Les Miss ont leur élection nationale - les politiques, le dîner du Crif. Une grande messe, l'endroit où il faut être vu, et éventuellement entendu. Pourtant le Conseil représentatif des institutions juives est loin de faire l'unanimité. "Lobby juif" pour les uns, "institution obsolète" pour les autres, en plus de 70 années d'existence, le Crif a été la cible de nombreuses attaques - et pas seulement de la part des mouvements antisémites. Sur son site internet il se présente comme "le porte-parole de la communauté juive de France auprès des pouvoirs publics". Mais les Juifs de France se sentent-ils vraiment représentés par cette institution?
"L'interlocuteur juif" de l'Etat
C'est à l'été 1943 qu'a été créé, en France occupée, le Conseil général de défense juive. Il avait pour principal objectif l'organisation dans la résistance de l'aide aux juifs persécutés. C'est ce Conseil qui deviendra le Conseil représentatif des Israélites de France, renommé par la suite Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Aujourd'hui le Crif fédère 63 associations différentes, aux objectifs variés : défense d'intérêts professionnels (Rassemblement des avocats juifs de France, Association des médecins israélites de France, Association des pharmaciens juifs de France...), ou liés au statut des membres (Union des étudiants juifs de France, Coopération féminine...). Le Crif compte aussi parmi ses institutions membres une mutuelle (La Solidarité), des ONG (B'nai B'rith France) ou bien encore des associations d'éducation culturelle et/ou sportive comme les Eclaireuses et éclaireurs israélites de France.
L'initiative du premier dîner du Crif, en 1985, revient à Théo Klein, président du Conseil représentatif des institutions juives de 1983 à 1989. L'objectif est alors de faire du Crif "l'interlocuteur juif " des pouvoirs publics, comme le résume Samuel Ghilès-Meilhac(auteur de "Le Crif : de la Résistance juive à la tentation du lobby"). Depuis cette date, le dîner du CRIF rassemble donc chaque année presque tous les représentants des différents partis politiques français - à l'exception du Front National. Et à l'exception, depuis 2009, des Verts et des communistes, privés de dîner notamment pour leur soutien à des actions de boycott de produits israéliens.
Le Crif, machine à communiqués?
Le Crif se présente comme le "porte-parole de la communauté juive de France auprès des pouvoirs publics". "De la théorie", pour David Chemla, co-fondateur de JCall, une association juive qui milite pour la paix au Moyen-Orient, dont certains membres siègent actuellement au bureau executif du CRIF: "Le Conseil représentatif des institutions juives, comme son nom l'indique, ne représente que les institutions qu'il fédère - associations et institutions religieuses, communautaires, sociales.... Or on estime que seulement un tiers des quelque 600 000 juifs de France appartient à l'une de ces associations. Par conséquent, le Crif ne peut représenter qu'une partie des français juifs".
Au-delà de cette constatation mathématique, le Crif serait mal perçu par les plus jeunes générations de Juifs, comme en témoigne Alain Granat, directeur de la publication de JewPop, site internet porté sur l'auto-dérision - comme en témoigne sa base-line "Le site qui voit des Juifs partout": "Nos lecteurs, juifs ou non-juifs, reprochent notamment au Crif des interventions qui n'ont pas lieu d'être, comme lorsqu'il s'est fendu d'un communiqué pour dénoncer un sketch diffusé sur France Inter, en voyant de l'antisémitisme là où il fallait voir de l'humour. Le CRIF aimerait être un lobby à l'américaine, qui influerait sur la politique extérieure de la France - mais dans les faits il n'a pas d'influence et produit surtout des communiqués, parfois à bon escient, parfois non".
Plus globalement le Crif est aussi visé pour son soutien, perçu comme inconditionnel, à l'actuelle politique d'Israël vis-à-vis de la Palestine: "Effectivement, plus encore sous la mandature de Richard Prasquier, le Crif a généralement pris des positions favorables à la politique israélienne, note David Chemla. Or, selon moi, ce n'est pas son rôle".
"Un dîner ridicule"
Les critiques, enfin, sont très vives sur l'intérêt de continuer à organiser la grande messe annuelle du Crif: "Un dîner ridicule", pour Alain Granat, "Du communautarisme", pour David Chemla. Et une image désastreuse pour l'ensemble de la communauté juive, comme le résume la blogueuse SefWoman sur JewPop: "Le dîner du Crif, finalement, c'est une réunion de mecs qui toute l'année expliquent que les Juifs ne dominent pas le monde contrairement à ce que pensent les antisémites, et qui salopent tout en un soir en faisant se déplacer toute la classe politique".
En mai 2013, le président du Crif, alors Richard Prasquier, déclarait au journal Actualité Juive: "Non, le CRIF ne représente pas "tous" les Juifs. Il représente ceux qui se sentent représentés par lui, d'où qu'ils viennent". Il ne croyait pas si bien dire.