Prud'hommes : le nombre d'affaires nouvelles en chute libre

Depuis la loi Macron réformant les règles de saisine, les nouveaux dossiers se raréfient. Selon des avocats et des conseillers prud'homaux, la nouvelle procédure décourage les salariés.

A Paris, huit audiences du conseil de prud’hommes seront annulées cet été dans la section industrie faute de dossiers, une situation inédite.
A Paris, huit audiences du conseil de prud’hommes seront annulées cet été dans la section industrie faute de dossiers, une situation inédite. LP/PHILIPPE LAVIEILLE

    Depuis des années le conseil de prud'hommes de Seine-Saint-Denis croule sous les dossiers. Saisie par des salariés contestant leur licenciement, réclamant leur salaire, etc., la juridiction du travail, deuxième de France en nombre d'affaires, avait pris un tel retard qu'il fallait plus de trente mois, il y a encore peu de temps, pour obtenir un jugement dans la section commerce.

    Mais voilà qu'à Bobigny s'est produit l'impensable. En mai, il a fallu annuler trois audiences de conciliation, première étape de la procédure... faute d'affaire à traiter. «Annuler à cause d'un problème de convocation, d'un conseiller absent, c'était déjà arrivé. Mais jamais parce qu'on manquait de dossiers !» souligne Jamila Mansour, vice-présidente (CGT) des prud'hommes de Bobigny.

    Une baisse de 30 à 40% à Bobigny

    La tendance dépasse largement les frontières de la Seine-Saint-Denis. Au premier trimestre 2017, les conseils du ressort de la cour d'appel de Paris (couvrant une bonne partie de l'Ile-de-France et au-delà) ont enregistré une baisse de 41 % d'affaires nouvelles par rapport au premier trimestre 2016. A l'échelle nationale, la diminution serait de l'ordre d'un quart à un tiers, selon des chiffres officieux que la chancellerie refuse de confirmer.

    Le monde du travail serait-il plus apaisé ? L'explication est tout autre, à en croire conseillers prud'homaux et avocats. En cause, le nouveau formulaire à remplir lorsqu'on veut saisir la juridiction. Sept pages au lieu d'une, avec une requête motivée et une liste de pièces justificatives à fournir. «En fait, il faut quasiment déposer des conclusions dès le début», indique un avocat.

    Ces nouvelles modalités de saisine de la justice prud'homale découlent de la loi sur la croissance et l'activité, dite loi Macron, du 6 août 2015, et sont entrées en vigueur au 1er août 2016. Dès le mois suivant, le nombre d'affaires nouvelles tombait à 80 à Bobigny, contre 267 un an auparavant. Au premier trimestre 2017, la baisse a atteint 66 % à Créteil, par rapport à la même période en 2016 ! «Elle est en moyenne de 30 à 40 % à Bobigny», note Jamila Mansour.

    Un formulaire décourageant

    La proportion est la même à Paris, où huit audiences seront annulées cet été, dans la section industrie. «C'est inédit, c'est énorme», assure Anne Dufour, présidente (CFDT). «Ça pose une vraie question sur l'accès au droit, ajoute-t-elle. Les gens qui retirent un formulaire se découragent. En théorie, ils peuvent saisir seuls les prud'hommes. Dans les faits, je n'y crois plus.»

    «J'ai du mal à croire qu'un simple changement de procédure suffise à expliquer cette baisse», pondère Denys Robiliard, ex-député PS, qui fut l'un des rapporteurs de la loi Macron sur les prud'hommes. Prudent, il avance l'hypothèse d'«une conjugaison de facteurs» : les ruptures conventionnelles, qui excluent le recours aux prud'hommes, la «baisse du nombre de licenciements», l'entrée en vigueur de nouveaux délais de prescription... «L'objectif de la loi, précise-t-il, n'était pas de diminuer le nombre des procédures, mais de les accélérer.»

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