Marseille : les agents de la Ville vont être tenus de faire leurs heures

Personnel des piscines, des écoles, des espaces verts, des musées... Les 12 000 agents de la Ville de Marseille devront tous accomplir 
leurs 1 567 heures annuelles de travail.

Personnel des piscines, des écoles, des espaces verts, des musées... Les 12 000 agents de la Ville de Marseille devront tous accomplir leurs 1 567 heures annuelles de travail.

Photo illustration archives Nicolas Vallauri

Marseille

La Ville va imposer à ses agents 1 567 heures par an de travail effectif. C'est encore 40 de moins que la durée légale

Incroyable mais vrai : les agents de la Ville de Marseille vont être tenus de faire leurs heures de travail. Rien que leurs heures, mais toutes leurs heures. Dans une ville où, souvent à tort mais parfois à raison, les fonctionnaires municipaux n'ont pas la réputation de se tuer à la tâche, c'est un tabou que la municipalité a décidé de briser. Bien soudainement...

Car, même si la Ville s'en défend, cette urgence à régulariser le fonctionnement de ses services fait écho au scandale qui a éclaté au Samu social, où les agents ne travaillaient que 10 à 12 jours par mois (voir ci-dessous). L'enquête préliminaire ouverte par le parquet risque fort en effet de s'intéresser à d'autres services municipaux...

Aussi, le 15 juin dernier, deux dossiers ont été présentés en comité technique paritaire (CTP). L'un d'eux a trait aux logements de fonction et aux astreintes des concierges. Il sera voté lundi au conseil municipal. Prudemment, la Ville a différé le deuxième rapport, portant sur l'organisation du temps de travail dans plusieurs services "atypiques" (Samu social, service de la mer, délégation à la sécurité, notamment). "Les autres directions feront l'objet d'un deuxième texte, à l'automne. L'ensemble sera soumis au conseil municipal avant la fin de l'année", précise Jean-Claude Gondard, le directeur général des services de la Ville.

Les syndicats pas tous d'accord entre eux

Mais ce délai ne tempère pas la colère de l'intersyndicale FSU, CGT et Unsa, qui manifestera lundi devant la mairie et appelle les agents à la grève. "Se mettre en conformité avec la loi, nous ne sommes pas contre. Nous aussi sommes des contribuables soucieux de la bonne gestion de la collectivité. Mais cela ne peut se faire dans la précipitation, sans aucune concertation, simplement parce que l'administration s'est fait taper derrière la tête à cause du Samu social", fulmine Christine Donnadieu, secrétaire générale adjointe de la FSU.

Force ouvrière, toujours majoritaire à la Ville, s'est abstenue en CTP sur ce dossier : "Il est vrai que la précipitation est contestable, mais concernant le temps de travail des agents, il n'y a rien d'explosif. Il ne s'agit que de remettre au clair les règles, en mettant fin aux petits arrangements. La Ville veut bien discuter des cycles de travail, mais à condition que la totalité des heures soit bien effectuée", analyse le secrétaire général des territoriaux FO, Patrick Rué.

Un cadeau de 40 heures à 10 millions d'euros

Pour Jean-Claude Gondard, il s'agit d'expliquer aux agents que le droit "va désormais remplacer des usages" parfois adoptés au fil des années. Mais attention : pas question de remettre en cause les avantages dont bénéficient les 11 556 agents titulaires (la Ville compte aussi 6 000 non titulaires). Pour ces fonctionnaires, la durée annuelle de travail reste de 1 567 heures au lieu des 1 607 heures légales. Un écart déjà pointé en 2013 par la Chambre régionale des comptes. En se calant sur la durée légale, la collectivité "ferait une économie de 10 millions d'euros par an et accroîtrait, sans dépenses supplémentaires, sa force de travail de 280 équivalents temps plein", avait calculé la Chambre régionale des comptes, qui enjoignait à la municipalité d'"appliquer aux agents de la Ville la durée légale de travail".

Mais l'administration municipale a maintenu ces horaires inhabituels, arguant de "la spécificité des conditions de travail à Marseille et des problèmes sociaux" que provoquerait un tel revirement. Quelles sont ces spécificités ? "Insécurité urbaine", "prise en charge des populations en difficulté", "diversité et polyvalence des services publics locaux". Aujourd'hui, Jean-Claude Gondard évoque "une dérogation prévue par un décret de 2001, qui a été validée par le contrôle de légalité".

Notons que ce "cadeau" de 40 heures de travail par an (auquel il faut ajouter quelques "journées du maire") n'empêche pas les municipaux marseillais se figurer sur le podium 2016 de l'absentéisme dans les communes (selon le palmarès de la Fondation Ifrap, un "think tank" libéral) : 36,8 jours d'absence par an et par agent en moyenne, soit deuxième au classement après Amiens, dans la Somme (contre 16,7 jours par an et par salarié dans le privé).

Une situation dont la plupart des municipaux sont loin de se satisfaire, comme l'ont expliqué devant le CTP du 15 juin les syndicats CFE-CGC et CFDT : Cette mauvaise réputation "intervient dans l'incivisme croissant dont les agents sont de plus en plus victimes, lorsqu'ils se font traiter de tricheurs, fainéants et profiteurs"... Pour Luc Bedrossian (CFTC), ce malaise au travail et "ces gabegies en tous genres" sont dus à "l'absence d'une gestion équitable" et aux "erreurs de casting de certains responsables : encartés politiques ou syndicaux, copinage, réseaux ou tout simplement casting de ceux qui se montrent le plus". Ces syndicats regrettent que "la deuxième ville de France ne soit pas dotée d'une Inspection générale des services digne de ce nom". Ils réclament une "transformation de la gouvernance du dialogue social".

Constat partagé par le socialiste Benoît Payan : "Vu le nombre d'équipements qui vont passer sous gestion métropolitaine, il est urgent d'engager une véritable réflexion sur l'organisation des services."

Cure d'austérité

De fait, comme l'ensemble des collectivités locales, la Ville de Marseille doit s'attendre à la cure d'austérité promise par le président Macron : suppression de 75 000 postes sur cinq ans dans la fonction publique territoriale, réduction de 2 milliards d'euros par an de leurs dépenses de fonctionnement et... obligation de respecter la durée légale du travail.

Samu Social : les agents travaillaient 12 jours par mois

Cette volonté de "formaliser" le temps de travail des agents n'a "rien à voir avec le Samu Social", indiquait hier la Ville, qui une fois encore, a refusé de s'exprimer sur cette affaire. Une enquête préliminaire est en cours pour déterminer les tenants et aboutissants de l'étrange organisation du temps de travail qui avait cours depuis dix ans dans ce service chargé de venir en aide aux sans-abri. Les agents travaillaient une semaine sur deux, toute l'année, soit 10 à 12 jours par mois. Quand l'un était malade ou voulait quelques jours de congé, il devait se faire remplacer par un collègue, moyennant quoi il n'y avait pas d'absentéisme et le service fonctionnait 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. D'après le SDU-FSU, "ce système était imposé aux agents" et connu de tous : "les plannings étaient affichés au mur, y compris quand le maire, le préfet ou le DRH de la Ville venaient visiter les locaux". Cette organisation aurait abouti à un préjudice de 5 millions d'euros pour la collectivité. L'administration municipale - qui a déposé plainte contre X - pouvait-elle ne pas en avoir connaissance ?