Simone Veil sur la Shoah : "Nous n'avons pas parlé parce qu'on n'a pas voulu nous écouter"

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Simone Veil sur la Shoah : "Nous n'avons pas parlé parce qu'on n'a pas voulu nous écouter"

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Simone Veil et Jacques Chirac, visitant le camp Natzweiler-Struthof, le 22 juin 1975
Simone Veil et Jacques Chirac, visitant le camp Natzweiler-Struthof, le 22 juin 1975
© Getty - Armel Brucelle

Avec la mort de Simone Veil s'éteint aussi une voix précieuse sur la Shoah. Déportée en 1944 à 17 ans, Simone Veil, née Jacob, a témoigné à plusieurs reprises du sort des juifs européens durant la guerre puis à la Libération. Elle dénonçait que la France "n'ait pas vraiment voulu savoir, entendre".

C'est à Nice, dans la rue, alors qu'elle sortait très rarement, que Simone Veil a été arrêtée en mars 1944. Elle s'appelait alors Simone Jacob, son nom de jeune fille. Elle apprit plus tard que ses faux papiers, qu'elle croyait fiables, avaient en réalité été mis en circulation par la Gestapo elle-même. A dix-sept ans, elle fait partie du 71ème convoi, et gagne Auschwitz-Birkenau en même temps que 1500 déportés.

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Quarante-quatre ans après son arrestation, Simone Veil racontait son départ en déportation dans l'émission "L'Histoire en direct", diffusée le 4 avril 1988 sur France Culture. Elle y disait les premiers contacts avec les autres déportés, les camions qu'on voyait partir et personne n'en revenir, et l'impensable, cette fumée qu'elle pouvait apercevoir en se penchant à la fenêtre. Dans cet extrait, écoutez-la raconter s'être faite tatouer à son arrivée au camp au petit matin :

Cela donnait l'impression d'une chose irrémédiable. Devenir un numéro, je crois que c'est le premier événement qui a donné à penser que ce n'était pas simplement l'envoi dans un camp de travail, une déportation ordinaire.

Extrait du témoignage de Simone Veil dans "L'Histoire en direct" du 04/04/1988 où elle parle de son arrestation en 1944 et de son arrivée au camp d' Auschwitz.

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Carte d'étudiante de Simon Veil - Jacob à Sciences-Po
Carte d'étudiante de Simon Veil - Jacob à Sciences-Po

Cent-trente personnes à peine reviendront de ce 71ème convoi qui en comptait 1500. Dès son retour, Simone Veil eût à coeur de raconter. Etudiante à Sciences-Po, rue Saint-Guillaume à Paris, où elle s'inscrit moins de six mois après la libération d'Auschwitz-Birkenau, Simone Jacob, qui vient d'épouser Antoine Veil, est conviée à l'Assemblée nationale pour témoigner devant les députés. Il reste une trace radiophonique de cette allocution qui date du 4 mars 1947. Ecoutez la jeune femme de 20 ans raconter devant le Parlement comment elle distinguait les déportées juives issues des différentes régions d'Europe :

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"On refait beaucoup l'Histoire"

Puis il faut attendre plus de trois décennies, presque quatre, pour retrouver à la radio le témoignage de Simone Veil sur la déportation. Elle est pourtant devenue fort célèbre entre-temps, comme ministre de la Santé de 1974 à 1979 puis comme présidente du Parlement européen, dès 1979, et députée européenne jusqu'en 1993, date de son retour au gouvernement. Mais c'est de parité, de sécurité sociale et, bien sûr, d'avortement, qu'on lui parle, et non de son expérience des camps d'extermination. Or elle affirme sans détours avoir cherché à raconter.

Pour Simone Veil, les rescapés de la Shoah se sont tu parce qu'on n'a pas voulu les entendre, pas voulu savoir. En 1988, dans une deuxième émission "L'Histoire en direct" diffusée cette fois le 2 mai, elle dénoncera même :

Aujourd'hui, on refait beaucoup l'Histoire. On essaye de comprendre pourquoi on n'a pas plus parlé. Je crois que ça vaut la peine d'essayer de comprendre pourquoi mais qu'il ne faut pas refaire l'histoire autrement qu'elle n'a été en disant que c'est parce que les déportés n'ont pas voulu en parler, parce que les déportés ont cherché l'oubli eux-mêmes. Ce n'est pas vrai du tout. Il suffit de voir le nombre de rencontres qu'ils ont entre eux. Si nous n'avons pas parlé c'est parce que l'on n'a pas voulu nous entendre, pas voulu nous écouter. Parce que ce qui est insupportable, c'est de parler et de ne pas être entendu. C'est insupportable. Et c'est arrivé tellement souvent, à nous tous. Que, quand nous commençons à évoquer, que nous disons quelque chose, il y a immédiatement l'interruption. La phrase qui vient couper, qui vient parler d'autre chose. Parce que nous gênons. Profondément, nous gênons.

Simone Veil et la parole refusée des déportés dans « L’Histoire en direct » du 02/05/1988.

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"L'écroulement autour de soi"

Du retour de déportation, Simone Veil parlera comme de "l'écroulement autour de soi". Transférée à Bergen-Belsen peu avant la libération des camps avec sa mère et sa soeur Madeleine, elle ignorait que sa soeur Denise, engagée dans la Résistance, avait elle aussi été déportée, à Ravensbrück.

On se disait toujours entre nous : "Nous ne rentrerons pas mais il restera quelqu'un de la famille." Tout d'un coup, tout s'écroulait parce qu'on avait tellement forgé le retour sur une personne qui était restée, qui serait là à nous attendre, que l'idée qu'elle avait été déportée aussi était insupportable. J'ai eu vraiment une crise de nerf, ce qui ne m'est jamais arrivé d'autres fois.

Simone Veil raconte son retour en France après sa déportation dans « L’Histoire en direct » du 02/05/1988.

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Dans cette émission d'archive qui date de près de trente ans, Simone Veil racontait que la misère dans laquelle beaucoup de familles juives ont vécu à leur retour en France est longtemps passée au second plan parce que primait l'attente, l'espoir de voir revenir un proche. Un espoir en décalage total avec le souvenir qu'elle conservait, au-delà de "quelques initiatives de solidarité, de gentillesse, de douceur", d'une profonde et vaste indifférence. De ce climat au retour, elle disait :

On était exclu du monde. Mais peut-être que nous-mêmes, nous ne nous sentions plus dans ce monde.

Simone Veil, Harlem Désir, Simone Signoret et Yves Montand à la manifestation de l'UEJF en 1986 après l'attentat antisémite.
Simone Veil, Harlem Désir, Simone Signoret et Yves Montand à la manifestation de l'UEJF en 1986 après l'attentat antisémite.
© Getty - Jean-Claude Francolon

Très marquée par cette difficulté à raconter l'inracontable dans un pays n'ayant au fond pas vraiment envie de savoir, Simone Veil confiait encore une expérience "incommunicable", "hors du monde". En 1988, elle disait combien en parler lui apparaissant pourtant comme "une nécessité, une promesse qu'on a faite et un engagement" :

Simone Veil se souvient de son année passée dans les camps nazis dans « L’Histoire en direct » du 02/05/1988.

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Deux décennies plus tard, Simone Veil revenait encore sur la manière dont on a ensuite parlé de la Shoah. Au micro de Frédéric Mitterrand dans "Ca me dit l'après-midi" le 13 janvier 2007 sur France Culture, elle marquait son opposition à Hannah Arendt, refusant de penser que "les gens soient prêts à faire n'importe quoi". Vous pouvez retrouver ce long entretien avec celle qui, à la veille de ses 80 ans, présidait alors la Fondation pour la Mémoire de la Shoah :

Simone Veil au micro de Frédéric Mitterrand dans « Ça me dit l’après-midi » 1/2 le 13/01/2007.

1h 07

Simone Veil au micro de Frédéric Mitterrand dans « Ça me dit l’après-midi » 2/2 le 13/01/2007.

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Une parole inaudible

Simone Veil est aussi très tôt montée au créneau face au négationnisme. Déjà, quand avaient émergées les premières controverses, suite à la publication des travaux de l'historien révisionniste Roger Garaudy, Veil répondait ceci, en 1996 :

Invitée, dans l'émission "Hors Champs" en 2010, Simone Veil confiera une crainte ultime : voir la distinction entre camps de déportation et camps d'extermination s'estomper avec le temps dans la mémoire collective. Souvent comparée à Germaine Tillion, résistante et déportée, elle insistait sur "l'extrême différence" des situations :

Je dois dire que, de plus en plus, je suis un peu inquiète par ce mélange. Nous étions destinées à mourir.

Ce jour-là, celle qui précisait encore "mon numéro se voyait beaucoup et quand je suis arrivée, c'était l'été", soulignera combien la parole des déportés sera longtemps inaudible en France.

Simone Veil invitée de "Hors-champs" le 17/03/2010.

45 min

Au micro de France Culture, Simone Veil disait toujours "Mes vrais amis ce sont ceux que j'ai connus au camp" et confiait à la fin de sa vie:

Je vis beaucoup dans le passé.

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Archives Radio France - Ina