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ReportagePolitique

À Fréjus, le maire FN poursuit le bétonnage de la Côte d’Azur

La municipalité FN de Fréjus multiplie les projets de bétonnage. Loin de rompre avec les anciennes pratiques, comme le prétend la communication de son parti, le sénateur-maire David Rachline s’inscrit dans l’héritage d’une politique antiécologique.

Actualisation lundi 28 août 2017– C’est un camouflet pour la politique d’urbanisme du maire FN de Fréjus, David Rachline. Devant le rejet toujours plus grand des habitants d’un projet immobilier sur la place centrale quartier balnéaire de Saint-Aygulf, le maire avait annoncé l’organisation d’un référendum local ce dimanche 27 août. Le résultat est sans appel. Avec 50 % de participation, les Aygulfois ont répondu NON à 76,35 %. David Rachline a fait savoir dans un communiqué qu’il respecterait ce résultat.


  • Fréjus (Var), reportage

Si le front de mer laisse place à une longue plage à l’air sauvage, les façades de la marina et de Saint-Aygulf témoignent d’une architecture balnéaire caricaturale. Dans la commune de Fréjus, parcs d’attractions, campings et zones pavillonnaires mitent les collines et la plaine alluvionnaire de l’Argens. Outre ses vestiges romains, la cité de 53.000 habitants est célèbre depuis 2014 pour compter parmi les onze municipalités françaises gérées par le Front national. Sénateur-maire élu à 26 ans, David Rachline veut faire de sa ville l’exemple du « municipalisme » frontiste.

Symbole méritocratique du parti, en septembre 2016 David Rachline a été nommé directeur de campagne de Marine Le Pen pour la présidentielle. L’édile varois embrasse la stratégie de dédiabolisation chère à sa patronne. Dans un portrait qu’il a accepté de se laisser tirer par France Culture fin 2014, le maire dit faire le choix « de la gestion et pas du militantisme ». Il affiche vouloir « redresser les finances de la ville, refaire partir son tourisme, avoir une action culturelle forte » et surtout « maîtriser l’aménagement du territoire comme ça n’a pas été le cas par le passé ».

David Rachline, le sénateur-maire de Fréjus.

Fermer les centres sociaux, empêcher l’installation d’une mosquée, arrêté anti-burkini, interdiction de séjour pour des journalistes… Derrière une parole ripolinée, les actes correspondent aux fondamentaux de l’extrême droite. Et en matière d’urbanisme, la rupture avec les méthodes de l’ancienne majorité n’est pas consommée, reléguant à l’effet de communication les prétentions écologiques du parti frontiste.

Une « base nature » ouverte à l’urbanisation

Ingénieur du BTP à la retraite, Daniel Truong, membre du Comité de défense des intérêts généraux de Fréjus-Plage, se bat pour que la Base nature ne soit pas urbanisée. Il s’agit de l’ancienne base aéronautique, cédée à la ville en 1995. L’acte de cession prévoit que la zone naturelle doit être à « vocation sportive, de détente et de loisirs sans autres aménagements que ceux liés à la pratique des sports ouverts au plus large public » et que la surface des anciens bâtiments de la base (40.000 m²) se réserve « à seule destination d’équipements publics ».

Daniel Truong.

Le lieu est resté dans son jus de 1995. Un immense parking lie les bâtiments. Les hangars sont utilisés par les services techniques de la ville. « Le Caquot », du nom de son concepteur, Albert Caquot, héberge de grands événements. Quant aux anciens mess et logements, ils accueillent la Maison de l’emploi et d’autres services publics. La zone naturelle offre une très longue piste de roller et de vélo qui reprend en partie le tracé de l’ancienne piste d’aviation. 80 hectares de marécages et de bois sont par ailleurs protégés. Le Conservatoire du littoral n’est pas encore propriétaire de ces terrains, contrairement à ce que prévoit l’acte de cession.

Les marécages et « le Caquot » de la Base nature de Fréjus.

Un tel espace vert en bord de mer est l’exception d’une Côte d’Azur trop bétonnée. Fin juin 2016, la ville de Fréjus a lancé une enquête publique en vue de modifier le Plan local d’urbanisme (PLU) pour « ouvrir la possibilité que 32.000 m² de la zone bâtie deviennent urbanisables sans restriction », dit Daniel Truong. Objectif défendu par la municipalité : « implanter sur place un équipement touristique et un équipement lié aux métiers de la mer ». Pour l’opposant, ce serait le début de la privatisation de la base, et cela ouvrirait la porte à d’autres projets immobiliers.

Les deux tiers des 439 observations livrées à l’enquête publique émettent des réserves. Fort de ces interpellations, le commissaire enquêteur a rendu un avis défavorable. En outre, son rapport rappelle que « les anciennes activités militaires […] ont paradoxalement permis à certains habitats, côtiers notamment, d’évoluer de façon naturelle à l’abri d’une pression humaine ». L’espace est en Zone naturelle d’intérêt écologique faunistique et floristique (Znieff). La préfecture soutient la protection, jusqu’à déposer un déféré en annulation du PLU au tribunal de Toulon le 27 avril. L’association de Fréjus-Plage a aussi attaqué la délibération municipale du 21 novembre 2016 qui acte la modification du PLU. Mais le 24 mai dernier, la justice a rejeté le référé-suspension. Les militants continuent d’informer les Fréjusiens en attendant le jugement sur le fond.

Menace sur l’agriculture de la « vallée rose »

La municipalité souhaite donc faire déménager les services techniques de la Base nature. Elle propose de les installer dans la vallée agricole du Reyran, dite « vallée rose » pour ses pêchers en fleurs qui la coloraient jadis. Guy Sigari est l’un des derniers agriculteurs d’une zone qui n’en compte plus qu’une dizaine. « Mes grands-parents exportaient des pêches par train jusqu’à Paris et l’Angleterre. Mes parents livraient à Rungis et à Nice », témoigne le paysan. Lui-même a arraché beaucoup d’arbres. Il diversifie désormais sa production en maraîchage pour une vente en circuit court. « La pêche de Fréjus » s’expédiait dans toute l’Europe. Depuis la catastrophe du barrage de Malpasset, cette arboriculture est en chute libre : le 2 décembre 1959, l’ouvrage construit sur le Reyran avait cédé, ouvrant la voie à une énorme vague, qui emporta 423 victimes.

Des serres et des champs de la vallée agricole du Reyran.

Les terres de Guy Sigari voisinent une pépinière abandonnée qu’il appelle « la jungle ». Laissés là, palmiers, cyprès et magnolias se sont librement épanouis. Via la société d’économie mixte (SEM) Fréjus aménagement, c’est sur ce terrain de 8 hectares que la mairie projette d’implanter les services techniques et ce qu’elle appelle un « hameau agricole ». À la suite d’une réunion d’information houleuse, pour laquelle le premier adjoint, Richard Sert, a voulu empêcher l’accès à la presse, aux élus d’opposition et aux citoyens non résidents du quartier, la majorité a renoncé à la déchetterie qui était également prévue à cet endroit.

Guy Sigari (au centre).

Les agriculteurs réunis au sein du Collectif pour préserver la vallée agricole du Reyran continuent de se mobiliser. « On nous présente le “hameau agricole” comme un outil soutenant l’installation agricole. C’est faux. La surface prévue ne permet que de faire du bâti sans surfaces cultivées supplémentaires », explique Antoine Pacifico. Avec son frère Jean-Marc, ils cherchent à s’installer en culture céréalière. Or, pour réaliser les projets de la SEM, il faudrait déclasser la zone agricole en zone constructible. Selon les agriculteurs, cela constituerait le coup d’envoi de l’urbanisation de la vallée. Dans une région où les inondations sont toujours plus graves à cause de l’artificialisation des sols, une telle évolution accroîtrait les risques. L’autre crainte des agriculteurs concerne la surévaluation foncière du terrain, « donnant un prix de référence pour la vallée qui empêche les agriculteurs d’acheter ou de transmettre », affirme Guy Sigari.

Une usine de béton et d’enrobé en zone habitée

Mais, comme si cela ne suffisait pas, M. Rachline soutient d’autres projets nuisibles à l’environnement. Sur les hauteurs de Fréjus, dans le quartier du Capitou, une zone industrielle concentre les grands du BTP local. La société Écopole poursuit la construction d’une usine de concassage de déchets du bâtiment et d’une usine de béton et d’enrobé. À travers un collectif et une association de quartier, des habitants rejettent ce projet. Le terrain appartenait à la municipalité, qui prévoyait initialement d’y installer les services techniques et la cantine centrale. « Il y a une escroquerie sur ce dossier. La chambre régionale des comptes est étonnée de l’acquisition de ces terrains sans appel d’offres ni appel à la concurrence », dit Jean-Paul Chanterel, de l’association des Amis du Capitou. Même si c’est l’ancienne majorité qui a validé le projet, les militants pointent la responsabilité de la mairie actuelle de ne pas s’être saisie de la question. « Quand il s’agit de s’opposer à la construction de la mosquée, ils trouvent des avocats, ils vont en justice. Mais là, on parle de notre environnement et de notre santé », s’exclame Éliette Laporte, du collectif du Capitou.

L’usine de béton et d’enrobé en construction sur les hauteurs de Fréjus, dans le quartier du Capitou.

Les riverains mobilisés ne veulent pas subir des émanations en tout genre : HAP, benzène, cadmium, plomb et autres poussières, fumées et odeurs. Elles nuiraient aussi à la faune, à la flore et au vignoble classé en côte de Provence. L’étude d’impact de ce projet a été réalisée en 2008. Depuis, la population de cette zone a quadruplé pour atteindre 8.000 habitants. Ils s’inquiètent aussi de la saturation des réseaux routiers : selon le rapport du commissaire enquêteur, un camion de 15 tonnes toutes les minutes et demie est prévu sur des axes déjà bien empruntés par les véhicules militaires du régiment voisin et par les estivants. Sept campings se situent dans un rayon de deux kilomètres. Leur attractivité pourrait pâtir de l’activité d’Écopole. Arguant que l’étude d’impact est insuffisante et ne prend pas en compte une urbanisation qui a changé, un rassemblement d’associations a porté un référé au tribunal administratif de Toulon en décembre 2015. La décision se fait attendre. Pendant ce temps, les travaux des centrales se poursuivent pour une mise en activité prévue en septembre 2017.

« Passage en force et mépris des habitants »

Ce n’est pas tout ! À Saint-Aygulf, un quartier de Fréjus, des habitants sont vent debout contre un projet immobilier sur la place centrale, fait d’un immeuble de 15 mètres qui accueillerait des services communaux et des logements, avec un parking souterrain de 300 places. L’enquête publique vient de s’ouvrir au 12 juin pour modification du PLU alors que la majorité municipale a déjà choisi l’entreprise qui s’occupera de l’aménagement. La vente du terrain à bâtir se chiffre à un peu plus de 2 millions d’euros. Les opposants dénoncent la vente du domaine public. Devant le rejet d’Aygulfois chaque jour plus nombreux, le maire vient tout juste d’annoncer l’organisation d’un référendum local.

L’opposition au projet immobilier de la place du quartier de Saint-Aygulf.

Les associations et collectifs se coordonnent dans le Collectif Var-Estérel-Méditerranée (Covem) pour dénoncer une logique globale. « La municipalité se targue de ne pas augmenter les impôts. Mais, sous prétexte de baisser la dette qui est encore à plus de 130 millions d’euros, elle organise une braderie qui dilapide notre patrimoine et les biens communaux », dit Alain Pottier, un ancien des services techniques. « Depuis le début du mandat FN, la ville a vendu pour 36 millions d’euros de bien publics », précise Daniel Truong.

Plutôt que de mettre fin aux pratiques de son prédécesseur, David Rachline en a suivi les adages, entretenant une proximité avec les bétonneurs. La figure montante du FN doit sa victoire à Élie Brun. Déchu de l’UMP, le maire sortant était arrivé troisième du premier tour des municipales de 2014 et s’était maintenu au second tour. Ainsi le FN a-t-il pu l’emporter, à la faveur de la triangulaire. Retour d’ascenseur, Jacqueline Marco, ex-femme d’Élie Brun, a conservé sa place à la direction de l’aménagement et de l’urbanisme.

David Rachline, le maire de Fréjus, considère les municipalités comme « les premiers partenaires des entreprises du BTP ». Signe de la continuité, le permis de construire d’Écopole a d’ailleurs été signé de sa main. Interrogé par Reporterre, il a refusé de répondre à nos questions.

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