Violences

Lynchage des musulmans en Inde : «pas en mon nom», répondent des manifestants

Dans une dizaine de villes du sous-continent, des centaines de personnes ont dénoncé la montée des meurtres islamophobes après le meurtre d'un adolescent.
par Sébastien Farcis, Correspondant à New Delhi
publié le 2 juillet 2017 à 10h36

Professeurs à la chevelure grisonnante, jeunes aux habits colorés… plusieurs centaines de personnes se pressent sur l'esplanade de Jantar Mantar, centre des manifestations de New Delhi. Tous sont venus clamer leur soutien à leurs compatriotes musulmans, attaqués de manière croissante ces derniers mois. Ils soulèvent des pancartes marquées de ces quelques mots en anglais : «Not in my name» («pas en mon nom»). Cette foule de classe moyenne, majoritairement hindoue, a répondu à un appel lancé sur Facebook, qui a également donné lieu à des rassemblements dans une dizaine d'autres villes indiennes le 28 juin.

«Antinationaux, Pakistanais, mangeurs de bœufs»

L'événement déclencheur a été le meurtre d'un adolescent musulman de 16 ans, cinq jours auparavant, dans un train de la banlieue de New Delhi. Le jeune Junaid Khan était venu avec son frère acheter de la nourriture pour l'Aïd. Selon les témoignages recueillis depuis, Junaid a offert sa place à un homme âgé, celui-ci s'est offusqué et a commencé à insulter les deux garçons qui portaient la toque musulmane : «Antinationaux, Pakistanais, mangeurs de bœufs». Les injures islamophobes ont fusé et une dispute a éclaté. Et tout d'un coup, une dizaine d'autres jeunes hindous ont attaqué les deux frères, et huit coups de couteau fatals ont été portés au jeune Junaid.

Des agressions similaires, d'apparence spontanée, se produisent dans tout le pays depuis plusieurs mois, suivant les traces du raz-de-marée électoral du parti nationaliste hindou BJP : cette formation dirige le gouvernement national depuis trois ans grâce à une majorité absolue inédite à la chambre basse, et administre 17 des 29 Etats, dont le plus grand d'entre eux, l'Uttar Pradesh, a été conquis en mars.

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Certains manifestants, comme l'universitaire Prabir Prukayastha, estiment que ces attaques sont encouragées par ces nationalistes hindous : «Il y a une croissance coordonnée de cette haine et de ces violences, des campagnes sont organisées sur WhatsApp [une application de messagerie, ndlr], des groupes envoyés pour attaquer les camions qui transportent du bétail. Et le gouvernement ne condamne jamais ces actes, ce qui prouve sa complicité.» Amnesty International vient d'exhorter les dirigeants indiens à réagir pour faire cesser cette «apparente impunité» des crimes islamophobes et a dressé une liste de tels actes rapportés par les médias : au moins dix musulmans ont été tués en deux mois dans huit attaques menées dans tout le pays par des extrémistes ou des groupes de gens qui leur reprochaient de transporter des vaches, de détenir de la viande de bœuf ou de simplement flirter avec des filles hindoues.

«Tout musulman devient une cible»

L'abattage de la vache, animal sacré dans l'hindouisme moderne, est très réglementé mais n'est pas totalement interdit en Inde – et son dépeçage est autorisé si le bovin meurt naturellement. Mohammad Jabir, un musulman venu à la manifestation, vit ce racisme au quotidien dans son village de Muzzafarnagar, situé à 130 km de New Delhi. «Il y a deux ou trois mois, un homme qui portait une longue barbe a été suivi par un groupe, et ils l'ont tué d'un coup de pistolet, raconte-t-il. Ce genre d'incidents arrive souvent maintenant. Tout musulman devient une cible.» Cette bourgade a justement été le théâtre de pogroms antimusulmans en 2013, qui ont coûté la vie à 62 personnes et auraient été manigancés par des députés locaux du BJP – deux d'entre eux ont été mis en examen pour ces actes, mais viennent d'être réélus avec le soutien du parti.

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Syed Yunus, un ingénieur musulman de Delhi, analyse le dogme qui sert de support à ces violences : «Les hindouistes mènent une sorte de croisade religieuse, estime-t-il. Selon leur idéologie, une personne qui mange de la viande est démoniaque. Donc si vous voyez quelqu'un qui frappe cette personne, vous ne devez pas intervenir. C'est la même mentalité jihadiste que celle qui est propagée par les extrémistes musulmans.»

Le Premier ministre Narendra Modi, qui a grandi dans les rangs de l'organisation hindouiste et paramilitaire du RSS, a déjà été accusé d'avoir laissé se dérouler des pogroms antimusulmans en 2002, dans l'Etat du Gujarat qu'il dirigeait. Au lendemain de cette manifestation nationale, le chef du gouvernement a exceptionnellement condamné les meurtres perpétrés au nom de la protection de la vache sacrée : «Personne n'a le droit de faire justice soi-même.» Mais il en faudra sûrement plus pour renverser la vapeur : quelques heures après ces mots, un musulman de 45 ans était battu à mort par une foule de 100 personnes. Son crime : transporter de la viande. Personne ne sait de quel animal elle venait, mais il est bien trop tard pour que cela change quoi que ce soit.

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