Interview

Pêche : «S'il y a moins de rejets de poissons, c'est parce que beaucoup ont disparu»

Selon un article publié le 23 juin dans le journal scientifique «Fish and Fisheries», 10 millions de tonnes de poissons sont jetées en mer chaque année. Dirk Zeller, co-auteur de l'étude, revient sur les raisons de ce gaspillage.
par Emilie Veyssié
publié le 30 juin 2017 à 17h56

10 millions de tonnes de poissons sont jetées en mer chaque année. Si ce chiffre impressionne, il reste moins important qu’il y a vingt ans. C’est le résultat

. Conduite par Daniel Pauly, l’expert mondial de la pêche et Dirk Zeller, professeur de conservation marine à l’université d’Australie-Occidentale, elle est le fruit d’un projet de dix ans impliquant plus de 300 scientifiques à travers le monde. Et a été menée en partenariat avec l’université de Colombie-Britannique, au Canada, dans le cadre du projet «Sea around us», dont font également partie les deux chercheurs. Dirk Zeller revient sur les conclusions de cette recherche.

Votre étude conclue que le nombre de poissons rejetés en mer est en baisse depuis les années 1980, est-ce une bonne nouvelle ?

Oui et non. Les pertes mondiales ont baissé ces vingt et trente dernières années, principalement parce que certains pays sont plus rigoureux dans leur gestion du gaspillage. Ils forcent l'industrie de la pêche à réduire leurs rejets de poissons en mer. La Norvège les a même interdits. L'Union européenne se dirige vers une réglementation pour la baisse des rejets en mer et, j'espère, une interdiction.
A contrario, les espèces les plus gaspillées ont été surpêchées. Elles sont de moins en moins présentes dans les océans et donc il y en a moins à jeter. Dès que les pêcheurs changent d'endroit, les ressources locales s'épuisent et les pertes sont forcément réduites.

Pourquoi les poisons sont-ils rejetés en mer ?

Parce qu’ils sont trop petits ou blessés. Parfois, les pêcheurs ont dépassé le quota pour une espèce en particulier et doivent jeter le surplus. Les espèces rares et celles qui ne sont pas commercialisables sont difficilement vendables également.

Quelles sont les régions les plus touchées par le gaspillage ?

Il y a dix ans, l’Atlantique Nord était une forte région de rejets en mer. Beaucoup d’espèces ne rapportant pas autant qu’aujourd’hui étaient jetées. Aujourd’hui, on en constate en Afrique de l’Ouest et dans le Pacifique Nord-Ouest. La pêche du colin d’Alaska génère énormément de déchets car ce poisson n’est pas pêché pour sa chair mais pour ses œufs. Les pêcheurs gardent les œufs mais rejettent les poissons. C’est dans ces eaux du Pacifique Nord-Ouest que sont concentrées les pertes les plus élevées du monde.

Les résultats de votre étude diffèrent de celle réalisée en 2005, par l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui estimait les pertes à 8%. Comment l’expliquez-vous ?

Nous ne nous sommes pas basés sur les mêmes chiffres pour réaliser notre étude. La FAO a utilisé les statistiques officielles, alors que nous avons pris en compte les estimations actuelles et les prises sous-estimées que certains pays ne communiquent pas, comme celles des petits pêcheurs. Et sur les prises totales, on a évalué les pertes à 10%, c’est la raison pour laquelle ce chiffre est un peu plus élevé que celui de l’organisation onusienne.

crédit illustration : UBC-Public Affairs
Devons-nous nous inquiéter pour les stocks de poissons ?

Absolument. Nous avons mondialement surpêché depuis les années 90 et les prises diminuent. Les flottes européennes sont contraintes de quitter l'Europe et d'aller en Afrique où elles déciment les stocks. Les flottes chinoises et coréennes, qui sont les plus grandes du monde, se tournent, elles aussi, vers l'Afrique car la Chine n'a plus de poissons. Si nous étions plus vigilants et que nous pêchions plus durablement, nous pourrions attraper plus de poissons.
La pêche, ce n'est pas un système de production industrielle. Ce n'est pas comme l'industrie automobile dans laquelle, si vous mettez plus de ressources, vous aurez plus de voitures. C'est un système naturel avec des limites sur ce qu'il peut produire. Même si nous mettons des moyens en œuvre pour protéger les stocks de poissons, nous ne pouvons pas pêcher plus parce qu'on a dépassé ce que la nature peut nous offrir. Voilà pourquoi on attrape moins alors qu'on pêche de plus en plus.

La biodiversité est-elle, elle aussi, impactée ?

En général, les pêcheurs ciblent les poissons les plus abondants et rejettent les plus petits. Cela détruit leur population et réduit fortement la biodiversité.

Quelles sont les méthodes de pêche les plus meurtrières ?

Les lignes de fond génèrent peu de gaspillage. En revanche, le chalutage en eaux profondes, qui consiste a ramassé à l’aide d’un gigantesque filet tout ce qui se trouve dans le fond des mers, est très meurtrier.

Quelles peuvent être les solutions pour protéger les océans ?

Il faudrait une vérification très stricte des taux de rejets avec des surveillants à bord des bateaux qui calculeraient ce qui est pêché. Les pays devraient aussi réfléchir à diminuer le nombre de flottes pratiquant le chalutage en eaux profondes. Si nous voulons des écosystèmes en bonne santé et qui produisent beaucoup de poissons, nous devons utiliser des matériels de pêche moins destructeurs pour les grands fonds marins.

Avez-vous eu l’occasion de discuter avec des pêcheurs pour les sensibiliser au gaspillage ?

Ils comprennent la situation mais cherchent à maximiser leur profit. Ils rejettent les poissons les moins rentables et gardent les autres, les plus gros. Comme ils ne peuvent pas tout garder à cause des quotas, ils doivent parfois jeter leur première prise, si leur dernière est meilleure.
Je pense que c'est le rôle des gouvernements d'expliquer qu'il faut une pêche durable.

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