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Climat : quand des citoyens attaquent leur gouvernement pour non-respect de l'accord de Paris

La Néo-Zélandaise Sarah Thomson estime que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par son pays sont insuffisants pour maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C. Depuis deux ans, ce type d'affaires se multiplie à travers le monde.
par Estelle Pattée
publié le 25 juin 2017 à 12h35

En 2015, l'ex-premier ministre néo-zélandais John Key qualifiait sa démarche de «blague». Deux ans plus tard, Sarah Thomson n'a rien cédé. Du haut de ses 26 ans, devant la Haute cour de justice, la jeune étudiante en droit attaque le gouvernement, qu'elle accuse de ne pas s'être fixé des objectifs climatiques assez ambitieux. L'audience commence ce lundi et durera trois jours.

C'est en visionnant en 2012 un discours de l'éminent chercheur américain James Hansen, l'un des premiers à avoir alerté sur le changement climatique en 1988 devant le Congrès américain, que Sarah Thomson a eu le déclic. Hansen y comparait le changement climatique à un astéroïde géant fonçant droit sur la Terre, sans que nous ne fassions rien pour le détourner. Il n'en fallait pas plus.

«Je vois notre gouvernement autoriser plus d'explorations pétrolières, investir de l'argent dans la construction de routes, mais faire si peu pour le développement du transport public, du vélo ou des voitures électriques et tout simplement fermer les yeux sur les émissions liées à l'agriculture, décrit-elle aujourd'hui à LibérationJe ressens un grand sentiment d'injustice car c'est ma génération et les jeunes générations qui vont souffrir de ce manque de vision à long terme.»

«Le compte à rebours commence… Plus qu’une semaine avant ma confrontation avec le gouvernement au tribunal pour contester leur politique climatique inadéquate.»

«Déraisonnable»

La Nouvelle-Zélande, qui se classe cinquième plus gros émetteur de GES par habitant parmi les membres de l'OCDE, derrière notamment l'Australie et les Etats-Unis, s'est engagée à Paris à réduire ses émissions de gaz à effet de serre (GES) de 30% par rapport à 2005 et d'ici à 2030 (ce qui équivaut à une baisse de 11% d'ici à 2030 par rapport à 1990).

C'est mieux que son voisin australien mais insuffisant pour Sarah Thomson, qui qualifie ces objectifs de «déraisonnables et irrationnels». «En tant que pays développé, cette décision ne respecte pas nos obligations en vertu de l'accord de Paris [la Nouvelle-Zélande l'a ratifié le 5 octobre 2016, ndlr]. Si tous les pays développés adoptaient le même objectif, il est très peu probable que le monde puisse empêcher les redoutables changements climatiques», explique-t-elle. Climate Action Tracker (CAT) jugeait lui aussi en 2015 les engagements nationaux de la Nouvelle-Zélande «inadéquats» pour maintenir le réchauffement climatique en dessous des 2°C, voire 1,5°C.

Passivité

«Notre objectif est juste et ambitieux et n'a été établi qu'après un processus de consultation approfondi», se défend au journal New Zealand Herald, Paula Bennett, l'actuelle ministre en charge des enjeux du changement climatique et poursuivie par Sarah Thomson. «A l'image du gouvernement néerlandais [qui a été condamné en 2015 à réduire les émissions de gaz à effet de serre du pays de 25% par rapport à 1990 d'ici à 2020, après une plainte de 900 citoyens soutenue par l'association Urgenda, ndlr], la Nouvelle-Zélande affirme que comme le pays ne peut pas empêcher le changement climatique tout seul, il n'est pas responsable de ses effets, explique Tessa Khan, avocate internationale pour les droits de l'homme et le changement climatique, et membre de la fondation Urgenda. C'était, et c'est encore, la principale défense de l'Etat néerlandais. Le tribunal de grande instance de La Haye l'a rejeté, et nous sommes confiants que d'autres tribunaux feront de même.»

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Ce n'est pas la première fois que des membres de la société civile attaquent en justice un Etat pour des motifs liés aux changements climatiques. Selon un nouveau rapport de l'ONU publié en mai, 884 affaires (dont 654 rien que pour les Etats-Unis) ont au total été déposées. Au Pakistan, par exemple, un paysan a poursuivi en 2015 son gouvernement au motif que sa passivité dans la lutte contre le changement climatique violait ses droits fondamentaux.

«Pression médiatique»

Plus récemment, 21 enfants et adolescents américains, représentés par l'organisation Our Children's Trust, ont lancé une action en justice contre l'administration Obama pour avoir failli à son devoir de les protéger du changement climatique. Le 10 novembre 2016, leur plainte a été jugée recevable par la juge Ann Aiken, ouvrant la voie à un procès. En France aussi, la toute jeune association «Notre affaire à tous» a déposé en décembre 2015 un recours contre l'Etat, qu'elle accuse de ne pas s'être «donné les moyens nécessaires à la réalisation d'une politique ambitieuse et adaptée aux enjeux liés au changement climatique».

«Ces procès ne sont pas là tant pour condamner. Etant de plus en plus relayés par les journalistes, ils sont devenus un moyen de pression médiatique, estime Mathilde Hautereau-Boutonnet, professeure de droit à l'université Lyon-3 et spécialiste en droit de l'environnement. Ces procès permettent également le développement d'un dialogue des juges au niveau mondial. Chaque juge a la possibilité de s'inspirer de ce qu'a fait un autre juge dans un autre pays. Cela a un effet boule de neige et est aussi désormais, force de pression.» Sarah Thomson, elle, se réjouit déjà : «Peu importe le résultat, j'ai bon espoir que l'affaire permettra de placer le changement climatique au premier plan du débat national.»

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