut réussir son projet de réorientation de l'Europe. Notamment sur sa capacité à poursuivre le redressement des comptes publics, un préalable indispensable pour que l'Allemagne accepte de s'engager vers plus de solidarité entre les États de la zone euro. La tâche s'annonce délicate. La définition de la trajectoire budgétaire pluriannuelle de la France, cet automne, s'annonce déjà comme un casse-tête.

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Pendant sa campagne, le candidat s'est engagé à revenir sous la barre de 3 % de déficit public dès 2017 et d'y rester pendant toute la durée de son mandat. Mais il avait clairement renoncé à utiliser le levier des hausses d'impôts pour revenir dans les clous européens cette année. L'exécution du budget 2017, censé ramener le déficit à 2,8 % du PIB, devrait donc être très tendue. Dans ses dernières prévisions économiques, la Banque de France s'attend à trouver un déficit de 3,1 % du PIB si aucune mesure correctrice n'est prise.

À Bercy, Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, et Gérald Darmanin, à l'Action et aux Comptes publics, vont donc devoir jouer serré sur les dépenses pour tenir l'objectif de revenir bien en dessous de 3 %, comme l'ont demandé les partenaires européens de la France. Et ce, même si l'Insee se montre plus optimiste pour la croissance, avec une prévision de 1,6 % contre celle de 1,5 % qui a servi à construire le budget. Un audit commandé à la Cour des comptes, qui sera dévoilé le 29 juin, doit préciser l'ampleur du trou à combler.

La technique des « reports de charges »

Les deux ministres issus des Républicains devraient pouvoir s'en sortir en utilisant les ficelles budgétaires classiques. Le montant de la « réserve de précaution », qui revient à « geler » une fraction des crédits pour les annuler définitivement, si nécessaire, en fin d'année, a atteint un record cette année dans le budget initial, avec 11 milliards d'euros contre 9,6 milliards en 2016. L'année dernière, l'État avait finalement préservé 5,8 milliards. Ils pourraient aussi utiliser la technique du « report de charges » à l'année suivante sur les factures non réglées à la fin de l'exercice en cours, une façon de repousser le problème dans le temps.

Mais l'équation budgétaire devrait encore se corser en 2018, malgré la bonne orientation de la conjoncture économique. Dans ses prévisions budgétaires de campagne, Emmanuel Macron table sur une croissance de 1,8 %, un chiffre plutôt optimiste. Même si cette progression de l'activité économique se vérifie et gonfle les rentrées fiscales, le retour sous 3 % de déficit s'annonce quasi impossible à atteindre.

La délicate bascule du CICE en baisse de charges

Et ce, pour la simple et bonne raison que le candidat a promis la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales pérennes pour les entreprises, afin de simplifier cette mesure phare de François Hollande de baisse du coût du travail. En 2018, année de transition, l'État devra mettre deux fois la main à la poche pour verser le crédit d'impôt acquis par les entreprises en 2017 mais aussi les baisses de charges qui s'appliqueront l'année prochaine. Un double versement ponctuel pensé comme un puissant stimulant pour la croissance. Le problème, c'est qu'il va temporairement creuser le déficit public de 20,6 milliards. Près d'un point de PIB ! Impossible, dans ces conditions, d'afficher un solde sous 3 % l'année prochaine*.

Normalement, donc, la France devrait donc rester sous le coup de la « procédure pour déficit excessif » engagée contre elle depuis 2009. En effet, pour en sortir, il ne suffit pas de repasser en dessous de 3 % de PIB une seule année. Le pacte de stabilité et de croissance exige que la correction soit « durable ». Pour forger son jugement, la Commission européenne devrait non seulement s'appuyer sur les résultats de l'exercice 2017 publié fin mai de l'année suivante par l'Insee, mais aussi sur ses prévisions de déficit pour les années suivantes, sur la base de ses prévisions de croissance. Mais elle va exprimer une première opinion dès octobre de cette année, dans le cadre de son contrôle avancé du projet de budget 2018, avant même son examen par le Parlement français.

Possible clémence

La France deviendrait alors le seul pays de la zone euro, avec l'Espagne, à rester sous le coup d'une « procédure de déficit excessif », ce qui risque d'entamer un peu plus la confiance de ses partenaires, à l'heure où Emmanuel Macron cherche comment mieux faire fonctionner la monnaie unique. En théorie, Paris risque des sanctions financières de 0,2 % de son PIB, ce qui serait un camouflet majeur pour le président de la République.

Mais la flexibilité des règles européennes pourrait permettre à Emmanuel Macron de trouver une porte de sortie. La Commission européenne dispose en effet d'une marge de manœuvre pour apprécier certains éléments. Et elle pourrait bien accepter, contrairement à l'usage, de considérer la transformation du CICE en baisse de charges comme une mesure dite « exceptionnelle et temporaire » (les « one-off », en anglais). Son effet budgétaire serait alors exclu du calcul du déficit.

Un jugement très politique

Ce possible traitement de faveur s'explique par la nature unique du basculement du CICE en baisse de charges patronales : ce n'est pas comme si la France utilisait une recette ponctuelle de privatisation, archétype de la mesure ponctuelle et temporaire, pour améliorer articifiellement son chiffre de déficit une année. Cette transformation du CICE est même encouragée, entre les lignes, dans la dernière recommandation de Bruxelles à la France publiée au début du mois de juin... La politique pourrait donc reprendre le dessus sur une application bête et méchante de règles budgétaires qui laissent des marges de manœuvre pour l'interprétation.

Bruxelles et son commissaire chargé du dossier, le Français Pierre Moscovici, seront d'autant plus enclins à se montrer flexibles que Paris affichera un déficit en décrue importante hors effet de transformation du CICE. L'avis des États le plus à cheval sur le sérieux budgétaire, comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou l'Autriche, pèsera également. La capacité d'Emmanuel Macron à faire adopter sa réforme du Code du travail d'ici à fin septembre pèsera donc probablement dans la balance.

Reste que ce scénario rose, imaginé par les conseillers d'Emmanuel Macron – en contact étroit avec les responsables européens pendant la campagne –, n'est pas non plus acquis d'avance.

Baisser les impôts tout en réduisant le déficit

En cas de maintien de la procédure pour déficit excessif, ils pourront toujours se consoler en naviguant pour échapper aux sanctions financières prévues par les textes européens. Lorsqu'un pays n'atteint pas les objectifs de déficit fixés dans la recommandation européenne, la Commission examine en effet le déficit structurel, celui qui ne dépend pas des aléas de la conjoncture économique. Or les mesures « exceptionnelles et temporaires » ne sont clairement pas prises en compte dans le calcul de déficit structurel. La bascule du CICE en baisse de cotisations ne serait donc pas considérée dans le calcul du déficit structurel.

Comme en 2015, la Commission pourrait ainsi accorder à la France un nouveau délai pour corriger son déficit excessif, lequel retomberait largement en dessous des 3 % dès 2019. À condition, toutefois, que Paris fournisse des efforts importants pour mettre ses comptes publics en ordre. Le déficit structurel doit en effet baisser de 0,5 % par an, la « valeur de référence » fixée par les règles européennes. Et c'est loin d'être gagné.

Emmanuel Macron va, en effet, devoir assumer la première tranche de son plan d'investissement, probablement de 5 milliards d'euros, comme annoncé dans le programme d'En marche !. Il va aussi devoir financer ses promesses de campagne. Il y a d'abord les baisses d'impôts, comme le recentrage de l'ISF sur l'immobilier pour 2 milliards d'euros ou la première tranche de la suppression de la taxe d'habitation en trois étapes pour 3 milliards d'euros. Il y a aussi ses augmentations de dépenses, notamment le budget de la Défense qu'il veut porter à 2 % du PIB. La facture totale pourrait atteindre de l'ordre de 11 milliards d'euros.

Emmanuel Macron devra aussi gérer les bombes à retardement laissées par l'ancien gouvernement. La loi de finances 2017 a, en effet, prévu l'extension du crédit d'impôt des particuliers employeurs aux inactifs à partir de 2017 (1 milliard) ou encore l'extension du CICE à l'économie sociale et solidaire ainsi que son augmentation de 6 à 7 % de la masse salariale des entreprises (jusqu'à 2,5 smic). En face, il a promis 60 milliards d'économies par rapport à l'augmentation tendancielle des dépenses publiques. Des économies encore très vagues que Bruno Le Maire va devoir détailler très vite.

*Le programme d'En marche ! prévoit bien de réduire le déficit à 2,8 % du PIB, mais en ne tenant pas compte des "mesures exceptionnelles".

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Commentaires (34)

  • guy bernard

    Bonjour
    vous regrettez Fillon dont j'ai été partisan, mais la gestion n'est pas un yaka, aussi, un programme doit-il pouvoir etre mis en oeuvre.
    cela se fait dans un environnement et avec des acteurs : un environnement que l'on subit, par définition, et des acteurs qui sont à considérer dans leurs problématiques respectives.
    son comportement de mépris pour la Justice et ses appels au peuple rendaient impraticable son plan et transféraient le débat dans la rue.
    c'est pour cela que mon soutien a immédiatement cessé.
    cdt

  • Surlaligne

    Seul M. Fillon avait eu le courage (ou l'inconscience ?) de proposer un véritable programme de redressement du pays.
    Nous avons été totalement privés, lors de cette campagne présidentielle, et plus encore pour celle des législatives, de tout débat de fond sur les orientations à prendre pour redresser le pays.
    Même si M. Macron ne voulait pas de débats pour ne pas s'exposer et exposer ses candidats, qu'est ce qui empêchait les chaînes de TV de les organiser et de faire pression ? Les autres seraient venus et ils auraient du suivre.
    Au lieu de cela on a eu droit aux échanges habituels entre commentateurs politiques dont le conformisme et l'entre-soi restent inégalés.
    Qui avait compris et mesuré les conséquences invraisemblables (20, 6 milliards d'euros !) de la transformation du CICE en baisse de charges qui conduit à verser une année double aux entreprises ?
    D'autres modalités auraient pu être trouvées pour éviter cela.
    Pendant ce temps là, on va faire payer 1, 6% de CSG en plus aux retraités, dont les retraites n'ont pas été augmentées depuis 5 ans, ainsi qu'aux agriculteurs exsangues et à bien d'autres catégories sociales en difficulté...

  • Volnay2017

    On commence donc un mois après l'élection à écrire les articles qui vont justifier une hausse massive - encore une - des prélèvements obligatoires sur les citoyens. Il suffit de lire ceci.

    http : //www. Lepoint. Fr/invites-du-point/jean-nouailhac/nouailhac-l-heritage-inquietant-de-francois-hollande-22-06-2017-2137450_2428. Php

    Pourquoi a t'on évincé FF ? Les réponses et elles sont multiples se trouvent dans cet article du Point. On peut on évoquer quelques unes : on ne voulait pas que la Droite au pouvoir procède au même audit et mentionne clairement qui est responsable de quoi, FF ancien PM connait le budget de la France et les manières de la bidouiller mieux que ceux qui sont aujourd'hui aux manettes, hormis peut-être le Président, il aurait pu dresser un constat encore plus dur et surtout mettre en cause certains, brisant ainsi leur carrière et leur mouvement, il fallait pour certains pouvoir se protéger en sachant parfaitement comment dissimuler les responsabilités etc. Etc.

    Ce qui s'est passé en terme de budget depuis 2012, alors qu'il n'y avait, contrairement au quinquennat pré-Hollande, aucune cire, aucun problème de taux d'intérêt et que le matraquage fiscal a été sans précédent depuis Mitterrand-Mauroy etc. N'est ni plus qu'un abus de biens publics à une échelle encore jamais atteint.

    Va t'on enfin mettre les responsables devant la Cour de Justice de la République ?

    Un chef d'entreprise aurait de la quart du millionième de ce qui a été perpétré pendant ces 5 ans sur le dos des finances publiques, donc des impôts des citoyens, serait en prison pour de longues années.

    Pas ceux qui ont jeté l'argent public, les impôts des citoyens, par les fenêtres.

    Qui a profité des largesses de M. Hollande au pouvoir ? Il faut espérer que la CC dira aussi à qui a profité ce gigantesque détournement de fonds publics.