Algérie - Campagne anti-migrants : ce racisme qui ne dit pas son nom

Alors qu'une campagne virulente est menée à l'endroit des migrants subsahariens, plusieurs voix s'élèvent pour que l'État légifère afin de reconnaître leurs droits.

Par , à Alger

Le Premier ministre Tebboune a affirmé que la présence des déplacés africains en Algérie sera réglementée. 
Le Premier ministre Tebboune a affirmé que la présence des déplacés africains en Algérie sera réglementée.  © Radio Algérienne

Temps de lecture : 7 min

« Il faut les exterminer comme des rats, car ils vivent comme des rats. » « Rentrez chez vous. » « C'est une occupation intérieure. » « Chassons-les pour préserver nos enfants et nos sœurs. » « Les Algériens prioritaires, dehors les Africains. » « Ils violent et répandent le sida dans nos villes »… Non, ce n'est pas un cauchemar, il s'agit bien de messages lancés par des Algériens sur les réseaux sociaux. Tout a démarré il y a une semaine avec un hashtag en arabe (#لا_للافارقه_في_الجزاير, Non aux Africains en Algérie) sur Twitter accompagnant des photos de migrants subsahariens vivant dans des sortes de campements, dans la banlieue est d'Alger.

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Un racisme anti-migrants qui s'affiche sur les réseaux sociaux

Viral, le hashtag haineux s'est propagé et occupe discussions et polémiques dans la rue algéroise. D'autant que certains médias surfent sur la vague. Certains évoquent de dangereux « Africains », « porteurs de maladies, violeurs et s'adonnant à tous les crimes ». D'autres médias frôlent aussi l'appel au meurtre, comme cet obscur hebdomadaire parlant d'un « plan sionisto-français pour envahir l'Algérie par six millions de réfugiés subsahariens » ! « Il faut dire que la haine dans les médias algériens prend plusieurs formes. Elle ne date pas de ces dernières semaines ou de ces derniers mois, elle dure depuis plusieurs décennies, elle est liée à un certain exercice journalistique basée sur la propagande politique, pro ou anti-pouvoir », explique Redouane Boudjemaâ, enseignant à la faculté de journalisme d'Alger.

« Cette haine touche plusieurs niveaux, religieux, racial, elle cible les hommes, les femmes, les acteurs politiques, les militants des droits de l'homme, les syndicalistes, les Algériens, les étrangers, les musulmans, les chrétiens, les juifs, etc. Mais ces dérives se sont accentuées avec la tendance sensationnelle de quelques médias écrits, en ligne ou chaînes de télé privées, des médias qui stigmatisent les femmes, les étrangers, et surtout les réfugiés et les migrants africains installés à Alger. Ces constructions médiatiques ont amplifié un phénomène de sentiment anti-africain qui reste minime dans la société algérienne. »

« Ah, mais on n'est plus africains nous-mêmes ? ! »

Les réactions ne se sont pas fait attendre. D'abord sur les réseaux sociaux justement, où d'autres Algériens ont tourné en ridicule le fameux hashtag, demandant notamment : « Ah, mais on n'est plus africains nous-mêmes ? ! » Des selfies avec des enfants subsahariens dans les rues d'Alger ou encore des rappels du racisme dont souffrent les Maghrébins en Occident saturent depuis plusieurs jours le Web algérien.

« Nous devons réagir et montrer que les personnes qui tiennent ces propos ne reflètent pas l'ensemble de la société algérienne. Nous sommes un pays africain. Nous avons des compatriotes qui ont une couleur de peau plus foncée. Il est important que nous travaillions sur la tolérance et l'acceptation de nos différences », a réagi Hassina Oussedik, présidente de la branche algérienne d'Amnesty International.

Des médias algériens assurent que les services de la police enquêtent sur les auteurs de cette campagne qui a phagocyté tout débat en Algérie à une vitesse foudroyante.

Il y a plus de dix ans, Ali Bensaad, géographe et chercheur spécialiste des migrations sahéliennes, prévenait déjà contre ce phénomène : « Les sociétés maghrébines se retrouvent ainsi confrontées à une réalité autant nouvelle que délicate : l'irruption de l'immigration africaine pose un problème sociétal inédit à des sociétés elles-mêmes en proie aux crises sociales, aux dysfonctionnements du mal développement et largement déstabilisées par des plans d'ajustements structurels drastiques. Relégués à la clandestinité – ou, au mieux, à un statut ambigu –, les migrants sont soumis à l'aléatoire et à des conditions de séjour très précaires. »


La réponse des migrants sub-sahariens aux... par sud-algerien

Une sorte de tolérance

Bizarrement, cette fièvre autour de la question des migrants en Algérie intervient alors que le pays vient de recevoir un questionnaire de l'ONU quant à la situation juridique des migrants dans le plus grand pays africain.

Quelques jours après, le ministre de l'Intérieur, Noureddine Bedoui, déclarait solennellement : « L'Algérie considère ces réfugiés, venant de pays en butte à des conditions difficiles, comme étant des invités qu'il faut prendre en charge au plan médical, social et psychologique, individuellement et en groupes. »

L'image d'Alger a pâti des récentes expulsions massives ciblant des migrants après des « incidents » dans certains quartiers à Alger l'année dernière. Selon des chiffres non officiels rapportés par RFI, plus de 100 000 migrants d'Afrique de l'Ouest et d'Afrique centrale sont présents, travaillent et circulent en Algérie.

Pas de législation concernant les droits des migrants

Souvent, les migrants subsahariens bénéficient d'une sorte de tolérance de la part des autorités : ils peuvent se faire arrêter en situation irrégulière, on leur notifie une expulsion, toutefois rarement exécutée. L'agriculture, le bâtiment et même certains chantiers publics profitent de cette main-d'œuvre qui évolue dans une zone grise en termes de statut et de droit du travail.

« Alger a toujours fait attention à son statut spécial auprès des autres pays africains : un pays qui a milité pour la cause des autres peuples, qui a hébergé toutes les causes ne peut se permettre d'être ce pays qui maltraite de pauvres déplacés », soutient un diplomate basé ici. Alger qui avait refusé la demande de l'Union européenne, en 2004, d'ouvrir un camp de rétention pour les subsahariens.

Vendredi dernier, depuis Kampala (Ouganda), où se tenait le sommet onusien sur les réfugiés, Abdelkader Messahel, le ministre des Affaires étrangères algérien a déclaré que « l'Algérie, sensible au drame que vivent les migrants, continue à mobiliser ses moyens propres pour leur exprimer au quotidien sa solidarité et son entraide ». Le chef de la diplomatie algérienne a rappelé que « l'Afrique est le continent qui compte les flux intrarégionaux les plus importants au monde ».

Bientôt, une carte de résidence ouvrant droit au travail

« Dans leur approche de la problématique migratoire, nos partenaires se doivent de reconnaître le fardeau, sans égal ailleurs, porté par les pays africains, et d'agir en conséquence sur les causes profondes de ces phénomènes par la promotion d'une approche globale, intégrée, concertée, équilibrée et solidaire à laquelle mon pays a toujours adhéré », a-t-il souligné.

Le Premier ministre Abdelmadjid Tebboune a, pour sa part, indiqué devant le Parlement dans la nuit de vendredi à samedi que les migrants avaient « fui la pauvreté et les guerres pour venir chez nous » et que leur présence devait être « légale, car les dangers à nos frontières nous obligent à faire passer l'aspect sécuritaire avant nos sentiments ! »

Et d'annoncer qu'une opération de recensement des réfugiés est en cours, opérée par le ministère de l'Intérieur : « Ils auront droit à une carte de résidence, qui leur ouvre droit au travail également », a précisé le Premier ministre algérien. Et, sans doute réagissant aux nombreuses réactions quant à cette polémique, Tebboune a menacé : « Nous ne permettrons à aucune ONG ni à aucun individu de salir l'image de notre pays en prétendant que l'Algérie africaine opprime des Africains ! »

La réaction épidermique du Premier ministre pourrait s'expliquer non seulement par les récentes critiques d'ONG, mais aussi par le drame des réfugiés syriens abandonnés par l'Algérie et le Maroc dans un no-man's land entre les deux pays, chacun ayant rejeté la responsabilité sur l'autre durant des semaines. À Alger et ailleurs, selon des témoignages d'associations, les bénévoles qui gèrent les restaurants gratuits pour la rupture du jeûne en ce Ramadan au profit des plus démunis ont doublé leurs effectifs pour accueillir les subsahariens, hommes seuls ou en famille. En Kabylie, une école pour enfants subsahariens a été ouverte par un groupe de jeunes. Un hasthtag pour orienter toute la « zakat » des Algériens (aumône islamique à l'occasion de la fête de l'Aïd marquant la fin du ramadan) vers les besoins des migrants a même été aussi viral que les appels racistes… Mais la politique et l'effet de loupe des réseaux sociaux polluent la coexistence entre humains, ici ou ailleurs.