Chine : "Je lance un appel au président Macron pour sauver Liu Xiaobo"

Chine : "Je lance un appel au président Macron pour sauver Liu Xiaobo"
Liu Xiaobo, 61 ans, avait été condamné en 2009 à 11 ans de réclusion pour "subversion". Il avait corédigé un manifeste appelant à l'avènement d'une démocratie pluraliste en Chine. (DANIEL SANNUM LAUTEN / AFP)

Atteint d'un cancer au stade terminal, le dissident chinois Liu Xiaobo a été libéré, sans pouvoir quitter la Chine. Son compagnon d'armes Wang Dan, leader du mouvement de Tiananmen, accuse le régime chinois de négligence délibérée.

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La France a proposé mercredi 29 juin à la Chine d'accueillir l'activiste et prix Nobel de la paix chinois, Liu Xiaobo, et l'artiste Liu Xia, sa compagne, selon France Info. Le dissident, gravement malade, a été libéré lundi par Pékin, en raison de sa santé. Avant que la France ne lui tende la main, "l'Obs" a rencontré l'un de ses compagnons de route, Wang Dan. 

 

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Il y a 27 ans, Wang Dan était à la tête du vaste mouvement étudiant qui occupait pacifiquement la célèbre place Tiananmen, au cœur de Pékin. Leur revendication : plus de démocratie et de justice. Au lieu de quoi, le pouvoir aux mains du Parti communiste envoya les chars, n’hésitant pas à écraser dans le sang une jeunesse idéaliste soutenue par la population.

Wang Dan a été emprisonné à deux reprises, en 1989 et 1995. Il a finalement pu quitter la Chine et s'envoler pour les Etats-Unis en 1998 pour raisons médicales. Il est aujourd’hui enseignant à Taïwan et continue de militer pour la démocratisation de la Chine. Il se trouve à Paris à l’occasion de la conférence "Asia Days", organisée par Sciences-Po. C’est donc ici qu’il a appris la "libération" pour motif médical de son ami Liu Xiaobo, le prix Nobel de la paix que la Chine maintient en prison depuis 2009.

Wang Dan (Shuji Kajiyama/AP/SIPA)

Nous venons d’apprendre que Liu Xiaobo a été libéré de prison, au motif qu’il souffre d’un cancer terminal du foie. Pensez-vous que le gouvernement porte une responsabilité dans la dégradation de sa situation de santé ?

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Liu Xiaobo a longtemps souffert d’hépatite. Il aurait dû être soigné afin que cette maladie n’évolue pas en cancer. Une fois le cancer détecté, il aurait dû être soigné afin d’éviter son aggravation. Au lieu de quoi, on fait semblant de découvrir une tumeur au stade terminal. Je suis persuadé qu’il n’a pas été convenablement soigné. Je me fonde sur ma propre expérience : quand j’étais en prison, si je me sentais mal, je le signalais et j’étais envoyé à l’hôpital. Là, je subissais des examens poussés et on me prescrivait des médicaments – sans toutefois me fournir de diagnostic. Je pense qu’il en a été de même pour Liu Xiaobo. Il a dû lui aussi être envoyé à l’hôpital et subir des examens approfondis.

Il ne fait aucun doute que sa santé était très attentivement suivie, car Pékin doit éviter qu’une personnalité aussi importante que lui ne meure en prison. Vous savez, le niveau des soins médicaux est excellent en Chine. Je suis sûr que sa tumeur a été détectée il y a longtemps. Or aucun soin approprié ne lui a été prodigué, ou du moins pas en temps voulu. Le cancer terminal de Liu Xiaobo est donc entièrement la responsabilité du gouvernement chinois.

Liu Xiaobo a toujours dit qu’il avait été bien traité, qu’il n’avait par exemple jamais été torturé.

Bien sûr qu’il n’a pas été torturé. Moi non plus je ne l’ai pas été. Mais il y a une différence entre ne pas être soumis à la torture et recevoir un traitement médical approprié.

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Vous pensez donc que c’était une négligence délibérée de la part des autorités ?

J’en suis persuadé. Ce qui se passe est, au fond, la meilleure solution pour le gouvernement. Ils ne peuvent pas le tuer purement et simplement. Ils ne veulent pas non plus le laisser sortir du pays, de peur qu’il aille partout dénoncer les abus du régime… Que Liu Xiaobo succombe à un cancer dédouane le pouvoir de sa responsabilité.

Depuis quand connaissez-vous Liu Xiaobo ?

Je l’ai rencontré en mai 1989, au moment du mouvement de Tiananmen. Je le connaissais auparavant de réputation, il était déjà célèbre en tant que critique littéraire. Il enseignait à Columbia, aux Etats-Unis, en 1989, et il était rentré à Pékin pour participer au mouvement. Pendant un mois environ, nous nous sommes vus tous les jours, jusqu’à la répression du 4 juin.

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(Jeff Widener/Associated Press)

Il a joué un rôle crucial de conciliation pendant ces heures dramatiques de l’intervention militaire, il a sauvé des vies…

Absolument, et c’est pourquoi il mérite à 100% le prix Nobel de la paix. Il était professeur à l’époque et il avait de l’influence sur les étudiants. Le dernier jour avant l’intervention militaire, le 3 juin, les étudiants étaient bouleversés, prêts à combattre, prêts à mourir. Liu Xiaobo a réussi à les calmer, à les dissuader de prendre les armes, et c’est à mes yeux une contribution capitale. Si les étudiants avaient décidé de se battre, il y aurait certainement eu beaucoup plus de morts.

Est-ce que vous vous êtes revus par la suite ?

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Après notre arrestation, nous avons été incarcérés tous deux à Qincheng [une prison de haute sécurité, près de Pékin, NDLR] mais dans des ailes différentes. Nous ne pouvions pas communiquer. Il se trouve que nos deux procès se sont déroulés le même jour, et nous nous sommes croisés par hasard dans le couloir du tribunal. Nous sommes tombés dans les bras l’un de l’autre et sommes restés embrassés jusqu’à ce que les policiers réussissent à nous séparer. Je ne peux repenser à cet événement sans être très ému.

Il a été relâché assez rapidement, en 1990. J’ai été libéré en 1993, avant d'être arrêté de nouveau en 1995. Pendant ces deux années de liberté, nous nous sommes vus chaque semaine. Nous avons travaillé ensemble, pris position sur des cas de violations de droits humains, etc. Il est devenu comme un grand frère pour moi. Ces épreuves ont fait de nous une famille.

Comment le décririez-vous ?

C’est fondamentalement un littéraire. La politique, ce n’était pas vraiment sa voie. Il n’a pas l’esprit politique. Beaucoup de ses décisions viennent de son âme, son âme de littéraire, je veux dire. Après son premier séjour en prison, il a écrit un livre qu’il a appelé ses "confessions", sur le modèle de Rousseau. Il se sentait extrêmement coupable, car il avait donné une interview à la télévision officielle chinoise, déclarant : "Je n’ai vu aucun mort sur la place Tiananmen."

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Et c’est vrai : il n’y a pas eu de tués sur la place elle-même, bien qu’il y en ait eu beaucoup tout autour de la place. Mais faire ce genre de déclaration c’était contribuer à la propagande d’État. Il était affaibli, il l’a donc fait. Mais par la suite, il s’est senti profondément coupable. De façon quasi indélébile. Il a décidé qu’il allait consacrer le reste de sa vie au combat pour les droits de l’homme et la réhabilitation des victimes du 4 juin. Il m’a dit qu’il voulait retourner en prison, qu’il avait besoin d’expier cette faute. Il voulait être arrêté. C’est pour cela qu’il a pris des positions aussi courageuses. Pour moi, cela participe de sa personnalité littéraire, avec un côté religieux. Liu Xiaobo n’est pas croyant, mais son engagement est de nature quasi religieuse. Il a décidé qu’il allait sacrifier sa vie, son temps, son énergie pour racheter ce qu’il avait fait pendant sa première incarcération. Pour moi, c’est un héros tragique.

Le gouvernement ne lui a pas su gré du rôle pacificateur qu’il avait joué à la veille du 4 juin 1989 ?

Si, après cette première incarcération, il a été relâché assez vite, et même il a eu un passeport, il a pu faire un voyage aux Etats-Unis. Mais il était vraiment sous le poids de cette faute qu’il avait commise. Et ce sentiment de culpabilité lui a donné de plus en plus de force. Il a aussi compris qu’il pouvait jouer un rôle important, celui du leader d’après 1989. Ce qu’il est devenu d’ailleurs. Il avait une idée très claire de ses obligations, du rôle qu’il devait jouer.

Quel était ce rôle à ses yeux ?

Son rôle était de préserver, de maintenir vivant l’esprit de 1989. De faire plus et mieux que le mouvement de 1989 pour promouvoir la démocratie. C’est pourquoi il a pris l’initiative de la Charte 08 [un manifeste, publié le 10 décembre 2008 et signé par plus de 303 intellectuels chinois et militants des droits de l'homme, pour lequel il a été finalement arrêté, NDLR]. Son idée, c’était d’encourager l'évolution du pays d'une façon plus pacifique qu'en occupant une place publique. Une façon plus modérée, plus civile, de pousser la Chine à se démocratiser. Sa déclaration la plus parlante, pour moi, c’est celle qu’il a faite au tribunal en 2010, lors de sa condamnation à 11 ans de prison. Il a dit : "Je n’ai pas d’ennemis." C’était cela cette méthode que je qualifie de "religieuse".

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Il suivait aussi l’exemple de Vaclav Havel.

Certainement. Havel a influencé de nombreux intellectuels pro-démocrates en Chine, moi y compris. Et la Charte 08 est totalement inspirée par la Charte 77 de Havel.

Avez-vous été en contact avec lui depuis sa dernière arrestation ? Savez-vous quel était son état d’esprit ?

La dernière fois que je lui ai parlé, c’était la veille de son arrestation, il m’a appelé pour me demander si j’acceptais de signer la Charte 08. Après cela, je n’ai plus eu aucun contact direct avec lui, je n’avais que des nouvelles indirectes via son épouse qui le voyait une fois par mois. Mais le connaissant très bien, je pense savoir comment il a vécu son emprisonnement. Il faut dire qu’il avait de l’expérience, ayant été emprisonné quatre fois. Je pense qu’il savait parfaitement comment préserver l’avenir, en faisant de l’exercice, en lisant beaucoup de livres et en maintenant son mental dans le calme.

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En dernier, il était détenu à Jinzhou, province du Liaoning, très loin de Pékin, dans le but de le séparer de sa famille. Il se trouve que j’ai été moi-même emprisonné là en 1995. Cette prison ne possédant pas de quartier spécial pour les politiques, ils en ont créé un pour moi et quelques autres prisonniers, avec une cour séparée des droits communs. Je pense que Liu Xiaobo a été mis dans la même cellule et dormi dans le lit où j’avais dormi avant lui. Nous sommes aussi frères qu’on peut l’être.

Pensez-vous qu’il sera autorisé à quitter la Chine pour être soigné ?

Je ne sais pas. Bien entendu, Pékin préférera le garder sous contrôle jusqu’à sa mort. Or Liu Xiaobo souhaite aujourd’hui quitter la Chine pour être soigné à l’étranger. Tout dépend maintenant de la pression internationale.

Nous n’avons à cette heure aucune réaction du gouvernement français.

Oui, j’en suis un peu déçu. Même le gouvernement de Donald Trump s’est exprimé en faveur de Liu Xiaobo. Il faut que le gouvernement français sache que la France est spéciale aux yeux des Chinois, car c’est le pays des droits de l’homme, de la démocratie, de la liberté. La France doit donc faire entendre sa voix dans cette affaire. Je demande à rencontrer le président Macron et je lui lance un appel pour sauver Liu Xiaobo.

Propos recueillis par Ursula Gauthier

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