A Paris, une association valorise le savoir-faire des artisans réfugiés

Inès Mesmar a fondé La Fabrique nomade pour aider les réfugiés à continuer leur métier d'artisanat en France. Cette association expose une série d'objets uniques, nés de la collaboration entre des artisans réfugiés et des designers français. Il ne reste plus que quelques jours pour aller voir la collection “Traits d'union” au festival D'Days...

Par Camélia Echchihab

Publié le 12 mai 2017 à 16h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h15

Yasir Elamine était potier au Soudan. Diplômé des Beaux-Arts de Khartoum, il a ouvert le premier atelier de poterie de la capitale, et il a enseigné à l'université. Puis il a dû fuir son pays. Il est arrivé en France en 2014. En tant que réfugié, il a dû abandonner son métier pour travailler dans la peinture en bâtiment, ou encore dans un chantier d'insertion espaces verts. Même expérience pour Abou Dubaev, réfugié tchétchène. Après 35 ans d'expérience dans la sculpture, il a suivi une formation d'agent de sécurité en arrivant en France. Le parcours de ces deux hommes n'est pas si singulier : il met en lumière la difficulté de l'insertion professionnelle des réfugiés, en accord avec leurs savoirs-faire. 

Face à ces contradictions, Inès Mesmar, 37 ans, a décidé d'agir. « Yasir, c'est de l'or qu'il a dans les mains. A cause du système, on passe à côté de compétences très rares. Pourtant, notre société peut tant bénéficier de cette richesse ! » Voilà un an et demi que la jeune femme a fondé la Fabrique nomade, une association qui se bat pour revaloriser le métier d'artisanat des personnes qui viennent s'installer en France, malgré l'étiquette de migrant qui leur colle à la peau : « Ce sont plutôt des réfugiés qui sont orientés vers nous par France Terre d'Asile. »

“On quitte son pays, mais pas son métier”

Ethnologue de formation, elle s'est intéressée à leur parcours, leurs préoccupations : « La passion compte beaucoup. Parce qu'on quitte son pays, mais pas son métier. C'est une partie intégrante de notre identité », explique-t-elle. Les histoires personnelles de ces artisans touchent particulièrement la jeune femme. Originaire de Tunisie, née en France, elle raconte : « Un jour, j'ai appris, au détour d'une conversation, que ma mère avait été brodeuse pendant dix ans dans la médina de Tunis. » Cette nouvelle la bouleverse. « Ma mère pensait que son savoir-faire ne valait rien. Il y a une forme de violence, de soumission, quand on change de pays, surtout quand on vient d'un pays du sud dans un pays du nord. » C'est de là qu'est née la Fabrique nomade : pour proposer un parcours d'accompagnement qui puisse valoriser et accompagner les migrants dans un métier qui a du sens… et à terme, favoriser l'embauche en entreprise. 

 

Yasir Elamine et Laureline de Leeuw ont travaillé ensemble pendant deux mois sur de la poterie.

Yasir Elamine et Laureline de Leeuw ont travaillé ensemble pendant deux mois sur de la poterie. © Laure Bourru

 

En septembre dernier, son association a été sélectionnée parmi les 8 projets des Audacieuses d'Ile de France, l'appel à projet d’entreprenariat social pour les femmes de la Social Factory. Incubée à la Ruche, dans le 20ème arrondissement de Paris, la Fabrique nomade voit encore plus loin. En janvier, Inès a une idée : elle veut tisser une collaboration entre ses artisans et des designers français. A la suite de son appel, elle reçoit de nombreuses candidatures, et sélectionne trois équipes: Ablaye et Sabatina à la broderie, Abou et BuroBonus au staff et au stuc, Yasir et Laureline à la poterie. Inès orchestre ainsi un véritable partage de savoirs-faire, au-delà de la barrière de la langue. Deux mois de travail plus tard, une sélection de leurs productions s'étale sur trois grandes tables à la galerie Joseph, jusqu'au 14 mai à l'occasion du Festival du Design (D'days). L'exposition, soutenue par le Haut commissariat aux réfugiés, a été baptisée « Traits d'union ». Alors Inès lance une levée de fonds, jusqu'au 16 mai, sur KissKissBankBank. La Fabrique nomade, qui fonctionnait jusqu'ici sur fonds propres, a besoin de dons pour financer la construction d'un vrai lieu de travail à Paris. Trois ateliers (poterie, textile, sculpture) pour révéler les talents qu'Inès déniche. Ces savoir-faire, elle veut les transmettre, en organisant encore plus d'ateliers d'artisanat ouverts au public. Plus qu'une question d'insertion, une question de sens : « Grâce à ce projet, Abou m'a dit qu'il avait retrouvé le sens de continuer la vie. »

A voir 

Festival D'Days, galerie Joseph, 116 rue de Turenne (3e).

Pour soutenir le projet sur KissKissBankBank.

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