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CONTEXTE

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Le 4 juillet 1997, enveloppée dans de gros coussins d’air, la sonde Mars Pathfinder se posait sur Mars par 19,3 degrés de latitude Nord et 33,5 degrés de longitude Ouest, soit à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest du point initialement visé dans la grande plaine d’Ares Vallis. Elle venait d’effectuer un voyage de 497 millions de kilomètres, sur une durée de 7 mois.

Pour la première fois, grâce au petit véhicule à six roues Sojourner, surnommé Rocky, l’Homme pouvait se déplacer par robot interposé sur une autre planète. Vingt-et-un ans après les sondes Viking, Pathfinder, « l’équivalent, version robot, de l’astronaute Neil Armstrong », commençait à scruter la planète rouge, son atmosphère, son sol, son passé.

Deux mois plus tard, La Croix dressait dans son édition du 10 septembre 1997 un premier bilan de l’exploration de Rocky, après qu’elle a parcouru une soixantaine de mètres. Le 27 septembre, la Nasa perdait définitivement le contact avec Sojourner. Le robot avait alors renvoyé plus de 16 500 images, 16 analyses chimiques des roches et des sols, ainsi que des milliers de données sur les vents et d’autres facteurs météorologiques. Des résultats qui suggéraient que Mars était autrefois chaude et humide, présentait de l’eau à l’état liquide et possédait une atmosphère plus épaisse.

Deux décennies plus tard, le 28 août 2016, une simulation de vie sur Mars menée par la Nasa et l’université d’Hawaï prenait fin. Durant un an, six personnes avaient vécu coupées du monde dans un dôme de 11 mètres de diamètre sur les flancs d’un volcan hawaïen, afin de préparer, un jour, de futures expéditions habitées vers Mars…

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ARCHIVES

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Un engin à six roues à la conquête de Mars

(La Croix du 5 juillet 1997)

Par Sophie Laurant

Mars Pathfinder, la petite sonde américaine, mettra-t-elle fin à la série maudite des missions martiennes ? En ce 4 juillet, jour de fête nationale aux États-Unis, la Nasa (l’agence spatiale américaine) espérait bien que l’engin envoyé dans l’espace le 4 décembre dernier se poserait sans encombre sur le sol de la planète rouge.

Depuis les missions Viking I et II, remontant à l’été 1976, aucun engin spatial n’a atterri sur Mars. L’ambitieuse mission russo-européenne Mars 96 s’est abîmée dans l’océan lors de son lancement à l’automne, et, depuis 1962 – début de la conquête martienne –, les sondes d’observations Mariner, Phobos Observer et autres Mars (russes) ont bien souvent connu des déboires, ne fonctionnant que quelques secondes, explosant au décollage, etc.

Une petite merveille technologique

Autant dire que Mars reste mal connue. Mars Pathfinder ne permettra peut-être pas d’en savoir beaucoup plus : cette sonde est surtout prévue pour « caler », grâce à ses informations de référence, la cartographie qui sera établie par Mars Global Surveyor, une autre sonde qui se placera en orbite autour de la planète en septembre prochain. Elle pourra aussi, pendant un an, fournir des informations géologiques et météorologiques.

Mars Pathfinder devait descendre en parachute vers le sol, plusieurs ballons jouant le rôle d’airbags afin d’amortir le contact. Puis, les trois pétales de la sonde s’ouvriront, libérant une petite merveille technologique concoctée par les ingénieurs de la Nasa : Sojourner, un véhicule à six roues, qui n’avance que de… 1 centimètre par seconde et se promènera dans un rayon de 800 mètres autour de la sonde.

Mais ce robot de 10 kg, bourré d’électronique, est équipé de trois caméras à très grands angles, permettant une vision panoramique de la planète. Elles sont capables de filmer des détails de l’ordre du millimètre et permettront d’apprécier l’opacité de l’atmosphère martienne ou l’effet des vents. Sojourner devra également analyser, sur télécommande terrestre, la composition chimique des roches.

Mars, une planète au passé humide

Cette sonde modeste, ne comptant que quelques expériences, inaugure une série d’un nouveau type, qui devrait être lancée par les Américains tous les vingt-six mois. La Nasa se veut réaliste et répartit les risques entre plusieurs missions de faible coût chacune : 1 milliard de francs seulement à chaque lancement. À titre de comparaison, avec la destruction de Mars 96, qui emportait une trentaine d’expériences, ce sont 6 milliards de francs qui se sont envolés en fumée.

L’intérêt des Terriens pour la planète la plus « jumelle » de la nôtre vient de l’hypothèse, de plus en plus sérieuse, que Mars a un passé humide : ses déserts froids de sable rouge, traversés d’ouragans de poussière, furent probablement jadis des vallées plus tempérées où coulaient des rivières.

Or, qui dit eau, dit potentialité de vie. Malgré des déclarations fracassantes de la Nasa, l’été dernier, à propos de traces fossiles sur une météorite martienne, présentées comme étant celles de microbes, les indices d’une vie extraterrestre font pour l’instant cruellement défaut. Mars Pathfinder n’est pas programmée pour apporter une réponse, mais l’ensemble des sondes Surveyor qui lui succéderont jusqu’en 2005 cherchera des fossiles.

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Après Rocky, Mars attend un second visiteur

(La Croix du 10 septembre 1997)

Par Marie Verdier

« Better, faster, cheaper. » Mieux, plus vite, moins cher. Les pères de la sonde Pathfinder (« pionnier », en anglais) et de son fidèle robot Sojourner (en hommage à l’héroïne noire américaine qui a combattu l’esclavage au XIXe siècle) ne pouvaient rêver mission plus pleinement accomplie.

Les scientifiques du Jet Propulsion Laboratory voulaient faire, avec Pathfinder, une démonstration technologique et inaugurer une nouvelle ère dans l’exploration interplanétaire, avec des missions « légères », rapides et à faible coût. Rocky, comme ils l’ont baptisé au cours de ces deux mois d’exploration martienne dans Ares Vallis, a été un cobaye plus que parfait.

Piloté à distance mais capable « d’initiatives »

Rocky devait valider le principe de trajectoire directe, sans mise en orbite préalable, avec usage d’un air bag pour amortir la chute et permettre un atterrissage sur un point précis de la planète. Ce qui fut chose faite, en fanfare, le 4 juillet dernier. Puis le petit martien à roulettes a prouvé son extrême maniabilité.

Il s’est laissé piloter à distance sans rechigner, malgré les vingt minutes de décalage dans la transmission du signal. Depuis son arrivée, il a parcouru une soixantaine de mètres, pris plus de 10 000 photos, ausculté de nombreuses roches.

Rocky a aussi battu tous les records de longévité. On a cru sa fin annoncée. À plusieurs reprises cet été, il a perdu le contact avec la Terre, mais son ordinateur a pu être réinitialisé. Puis un jour, il s’est bloqué sur une grosse pierre : une « initiative » qu’il a pris seul, pour éviter de se retourner alors qu’il se trouvait fort incliné. Enfin, il s’est finalement remis en route quelques jours plus tard. Légèrement fatigué, il a cependant dû adopter une position de veille la nuit pour économiser ses batteries.

Poussières mortelles

S’il a perdu de sa vigueur, Rocky continue fidèlement à transmettre des images et des informations. Un petit cocorico en passant : sa forme olympique, il la doit en partie à la France où ont été fabriquées les précieuses piles qui assurent sa survie en relayant, la nuit, les panneaux solaires.

Le robot n’est pourtant pas à l’abri de la poussière, qui pourrait avoir raison de lui en s’accumulant sur ses panneaux solaires, l’empêchant de faire son plein d’énergie. Sauf si des coups de vent salutaires nettoient les panneaux. Sa mort sera alors programmée à l’arrivée de l’hiver martien, attendu d’ici quelques semaines.

En effet, aucun instrument scientifique ne saurait résister à des températures glaciales, plongeant à moins 180. C’est pour cela que l’exploration sur Mars restera limitée à un travail saisonnier.

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La planète n’a pas encore livré tous ses secrets

(La Croix du 10 septembre 1997)

Par Marie Verdier

Après l’émotion planétaire suscitée par les premiers pas de « Rocky » sur la planète Mars en juillet, retour à la raison. Certes le robot Sojourner est un vrai héros de la conquête spatiale. D’autant plus qu’il a pris une belle revanche après l’incroyable spirale d’échecs dans laquelle avait sombré la conquête de Mars : la perte, en 1988, des deux sondes soviétiques Mars-Phobos qui devaient étudier l’un des deux satellites de Mars ; puis l’échec de la mission américaine Mars Observer en 1993 juste au moment crucial de sa mise sur orbite ; et enfin le naufrage l’an dernier de la sonde russe Mars 96, qui avait mis en berne les équipes scientifiques de la vingtaine de pays associés à cette méga-mission.

Mais l’événement, aussi important soit-il, n’autorise pas à réécrire l’histoire. La révélation « l’eau a coulé sur Mars » de juillet dernier n’en fut pas vraiment une. En tout cas, pas depuis que les deux sondes Viking ont atterri sur Mars et réalisé des expériences dans les années 1975-77. « On a alors découvert le relief, les cratères, les canyons, les gigantesques vallées de débâcle type Ares Vallis où a atterri Pathfinder. C’est de ce moment-là que l’on a pensé qu’il y avait de l’eau sur Mars », se souvient François Cottard, du centre de géomorphologie du CNRS à Caen. Le choc fut d’autant plus bouleversant que les scientifiques restaient sur les images fort décevantes de la sonde Mariner 9 de 1971. « On s’attendait à trouver de la vie, tout au moins des lychens, comme pouvaient le laisser supposer les variations de couleurs ocre et vert pâle que l’on observait aux télescopes. À l’époque on n’a vu que des cratères, ce fut une grande déception », poursuit-il.

La glace a laissé son empreinte

Sojourner, pas plus que Viking, n’apporte donc la preuve de l’existence d’eau sur Mars. Mais il apporte, si l’on peut dire, de l’eau au moulin, de nouvelles hypothèses. Une chose est sûre : à la suite de l’impact de météorites il y a quelque 3,8 milliards d’années, de gigantesques cratères et vallées se sont formés de façon brutale, par un effondrement subit de terrain dû à la fonte du « pergelisol », le sol gelé de façon permanente.

Non seulement la morphologie des « éjectats lobés », les roches éjectées des cratères, indique la présence de glace en profondeur, mais de plus « la balistique des impacts de météorites a permis d’apprécier à quelle distance se trouvait la glace », précise Patrick Pinet, qui étudie Mars depuis l’Observatoire Midi-Pyrénées du CNRS. Eau il y eut, donc. Mais a-t-elle jamais coulé à flots, comme peuvent le suggérer les blocs de roche émoussés qui auraient été polis au fil du temps par les eaux ? « Les blocs ont pu être émoussés par le vent. On voit, sur Terre, dans certaines régions comme au Sahara, un paysage redessiné par une intense activité éolienne », poursuit P. Pinet. Les blocs émoussés que Sojourner a rendu célèbres ne demeurent qu’un indice. Seule la présence de gallets ou de sédiments pourrait constituer une preuve.

La planète cache-t-elle encore des reliquats de ces masses d’eau volumineuses en profondeur ? Les Américains projettent pour leurs futures missions de réaliser des forages. « Les premiers forages seront très superficiels, de quelques dizaines de centimètres, ils ne permettront pas d’atteindre l’eau, affirme Philippe Masson, ils permettront en revanche d’extraire des roches non contaminées par l’atmosphère. » Car comme le suggère la taille des cratères, la glace pourrait être enfouie à quelques dizaines ou centaines de mètres de profondeur, au voisinage de la calotte polaire – là où les cratères sont petits –, à plusieurs kilomètres de profondeur du côté de l’Équateur où se trouvent les plus grands cratères.

On n’est pas encore près d’installer de véritables plates-formes de forage sur Mars ! « Il faudra sans doute avoir recours à un radar-sol pour détecter les niveaux gelés, lorsque l’on saura miniaturiser ce genre d’engins », envisage Philippe Masson. La quête d’eau est une ambition à long terme pour Mars, un casse-tête beaucoup trop complexe pour le modeste mais néanmoins héroïque Sojourner.

Celui-ci a en revanche épaté les scientifiques avec ses premiers diagnostics sur la nature des roches. « Elles ont évolué, leur histoire géochimique est plus complexe que ce que l’on pensait », reconnaît Patrick Pinet. Mars abrite de l’andésite (silice), du soufre… Des roches qui supposent une activité magmatique beaucoup plus intense et plus mouvementée que prévu, avec des taux différents de refroidissement et de cristallisation des roches. « Y aurait-il une tectonique des plaques sur Mars ? », s’interroge François Cottard. Sur ce terrain, Rocky pose des questions qui émoustillent les scientifiques.

Rapporter des échantillons de roches

La science est en marche. Son grand objectif est de rapporter des échantillons de roche sur Terre. Ce que prévoient les Américains avec leur série de missions programmées tous les deux ans vers la planète rouge. Le reste du monde spatial tente de rattraper la course. Les Japonais peaufinent leur « Planet B » destinée à étudier, dès l’an prochain, l’atmosphère et la magnétosphère de Mars.

Quant aux Européens, hors course depuis l’échec de la très ambitieuse mission Mars 96, ils envisagent de revoir leur programme en février prochain en « réveillant » une partie de Mars 96 et d’Intermarsnet, le projet anciennement écarté d’envoyer trois stations fixes de géophysique. Ce programme « Mars Express », qui en l’occurrence porte mal son nom, ne verra le jour, dans le meilleur des cas, qu’en 2003.